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Les Sarcophages du 6ème Continent : Un « huis clos international » passionnant.

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 30 octobre 2003                      Lien  
Février 1958. Le professeur Mortimer est en charge du pavillon consacré à la {British Industry} de l'Exposition Universelle de Bruxelles. Un moment crucial dans la découverte des sciences, des arts et des techniques, puisque Spoutnik y côtoie la Citroën DS, ou le « Poème électronique » du Corbusier.

Dans le même temps, des cauchemars affectent la quiétude des nuits du célèbre savant. Ils tournent autour d’un souvenir d’enfance, ce qui autorise au scénariste un émouvant flash-back. On y découvre que Mortimer est né en Inde britannique. Là, il fait la connaissance du jeune Blake, alors étudiant comme lui, venu visiter le pays. Il y vit un premier flirt avec une princesse autochtone qui s’avère être la fille de l’immortel empereur Açoka, semble-t-il l’artisan de la révolte des Indiens contre l’occupant. Un background passionnant qui se révèle à l’occasion du « huis clos international » qui est celui de l’Expo. Un événement qui suscite un intérêt marqué de la part d’un groupe terroriste défendant la cause des pays « non-alignés ».

Jacobs aurait aimé.

En lisant le dernier opus du duo Yves Sente (au scénario) / André Juillard (au dessin), je ne m’empêche de penser que Jacobs aurait aimé lire une telle histoire. Il aurait aimé parce qu’elle tisse entre les différents volumes de la saga un réseau de références respectueuses et intelligentes : ainsi retrouve-t-on Olrik ressorti du goulag pour une mission spéciale ; on retrouve le sous-continent indien dont Nasir est issu et les ambiances du Secret de l’Espadon lorsqu’il se déroule dans le golfe d’Oman ; on découvre les origines familiales du Professeur Mortimer (même si elles ont été évoquées par Jacobs dans Un Opéra de papier ), ainsi que l’origine de sa vocation et peut-être même de son célibat puisqu’une love story semble avoir marqué son enfance ; on découvre la rencontre des deux héros en Inde, favorisée par le Mahatmâ Ghandi !

Une esthétique expressionniste

Il aurait aimé l’habileté de ce scénario qui mêle si bien l’explication de la politique internationale des années cinquante avec la dimension affective des personnages, sans oublier le piment fantastique qui fait le charme de la saga. Il aurait aimé, j’en suis sûr, le dessin de Juillard qui s’est amélioré depuis le dernier essai et qui ne s’abaisse jamais à plagier le maître. Mieux : il évite le piège référentiel que lui offre le rappel aux anciens albums ou l’arrière-fond de l’Expo 58. Je donnerais cependant deux conseils au dessinateur : éviter les plans caméra trop réalistes qui sacrifient la composition au mouvement. Le texte important des dialogues impose, et cela Jacobs l’avait compris, une composition sophistiquée, voire « embellie ». Nous sommes dans le domaine du théâtre, un art où la scène reste figée et exige une approche esthétique. Autre remarque : une insuffisance de l’utilisation des noirs dans l’encrage. La tradition jacobsienne perpétue une esthétique issue de l’expressionnisme cinématographique allemand (Murnau, Fritz Lang…) ou des romans de Dashiel Hammet, univers dans lesquels le noir est la couleur cardinale.
A ces réserves près, l’album est une réussite. Chapeau bas, messieurs !

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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Code EAN :

"Les sarcophages du 6ème Continent", tome 1 (sur 2)- Editions Blake et Mortimer
L’album sort en librairie le 15 novembre prochain.

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7 Messages :
  • Je ne crois pas que Edgar P. Jacobs aurait aimé ce brouillon insipide de ses albums. Les personnages n’ont aucune personnalité, aucune profondeur. Le graphisme est approximatif, les cases parfois reprises d’une planche l’autre à la table lumineuse. ON a connu Juillard plus inspiré dans ses superbes productions personnelles. Qu’allait-il faire dans cette galère (de 600.000 exemplaires ?), mise en couleurs à grands coups de Photoshop mal maîtrisé ?

    Cette romance 1920 est parfaitement ridicule, loin des préoccupations de la série originale. Cette histoire de terrorisme électrique est consternante. Ne voyez vous pas le ridicule de cette "menace universelle" ?

    Et graphiquement, les personnages ne sont-ils pas particulièrement empesés lors des attaques d’Olrik dans l’Exposition Universelle.

