Ce second volume des Praticiens de l’infernal (Cornélius) de Pierre La Police est fort justement sous-titré "Miracles nuisibles et malveillances célestes". Nous ne saurions mieux résumer cette nouvelle aventure des frères mutants Chris et Félicien Thémistecle, accompagnés du terrible Fongor Fonzym. Le mystère auquel ils font face n’est pas mince. Une étrange pluie fait pousser en masse dans les arbres des raisins poitreux. Ceux qui les avalent perdent la tête - au sens propre - et leur corps est tracté on ne sait comment.
Nous ne dévoilerons pas ici les multiples rebondissements de cette aventure, les métamorphoses subies par les Thémistecle ou les étonnements provoqués par les méchants de cette affaire. Ce serait absurde. Comme l’ensemble de l’ouvrage, qui vaut bien son prédécesseur, paru en 2012. S’il y a un fil conducteur dans cette histoire, c’est le non-sens - à condition d’admettre ce paradoxe.
La trame en est certes linéaire : une situation de départ, un élément perturbateur, des péripéties, une résolution finale. Mais il ne faut surtout par croire que Pierre La Police s’essaie à une narration classique. Même le procédé - une grande image légendée - qui rappelle les premières bande dessinée comme celles de Rodolphe Töpffer est illusoire et ne fait que masquer un tohu-bohu de première qualité.
Chaque dessin est aussi une pleine page et le "récitatif" vient non pas souligner voire alourdir le propos, mais au contraire apporter un décalage ou une distance sinon ironique, du moins faussement naïve et qui évoque bien des narrations par ailleurs portées aux nues. Mais l’œuvre de Pierre La Police n’est ni tout à fait parodique, ni simplement iconoclaste. Comme les Thémistecle, elle est mutante, variant au gré des lectures et des lecteurs.
Nous pouvons y voir un reflet déformé de différents pans de la bande dessinée. Le procédé consistant à accompagner chaque dessin d’une légende est ancien, mais régulièrement mis au goût du jour, souvent pour entraîner le lecteur à faire un "pas de côté". Le trait simple et les aplats de couleurs vives - mais pas criardes - peut être une réminiscence de l’école hergéenne de la "ligne claire". Le récit comporte en outre une certaine dose de science-fiction et de fantastique. Enfin les trois compères ont bien des traits communs avec les super-héros américains.
Pour autant, Les Praticiens de l’infernal n’est ni un digest de ce qui se fait de plus commun dans la bande dessinée, ni une caricature de différents genres. Si les légendes peuvent prêter à sourire, elles ne mettent en œuvre aucun systématisme. Reprenant parfois l’image pour en souligner l’incongruité, elles se font parfois simples descriptions ou interrogations, comme pour relancer un suspense finalement assez artificiel - car là n’est pas le véritable enjeu de l’ouvrage.
Les frères Thémistecle, ainsi que Fongor, ont un statut également indéfini. Subissant d’étranges métamorphoses, ils sont investis de leur mission sans que nous sachions pourquoi ni par qui. Ils font d’ailleurs penser aux héros des mythologies antiques - leur patronyme serait-il une piste ? - qui se débattent autant avec leur propres défauts que contre leurs monstrueux adversaires.
Que faut-il donc voir, que faut-il donc lire dans ces Praticiens de l’infernal ? Une sorte de délire absurde, relativement sage, subtilement étrange. Ce n’est sans doute pas l’œuvre la plus déconcertante de Pierre La Police - La Balançoire de Plasma [1] était par exemple bien plus dérangeante. Mais c’est une pierre importante dans cet édifice biscornu qu’est la bibliographie de l’insaisissable dessinateur. Un livre qui se lit comme une sorte de cadavre exquis néo-surréaliste - si l’on nous permet l’expression.
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(par Frédéric HOJLO)
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15 x 21 cm - 168 pages couleurs - couverture souple avec rabats - collection Raoul - parution le 30 mars 2017 - commander ce livre chez Amazon ou à la FNAC.
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[1] Avec Jean Lecointre, cinq volumes de 1996 à 1999, éditions Jean-Pierre Faur, réédition en intégrale chez Cornélius, 2005.