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"Les Savants", un polar sur fond de Renaissance

Par Charles-Louis Detournay le 30 mars 2016                      Lien  
C'est sans doute une des découvertes les plus intéressantes de ce printemps : un nouveau tandem d'auteurs italiens dépoussière le polar en plaçant leurs enquêtes historiques, aussi rafraîchissantes que passionnantes, aux mains des savants célèbres. Le souvenir d'Umberto Eco n'est pas loin.

Récemment, quelques auteurs italiens nous proposent de redécouvrir l’Histoire de leur péninsule au travers de récits fictifs et aventureux. C’est le cas de L’Astrolabe de Glace qui met en scène le sac de Rome par les troupes au service de l’empereur Charles Quint, commandées par le connétable Charles de Bourbon en 1527 dans le cadre d’une quête à la fois scientifique et ésotérique.

"Les Savants", un polar sur fond de Renaissance
Luca Blengino, toujours prêt à dégainer
Photo : DR

Luca Blengino, le scénariste de L’Astrolabe de Glace, ne se contente pas de revisiter l’Histoire comme il l’a fait dans d’autres séries : Gaijin, R.U.S.T., Flamingo, 7 Survivants). Son dernier grand projet avait pour cadre l’Antiquité. Il a scénarisé toute la série des 7 Merveilles (Delcourt). Dans cette série-concept aux multiples points d’entrée, Luca Blengino avait surtout réussi à cerner les sentiments émanant des grands hommes qui avaient construit ces merveilles du monde antique.

Et c’est justement dans cette voie qu’il inaugure une nouvelle série chez Soleil : Les Savants. La nouveauté réside dans la qualité des figures historiques qu’il incarne : fini les grands architectes ou artistes antiques, Blengino s’intéresse aux grands savants de l’Histoire, en particulier ceux qui ont fait sortir nos civilisations des ténèbres scientifiques.

Pour déminer l’éventuel aspect rébarbatif de l’évocation pédagogique de ces grands hommes, le scénariste les transforme en enquêteurs, mettant à l’épreuve leur sagacité pour mieux laisser parler leurs sentiments envers les autres et envers eux-mêmes. Il s’agit à chaque fois de récits autoconclusifs, ce premier tome se présentant d’ailleurs comme un one-shot : on ne retrouve aucune indication de série ou de tome à suivre dans cet opus.

Une double-page de la première partie du récit : histoire, thriller et sciences sont les ingrédients majeurs d’un album réussi.

Une première enquête de haute volée

Comme le titre l’indique, le premier tome se déroule en 1512, à Ferrare en Italie. Nicolas Copernic, savant reconnu, vient y donner plusieurs conférences devant un parterre de jeunes gens parmi les plus érudits d’Europe. Mais la célèbre université est en émoi en raison du récent assassinat d’une de ses figures éminentes, Maître Horatius. Cela bouleverse Copernic car ce puits de science était son ancien mentor, et qu’Horatius l’avait justement appelé à l’aide au sujet d’une découverte déconcertante qui le faisait craindre pour sa vie.

Résolu à percer l’énigme de cet assassinat réalisé par un archer fantôme, Copernic fait la rencontre d’un étudiant, extrêmement doué mais décidément dissolu et irrespectueux : Paracelse. Ce brillant et jeune agitateur est persuadé qu’un autre crime, celui d’un étudiant amoureux d’Horatius, a été maquillé en suicide. Avec ou sans Copernic, Paracelse compte bien le prouver à la police locale constituée selon lui d’incapables.

Ne tournons pas autour du pot : en cinquante-quatre pages, Blengino et son dessinateur Stefano Carloni ont réussi une petite merveille d’enquête historique. L’emboîtement des déductions fascine d’entrée de jeu, car rapidement, un premier meurtre apparemment insoluble est résolu par les deux héros,... chacun par sa propre voie ! Ce surgissement d’éléments nouveaux et de résolutions en cours d’album qui aboutit aux révélations finales rythme le récit et fascine le lecteur dont l’attention monte en pression, sans longueurs : imparable !

La qualité des intrigues est également redoutable : même pour des scientifiques férus d’alchimie, les déductions ne sont pas alambiquées ! Le scénariste rebondit sur des données connues de la majorité des lecteurs, résolues grâce à des outils d’époque. Il joue également avec son levier de prédilection, l’Histoire. Ici, c’est celle des villes italiennes de la Renaissance, et leurs sempiternelles discordes qui sont convoquées. Sans vraiment entrer en profondeur dans cette politique complexe, Blengino joue des flashbacks pour mieux poser son décor.

Des savants détectives

Enfin, le coup de génie est bien entendu de faire se rencontrer deux savants de renommée internationale, à un moment plausible de leur parcours et de les laisser parler eux-mêmes de leurs ressentis.

Ainsi, Blengino présente un Copernic discourant en public de l’astronomie géocentrique, tandis qu’il se heurte en privé à ses propres démonstrations mathématiques qui bouleversent la conception du monde : la Terre tournerait autour du Soleil ? Cette preuve incontestable peut lui valoir, on le sait, le bûcher.