    La couverture elle-même est déjà une mauvaise parodie de la gestuelle, très "Metropolis" habituelle de nos héros.

    A l’heure où vos confrères du site http://www.auracan.com font leur "une" virtuelle sur le succès (mérité, esthétique et je l’espère commercial) de la reprise de Boule et Bill, réellement respectueuse, à tous points de vue, proposer cette vision indulgente de la vaste machinerie marketing qu’est la reprise de Blake et Mortimer me choque.

    Faudra-t-il attendre Sterne ("La Malédiction des Trente Deniers") et une nouvelle version des aventures apocryphes de nos héros pour chercher un renouvellement graphique à cette série de succédanés qui s’essouffle ?

    Ne voyez-vous pas, Monsieur Pasamonik, que tout ceci est une vaste machine à sous (Voronov) ? Comment Jacobs aurait-il pu aimer que l’on revisite son oeuvre, lui si jaloux de ses secrets de fabrications et de ses personnages, lui qui avait hésité et finalement repris des mains de Forton "L’Affaire du Collier".

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    • Répondu par Didier Pasamonik le 31 octobre 2003 à  09:22 :

      Je vous ai dit ce que je pensais de l’album. Moi j’ai été séduit, vous pas. C’est la confrontation de deux points de vue. Si Dargaud gagne de l’argent, tant mieux. Je préfère des éditeurs bien portants que des éditeurs en faillite. La reprise d’un univers n’est jamais facile. Nous avons nous-même, dans ces pages salué la réussite de la reprise de Boule & Bill. Ayant personnellement connu Jacobs, je ne vais pas parler pour lui. Mais j’ai la conviction profonde qu’il aurait aimé cet album. Laissons aux autres lecteurs de ce forum le soin de nous faire part de leur opinion.

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      • Répondu par µarc le 31 octobre 2003 à  14:54 :

        Il est bien difficile de se faire une opinion définitive sur une histoire annoncée en 2 volumes...

        Tel qu’il se présente, ce premier tome de la nouvelle aventure de Blake et Mortimer "Les Sarcophages du 6ème continent", se montre à la fois extrèmement prometteur et relativement décevant. Prometteur en ce sens qu’il semble annoncer une seconde partie qui pourrait s’avérer passionnante et offrir, au final, une excellente aventure de nos deux héros. Ce premier opus, cependant, reste très inégal, même si l’on prend en considération le fait qu’il ne s’agit que du début d’une histoire. A ce titre, le premier volume du "Mystère de la Grande Pyramide" s’avèrait autrement réussi et fertile en rebondissements.

        "La Menace universelle" se décompose en fait en trois parties de longueur très variable. La première de 5 pages, est un prologue situé aux Indes en 1958. La seconde est un flash-back se déroulant en 1922, toujours aux Indes où l’on découvre Blake et Mortimer à peine sortis de l’adolescence et totalise 23 pages. Ces deux premières parties sont de vraies réussites et représentent le meilleur de l’album. La 3ème,enfin, se déroule de nouveau en 1958, à Bruxelles, pendant 26 pages avec quelques incursions en Antarctique. C’est celle où interviennent enfin Blake et Mortimer tels qu’on les connait et il s’agit de la partie la plus faible de l’album, où, comme pour "La Machination Voronov", nos deux auteurs semblent avoir du mal à tenir la distance et relever le défi de tenter d’égaler Jacobs en qualité intrinsèque, même, et cela va de soit, compte tenu qu’il s’agit d’une histoire écrite au XXIème siècle pour des lecteurs de BD du XXIème siécle, dont une bonne partie sont fan de mangas, de séries télé et de jeux video... Conscient de ce fait, on peut souligner qu’Yves Sente a cru bon de supprimer une grande partie de ces fameux récitatifs chers à Jacobs, oubliant ou feignant d’oublier qu’ils étaient une partie de la magie de l’œuvre. La "reprise" du coup, s’astreignant à vouloir être ici fidèle et là infidèle s’en retrouve globalement affaiblie...

