Nous sommes à Marseille, en 1985. La multiplication des crimes racistes suscite de fortes mobilisations, notamment impulsées par SOS Racisme. Le jeune Daniel, en rupture avec ses parents, vient se réfugier quelque temps chez ses grands-parents, des Français pieds-noirs ayant quitté l’Algérie quelque 23 ans auparavant.
Pour eux, ce combat antiraciste consiste à donner raison aux Arabes qui les ont chassés d’Algérie, cette terre où ils sont nés, comme leurs parents et les parents de leurs parents. Le "retour" en France a été vécu comme une tragédie. Ils entretiennent depuis une rancune aussi morbide que floue car ils détestent les Arabes mais sont de culture arabe. Le pépé tient volontiers des propos antisémites, mais il est marié à une Juive... Toutes ces communautés étaient imbriquées depuis longtemps mais les "événements" les ont obligés à "choisir leur camp".
Impossible choix en vérité sans compter que leur arrivée en métropole n’était ni souhaitée, ni accompagnée. "Les pieds-noirs à la mer !" est un slogan des dockers marseillais de la CGT. le maire de Marseille de l’époque, Gaston Deferre, déclarant de son côté : "Qu’ils aillent se faire pendre ailleurs", à l’adresse de ces "rapatriés."
Aspirant dessinateur, en recherche de repères, voire de père, Daniel retrouve ses grands-parents avec plaisir mais est en quelque sorte troublé par leurs propos que l’on peut comprendre vu ce qu’ils ont vécu. Mais pour l’heure, ce qui déchire la famille, c’est une mésalliance entre un petit-fils et une "Arabe". Se sentant l’âme d’un conciliateur, Daniel veut recoller les morceaux de cette famille divisée, en écho avec son besoin de résoudre sa propre situation de rupture.
La trame complexe de cette fable révèle véritablement le travail de Fred Neidhardt (Pattes d’eph et col roulé, La Peur du rouge...) que l’on avait vite catalogué comme un aimable plaisantin (avec son copain Tarrin, il était un des artisans des impostures de l’Écho des Savanes). Il se révèle un narrateur doué et un dessinateur très juste.
Cette Marseille reconstituée avec ses animaux anthropomorphiques, mêlant souvenirs personnels et éléments de fiction, constitue un beau roman graphique, humain et extrêmement touchant, une publication marquante du tout jeune label Marabulles, filiale de Marabout (Groupe Hachette), préfacée par Joann Sfar.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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