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Les Vrais Secrets de la Licorne - Par Hergé - Editions Moulinsart

Par Richard Langlois le 27 juin 2006                      Lien  
Dans un format à l'italienne, on nous offre un véritable trésor : la version intégrale du {Secret de la Licorne} en noir et blanc, parue en 1942 dans {Le Soir} « volé », journal alors aux mains de l'envahisseur allemand. Cette manne nous donne droit aux cases demeurées inédites de ce célèbre album et au lettrage des ballons de la main d'Hergé.

On comprend pourquoi c’est dans Le Secret de la Licorne que le talent d’Hergé atteint son apogée. C’est l’album qui lui permet, en retrait de l’actualité de la guerre, d’explorer un univers imaginaire plus personnel avec une identité nouvelle. Au bout d’un récit avec une intrigue policière bien ficelée, avec des dimensions oniriques et fantastiques, nous découvrons le refuge enchanté de Moulinsart, d’abord hostile, qui deviendra à la fin le lieu métaphorique du trésor-bonheur qui dort en chacun de nous.

Les véritables joyaux de cet ouvrage, ce sont les pertinents commentaires de Daniel Couvreur et de Frédéric Soumois, accompagnés des précieuses recherches documentaires de Philippe Goddin, le gardien attitré du trésor. Les contributions de ce trio nous dévoilent les arcanes de la création au jour le jour durant les années difficiles sous l’Occupation, durant lesquelles Hergé ne voulait pas mettre Tintin entre parenthèse. Ce dernier a opté pour un récit d’évasion totale, en nous plongeant dans un voyage extrême dans l’espace et le temps. Toute la chasse au trésor à partir d’un parchemin qui se lit comme dans Le Scarabée d’Or de Poe, se déroule dans un « ailleurs » très vague, quelque part dans l’Atlantique, dans un endroit assez flou pour échapper à toute censure.

C’est dans Le Secret de la Licorne que Haddock s’impose comme un personnage principal en retrouvant son ancêtre François de Hadoque et que les Dupondt atteignent un sommet du comique, tant au niveau de leur caractère spécifique, de leur discours confus et de leur gestuelle burlesque. Avec la force de ces personnages, c’est la première fois qu’Hergé développe une intrigue assez étoffée qui s’articulera sur deux albums. Goddin nous précise qu’Hergé se révèle au sommet de son art, parce qu’il est enthousiaste, inventif et décomplexé en lançant ses héros dans une nouvelle aventure remplie de magie et de secrets.

Il faut lire en parallèle l’album en couleur de 1943 et la version 1942 pour apprécier les coupures, les ajouts, les corrections jusqu’à l’uniformisation de la ponctuation. Hergé coupe dans les dessins, élimine des éléments du décor pour permettre à la couleur de jouer un rôle narratif et psychologique. Il redessine complètement la Licorne. Les dialogues seront retouchés, mais en perdant des expressions savoureuses aux parfums jugés trop exotiques. Les personnages parleront un français plus académique.

Par coquetterie les « Dupont » deviendront les « Dupondt ». On précisera le vocabulaire maritime et l’architecture des composantes du bateau. On apprend qu’il n’y a pas eu de navire ayant porté le nom de Licorne en France, mais plutôt en Hollande et au Danemark, et plusieurs « Unicorn » anglaise au XVIIe siècle. Hergé a consulté abondamment le livre paru en juin 1942 d’Alexandre Berqueman, L’art de la Mer.

Les observations commentées les plus savoureuses dans ce décryptage méthodique et historique du Secret de la Licorne relèvent de détails documentaires inattendus et très pertinents. Voici juste quelques exemples, donnés en vrac, pour mieux mesurer l’importance et l’ampleur de toutes la recherche soumise. Lors de la promenade au « Marché aux puces » de Bruxelles, Milou se gratte l’oreille...

Parce que les Allemands rationnent l’essence en Belgique, il faut attendre la 83e bande avant de voir un véhicule faire irruption. Hergé dessine des rues et des routes sans voitures. On marche beaucoup dans cet album, comme toute la Belgique occupée.