En contraste, Paracelse affiche toute la superbe de la jeunesse, ne doutant jamais de lui dans sa précipitation juvénile. Blengino présente donc le personnage plutôt que l’homme de sciences. Un choix tout indiqué, car Paracelse est surtout resté dans les esprits pour son esprit de contradiction ; un véritable moteur pour la Renaissance qui débute et sa portée humaniste..

Les lecteurs adeptes de l’histoire des sciences découvrira avec plaisir ces personnages, bien éloignés de l’image policée qu’ils ont laissée dans l’Histoire. Les moins connaisseurs apprécieront une intrigue digne des meilleurs romans policiers.

L’antre de Paracelse, où le jeune rebelle conçoit ses déductions

Un dessinateur inspiré

Pour mettre en scène ce récit, il fallait un graphiste suffisamment inspiré par l’Histoire, mais suffisamment habile pour bâtir un mise en page qui puisse porter cette enquête passionnante. Même s’il ne travaille que depuis quelques années seulement en tant que professionnel, on ressent que Stefano Carloni s’est beaucoup impliqué dans ce récit. Aucun cadrage n’est gratuit : les architectures de l’époque, les sentiments des savants-détectives, les flashbacks ténébreux, ou les inquiétants souterrains de Paracelse.

Même si l’appui photographique se fait parfois sentir, le rendu des planches est très bien maîtrisé, de quoi se laisser happer par l’emprise du récit sans parvenir à le lâcher jusque la fin. La force des atmosphères tient également aux couleurs de Franck Isambert, dont la réussite générale des scènes de nuit ou des flashbacks permet facilement d’oublier quelques contre-jours trop sombres.

A la lecture de cette enquête qui se déroule entre les couloirs de l’université, les alcôves des monastères, le silence des bibliothèques et la campagne italienne, difficile de ne pas voir un parallèle avec l’un des plus grands romans écrits par Umberto Eco qui nous a récemment quittés. Les Savants sont pourtant beaucoup plus accessibles, et procureront d’excellents moments de frissons pour les amateurs d’énigmes et d’Histoire. Une merveille !

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Lire notre précédente interview de Luca Blengino : « Nous avons cherché à tricher de façon consciente. »

Toutes les illustrations sont © Éditions Soleil, 2016 - Blengino, Carloni

 
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5 Messages :
  • "Les Savants", un polar sur fond de Renaissance
    3 avril 2016 13:20, par jfchanson

    Alléché par cet article, passionné d’Histoire des sciences, j’ai acheté l’album et je suis sorti de sa lecture très déçu.
    Il n’y a que quelques planches où Copernic et Parcelse parlent de sciences. Le reste est consacré à une intrigue classique qui aurait très bien pu être mené par n’importe quels autres membres de l’université. Les personnages sont peu approfondis et les situations déjà vues de nombreuses fois. Désolé mais on est très loin de l’originalité du Nom de la Rose.
    Le dessin semble avoir été fait dans l’urgence. Les principaux personnages, par exemple n’ayant jamais tout à fait le même visage. La couleur est trop présente et a tendance à masquer le dessin.
    Pour en savoir plus sur Copernic et autres astronomes célèbres, je vous conseille plutôt la lecture de la série Les bâtisseurs du ciel de JP Luminet. Ce n’est pas de la BD...

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    • Répondu le 3 avril 2016 à  16:53 :

      Les principaux personnages, par exemple n’ayant jamais tout à fait le même visage.

      Ca s’appelle du dessin, sinon on est chez Jean Graton.

      Répondre à ce message

      • Répondu par jfchanson le 4 avril 2016 à  17:05 :

        C’est du dessin, certes, mais expéditif. Peut-être un peu dur sur la deuxième partie de mon message mais pour ce qui est de la déception alors qu’on nous vend le truc comme étant de l’Histoire des sciences et un équivalent du nom de la rose, je maintiens.

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        • Répondu par fichtre ! le 4 avril 2016 à  20:45 :

          C’est vous jfchanson l’auteur de Maroc Fatal qui critiquez les dessins de cet album ?

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          • Répondu le 5 avril 2016 à  07:51 :

            Oui et, malgré quelques progrès depuis ce premier album, je suis toujours un piètre dessinateur, je sais. Je ne dis pas que le dessinateur est mauvais, je dis que sur ce projet, sans doute par manque de temps et/ou d’argent, c’est un peu expéditif. Mais c’est vrai que je ne pourrais pas faire mieux. Est ce une raison pour ne pas dire ce que je pense ? Si je suis ton raisonnement, toi qui sans doute n’a sans jamais publié et qui ne dessine pas, tu ne devrais jamais critiquer un album...
            Je suis aussi prof de physiques en lycée et achète depuis des années tout ce qui parle de sciences en BD. J’avais de grande attente en lisant l’article et fut fort déçu. Je n’aurais peut-être dû ne parler que de çà. Avoue que la comparaison avec Le nom de la rose est limite malhonnête.
            Allez, sur ce, je vais aller relire "Les rêveurs lunaires" de Baudoin et Vilani.

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