Dans le même temps, des cauchemars affectent la quiétude des nuits du célèbre savant. Ils tournent autour d’un souvenir d’enfance, ce qui autorise au scénariste un émouvant flash-back. On y découvre que Mortimer est né en Inde britannique. Là, il fait la connaissance du jeune Blake, alors étudiant comme lui, venu visiter le pays. Il y vit un premier flirt avec une princesse autochtone qui s’avère être la fille de l’immortel empereur Açoka, semble-t-il l’artisan de la révolte des Indiens contre l’occupant. Un background passionnant qui se révèle à l’occasion du « huis clos international » qui est celui de l’Expo. Un événement qui suscite un intérêt marqué de la part d’un groupe terroriste défendant la cause des pays « non-alignés ».
Jacobs aurait aimé.
En lisant le dernier opus du duo Yves Sente (au scénario) / André Juillard (au dessin), je ne m’empêche de penser que Jacobs aurait aimé lire une telle histoire. Il aurait aimé parce qu’elle tisse entre les différents volumes de la saga un réseau de références respectueuses et intelligentes : ainsi retrouve-t-on Olrik ressorti du goulag pour une mission spéciale ; on retrouve le sous-continent indien dont Nasir est issu et les ambiances du Secret de l’Espadon lorsqu’il se déroule dans le golfe d’Oman ; on découvre les origines familiales du Professeur Mortimer (même si elles ont été évoquées par Jacobs dans Un Opéra de papier ), ainsi que l’origine de sa vocation et peut-être même de son célibat puisqu’une love story semble avoir marqué son enfance ; on découvre la rencontre des deux héros en Inde, favorisée par le Mahatmâ Ghandi !
Une esthétique expressionniste
Il aurait aimé l’habileté de ce scénario qui mêle si bien l’explication de la politique internationale des années cinquante avec la dimension affective des personnages, sans oublier le piment fantastique qui fait le charme de la saga. Il aurait aimé, j’en suis sûr, le dessin de Juillard qui s’est amélioré depuis le dernier essai et qui ne s’abaisse jamais à plagier le maître. Mieux : il évite le piège référentiel que lui offre le rappel aux anciens albums ou l’arrière-fond de l’Expo 58. Je donnerais cependant deux conseils au dessinateur : éviter les plans caméra trop réalistes qui sacrifient la composition au mouvement. Le texte important des dialogues impose, et cela Jacobs l’avait compris, une composition sophistiquée, voire « embellie ». Nous sommes dans le domaine du théâtre, un art où la scène reste figée et exige une approche esthétique. Autre remarque : une insuffisance de l’utilisation des noirs dans l’encrage. La tradition jacobsienne perpétue une esthétique issue de l’expressionnisme cinématographique allemand (Murnau, Fritz Lang…) ou des romans de Dashiel Hammet, univers dans lesquels le noir est la couleur cardinale.
A ces réserves près, l’album est une réussite. Chapeau bas, messieurs !
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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"Les sarcophages du 6ème Continent", tome 1 (sur 2)- Editions Blake et Mortimer
L’album sort en librairie le 15 novembre prochain.
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