Présent dans la dernière sélection face à Monsieur Désire ?, Peirera prétend, Shagri-La et Stupor Mundi, c’est donc finalement Les Voyages d’Ulysse qui se voit décerner le Grand Prix de la Critique ACBD 2017 (communiqué en pièce jointe de l’article). Ce prix vient couronner une carrière entamée par Emmanuel Lepage il y a 25 ans, marquée par de beaux succès dans un registre à la croisée du documentaire, de l’intimiste et du poétique.
Nous retrouvons tout cela dans ce nouvel ouvrage, publié chez Daniel Maghen, auquel s’ajoutent un souffle épique emprunté à Homère et des passions tissées à travers divers récits enchâssés. Les quêtes personnelles des héros se trouvent redoublées par des quêtes esthétiques, conférant ainsi au récit une portée réflexive qui court tout au long de la lecture.
Jules, jeune peintre errant sur les rives méditerranéennes suite à une rupture amoureuse, croise la route de Salomé, jeune capitaine de l’Odysseus à la recherche d’un artiste disparu, Ammôn Kasacz. Tous deux s’embarquent dans un périple faisant écho, directement et indirectement, à L’Odyssée d’Homère, pour retrouver cet homme dont le travail hante notre héroïne.
Splendide par son graphisme qui fait de chaque planche une sorte de tableau - certaines illustrations furent d’ailleurs exposées à la galerie Maghen du 12 au 16 novembre 2016 - et savant par le montage narratif sur lequel repose son récit, écrit par Sophie Michel avec qui Emmanuel Lepage avait déjà cosigné Oh, les filles, on comprend pourquoi Les Voyages d’Ulysse a su rallier les suffrages des membres de l’ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée).
Notons en outre que pour renforcer la dimension spéculaire de son œuvre, Emmanuel Lepage a demandé à René Follet, un de ses maîtres, de fournir les planches représentant le travail d’Ammôn Kasacz, ce peintre que Jules, le héros lui-même dessinateur, fréquenta, et qui partagea sa passion pour la littérature antique avec Salomé, l’héroïne. Comme si un trio d’auteurs devait venir refléter le trio des personnages principaux.
La rupture de ce Grand Prix avec le précédent, Zaï Zaï Zaï de Fabcaro, ne peut que frapper l’esprit. Elle signale la diversité de la bande dessinée et l’éclectisme du palmarès de l’ACBD. Après une œuvre jouant de codes et discours narratifs contemporains et usés, et ménageant une large place à l’humour, retour à une production nettement plus sérieuse et même lyrique, soutenue par un jeu référentiel classique et un travail graphique de haute volée.
Le Voyage aux Îles de la Désolation avant suscité deux avis contrastés parmi les chroniqueur d’ActuaBD : celle de Nicolas Anspach et celle de David Taugis. D’une exigence au moins aussi forte, Les Voyages d’Ulysse pourrait bien laisser en rade certains lecteurs moins sensibles, précisément, à ces registres visuels et littéraires.
Mais voilà qui, d’une certaine manière, correspond assez précisément au mot d’ordre du Grand Prix de la Critique ACBD : "soutenir et mettre en valeur, dans un esprit de découverte, un livre de bande dessinée, publié en langue française, à forte exigence narrative et graphique, marquant par sa puissance, son originalité, la nouveauté de son propos ou des moyens que l’auteur y déploie".
(par Aurélien Pigeat)
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Les Voyages d’Ulysse. Par Emmanuel Lepage (dessin) et Sophie Michel (scénario). Illustrations supplémentaires René Follet. Daniel Maghen. Sortie le 03 octobre 2016. 222 pages. 29 euros.
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Concernant les précédents albums d’Emmanuel Lepage, lires nos articles et interviews :
La Lune est blanche
L’aventure esthétique et humaine d’Emmanuel et François Lepage
Un Printemps à Tchernobyl
« Envisager le fait de ne plus pouvoir dessiner m’était insupportable ! » (Décembre 2011)
Deux chroniques contrastées de Voyage aux Îles de la Désolation : celle de Nicolas Anspach et celle de David Taugis.
Oh, les filles ! T1 et T2
Muchacho T1 et T2 ;
« Oh, les Filles ! traite de la construction de l’identité » (avec Sophie Michel, février 2008)
« Mes personnages sont en quête d’eux-mêmes » (Novembre 2006)
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