Dans la version 1943, les décors seront plus raffinés, des bruitages supprimés et des découpages refaits. Ce sera esthétiquement plus plaisant, mais que d’effets prodigieux oubliés ; entre autres le remontage d’une balle de revolver qui, dans la version 1942, passe d’une case à l’autre et procure une rapidité et un frison plus grand dans la lecture. La poursuite de Tintin par un gros chien danois est plus dynamique dans la première version parce que plus proche du dessin animé. Il faut reconnaître que la couleur brise la cocasserie burlesque des bousculades et des chocs de corps et d’objets.

Dès les premières lignes de cet ouvrage, les trois spécialistes de l’oeuvre d’Hergé éveillent notre curiosité, aiguisent notre sens critique et donnent à chaque lecteur une plaisante envie incontrôlable de lire de front les versions 1942 et 1943 de l’ouvrage, si différentes dans les détails. Le judicieux choix de cases en couleur en parallèle avec la version intégrale en noir et blanc s’accompagne de commentaires dont la rigueur sont des modèles d’analyse et de synthèse. Un ouvrage incontournable par l’exactitude sur les faits historiques et la pertinence des explications. Une riche étude qui alimente l’enthousiasme et repaît l’intérêt le plus vorace des tintinophiles les plus affamés.

(par Richard Langlois)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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9 Messages :
  • Étrangement, cette nouvelle date de juin mais, fin août, l’ouvrage ne semble en vente nulle part ! Serait-il retardé, S.V.P. ?

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    • Répondu le 27 août 2006 à  17:43 :

      En fait, il semble que ce bel objet n’ait été vendu que durant une courte période, et en Belgique uniquement ? Maintenant que le matériel existe, pourra-t-on se le procurer en France...?

      Répondre à ce message

      • Répondu par pande le 27 août 2006 à  23:04 :

        Si cela vous intéresse, j’ai un exemplaire à vendre.
        Me contacter : pande1@hotmail.com

        Répondre à ce message

        • Répondu par gordoch69 le 29 août 2006 à  15:06 :

          je suis interesse par Les Vrais Secrets
          quelles conditions ?
          henri-michaud@wanadoo.fr

          Répondre à ce message

          • Répondu par pol le 1er septembre 2006 à  10:30 :

            il sera en librairie la semaine prochaine. soyez patient.

            Répondre à ce message

            • Répondu le 4 septembre 2006 à  11:58 :

              Curieusement, il ne semble annoncé ni sur fnac.com ni sur amazon.fr ; puissiez-vous dire vrai...

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            • Répondu le 9 septembre 2006 à  18:36 :

              Quelqu’un l’a-t-il vu passer en librairie, S.V.P. ?

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          • Répondu par olrik38 le 9 février 2007 à  21:45 :

            album disponible maintenant mais pas de partout
            cordialement déja rare

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  • Secrets de la Licorne - éd. 1942 vs 19 ??
    17 novembre 2007 20:41, par Mr_Blue

    Dans « Les vrais secrets de La Licorne », MM. Couvreur et Soumois ne mentionnent nulle part qu’il pourrait y avoir plusieurs versions de l’album couleur, donnant l’impression que toutes les différences qu’ils décrivent étaient présentes dès sa parution, en 1946. Pourtant, après quelques pages, je me suis rendu compte que l’album couleur que j’avais en main (édition 1966) ne contenait pas toutes ces différences. Par exemple, le remplacement de Dupont par Dupondt (planches 11 et 34) répété ici par monsieur Langlois, n’avait pas encore été effectué. Idem avec « Où reste-t-il ? » (case 10 de la page 12) qui deviendra « Que fait-il ? » seulement dans une version subséquente. Par contre, l’ajout du point d’interrogation dans la case 11 avait déjà eu lieu. Maintenant que je me suis procuré un exemplaire de l’édition de 1979, je vois que c’est probablement cette version qui a servi à la comparaison avec l’originale. Il y a même des différences visuelles non décelables par comparaison de la version originale. Notamment, le grand drapeau de la Licorne était blanc dans l’édition de 1966 mais bleu dans celle de 1979. Quelqu’un sait-il combien de version de l’album couleur ont été éditées ? Celle de 1966 est-elle nécessairement identique à celle de 1946 ?

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