        Sur le plan du scénario, les deux premières parties sont riches en péripéties, et rebondissements, le flash-back apportant une note inédite et bienvenue de romantisme dans la saga de nos deux compères "so britih" et bien coincés, quelque part à mi-chemin entre l’oeuvre de Kipling et celle du réalisateur Hoyao Miyazaki... Tout se gâte rapidement hélas, lorsque l’aventure se transporte à Bruxelles en 1958 à l’occasion de l’Exposition Universelle. De nouveau, comme pour leur précédent album, les auteurs nous assénent alors d’interminables séquences de discussions bavardes et statiques, autour de repas ou au gré des visites des divers pavillons de ladite exposition, usant et abusant de répétitions et redites... Au cours de ces scènes, l’action n’avance que lourdement, tout juste ponctuée de quelques intermèdes qui se voudraient les points forts de l’album, ces fameux "phénomènes catastrohiques" causés par cette mystérieuse "arme ultime" qui se révèlent n’être en fait que des court-circuits un peu spectaculaires...

        Sur le plan du dessin, on note également une baisse de qualité dans cette seconde partie ou du moins une baisse d’attention, peut-être due à des délais trop ressérés ceci même si Juillard y réussi mieux ses héros et y réalise des décors fourmillants de détails. La première partie en tout cas, est elle, en tous points spendide, lorsque Juillard s’approprie pleinement enfin ses personnages, alors adolescents ainsi que les nouveaux (et très réussis) crées pour l’occasion. La seconde reste cependant plus qu’honorable, avons-le mais on peut remarquer - il en était du moins ainsi dans les planches publiées dans "Le Temps" - quelques erreurs dans les décors, un collier oublié d’une case à l’autre au cou d’un personnage important ou encore des confusions dans le tracé des dialogues et des récitatifs. Le plus grave étant que le choix d’une mise en page sur trois bandes de même dimension vient figer le dessin ôtant toute possibilité de dramatiser certaines séquences dans une narration qui en aurait eu grand besoin.

        Il reste que l’ensemble de ce premier volume d’une histoire en deux parties demeure passionnant et même fascinant par les perspectives qu’il peut laisser deviner. Le thème - ce n’est plus un secret pour personne - d’une vengeance par-delà le temps, joint aux potentialités seulement entrevues de cette mystérieuse arme ultime, ainsi que le titre du 2ème volume "Le Duel des Esprits" laissent encore espérer une belle aventure de nos deux héros mythiques...

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        • Répondu par Yves le 31 octobre 2003 à  20:45 :

          moi je suis surpris que vous ayez lu cet album qui ne sortira en librairie que le 15 novembre !

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    • Répondu par Ben Mac Kenna le 1er novembre 2003 à  17:47 :

      Cher Yves, le quotidien helvète "Le Temps" a prépublié intégralement pendant tout l’été cet album. De plus un hebdomadaire télé belge "Télé-Moustiques" a proposé une prépublication (complète ?) des "Sarcophages" début septembre... proposant d’ailleurs une fort belle couverture de Juillard !

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      • Répondu par alexandre le 10 novembre 2003 à  14:05 :

        c’est vrai que Sterne va faire une reprise de B&M ?... ça pourrait être intéressant.
        On lisait sur un autre site que le marmoréen Vallès risquait de l’emporter...
        Je partage l’avis de MacKenna et trouve les reprises de Juillard et Benoit très raides et très académiques. Assurémment la magie jacobsienne a disparu, mais le maitre ne polissait-il pas ses inventions pendant un temps infini, qu’on ne s’accorde plus aujourd’hui ?
        La Fondation Jacobs pourrait-elle autoriser une reprise qui serait aux deux héros british ce que Chaland en son temps avait voulu faire avec Spirou ? (ce même Chaland qui à mon avis était le plus digne héritier de Jacobs, hélas).

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        • Répondu par John Lamark le 17 novembre 2003 à  10:33 :

          Malgré les réserves et remarques que j’ai précedemment émises ici même, je
          trouve que ce nouvel album est au final, une réussite !

          A mon avis, c’est le
          plus "beau" des 4 reprises à ce jour, un véritable régal,
          visuellement. Les magnifiques couleurs de Madeleine De Mille n’y sont
          pas pour rien ! Le dessin de Juillard n’est sans doute pas aussi "habité" que celui de Ted Benoit mais sa virtuosité et sa souplesse l’emportent. Au final son travail force l’admiration et nos héros y sont bien mieux réussis que dans "La machination Voronov". Quant au scénario, avec son extraordinaire flash-back particulièrement émouvant, s’il eut gagné à être
          plus travaillé pour la partie se déroulant à Bruxelles, il réussit à
          donner furieusement l’envie d’être plus vieux d’une année pour
          connaitre le dénouement de cette passionnante aventure !!!
          Et savoir surtout... qui se cache sous le masque d’Açoka...???
          Car tel me semble bien être le véritable "Mystère du 6ème Continent"...

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