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Les artistes se mobilisent contre la violence faite aux femmes

Par François Boudet le 11 septembre 2009                      Lien  
Plusieurs albums sortis récemment nous incitent à faire le point sur ce sujet de la violence faite au femmes très rarement abordé dans la Bande Dessinée !

L’heure serait-elle enfin venue pour la bande dessinée de dénoncer les maltraitances faites régulièrement et en masse aux femmes ?… Que cela se passe ailleurs dans le monde ou bien chez nous, le phénomène est trop important et ne peut plus rester sous silence.

Après des campagnes d’informations gouvernementales ou associatives (Amnesty International, etc.), il semble donc que le temps soit maintenant à la mobilisation des artistes.

Les artistes de bande dessinée, scénaristes, dessinateurs et coloristes, hommes ou femmes, se mobilisent dans des albums personnels (« Rosangella » de Éric Corbeyran et Olivier Berlion en 2007, « Inès » de Loïc Dauvillier et Jérôme Daviau en 2009, « … à la folie » de Sylvain Ricard et James), ou dans des albums collectif (« En chemin elle rencontre… » aux éditions Des ronds dans l’O dirigées par Marie Moinard).

Si des albums comme « Inès », « Rosangela » ou « … à la folie » traitent uniquement du thème de la violence conjugale, l’album collectif « En chemin elle rencontre… » couvre un horizon plus large : de la violence conjugale à la lapidation en passant par l’excision, le mariage forcé, la traite des femmes en vue de prostitution, le crime d’honneur, le viol, etc…

Nous avons demandé à quelques uns de ces auteurs (Loïc Dauvillier pour « Inès », Sylvain Ricard et James pour « … à la folie », Aude Samama, Kris, Nicoby, Charles Masson, Philippe Caza, Damien Vanders, Jeanne Puchol et Marie Moinard pour « En chemin elle rencontre… ») pourquoi ils avaient réagi, dans une BD, contre cette violence faite aux femmes…

Voici leurs réponses :

Loïc Dauvillier : "À un moment de ma vie, je me suis aperçu que depuis mon adolescence, j’étais régulièrement et indirectement confronté au problème des violences conjugales. Il y a cinq ans, j’ai eu besoin de m’informer sur le sujet. Il y avait trop de questions envahissantes. J’avais besoin de chercher des réponses.
Je n’avais nullement l’ambition d’en faire un livre… Il s’agissait d’une démarche introspective. Et puis, sans que je puisse réellement l’expliquer, j’ai eu besoin d’écrire sur le sujet."

Sylvain Ricard : "Cela faisait longtemps que j’avais envie d’évoquer les violences faites aux femmes dans le monde, que ce soit par "tradition séculaire" (lapidations, excisions, mariages forcés) ou par facilité, pour palier un malaise, une faiblesse ou l’échec de la parole (brutalités, viols, pressions sexistes et autres).

Les artistes se mobilisent contre la violence faite aux femmes

"Ne pouvant adresser ces questions en un seul livre, j’ai choisi ce qui me semblait être le plus proche de ce que je suis amené à côtoyer, à savoir les rapports brutaux entre une femme et un homme (qui pourrait me ressembler du point de vue social), cherchant ce qui motive ces gestes extrêmes de l’homme tout autant que des réactions (souvent nulles) de la femme, du rapport à l’amour dans cette situation et vu par "les autres" (amis, parents, société civile).

J’ai d’abord écrit une pièce de théâtre où je mettais en scène un homme qui violentait puis violait sa femme. Cet homme, cadre dans une grande société, n’est ni alcoolique, ni sujet à des violences subies dans son enfance… bref, à l’opposé de la caricature que l’on fait souvent de ce type de couple. Puis j’ai adapté la pièce, mis en scène ce texte pour en faire ce livre, espérant créer et motiver des discussions autour de ce phénomène récurrent de toutes les sociétés."

James : "Le livre est tout d’abord né d’une envie commune de travailler ensemble avec Sylvain Ricard, et plus précisément en ce qui me concerne de sortir de mon registre habituel quand j’écris. Quand Sylvain m’a proposé le script de « … à la folie », qui était écrit au départ sous la forme d’une pièce de théâtre, je n’ai pas hésité. La problématique soulevée par ce projet rencontrait une de mes grandes interrogations et indignations. A titre personnel, je n’ai (heureusement) encore jamais été confronté à ce type d’expériences, donc il n’y a pas d’écho par rapport à mon vécu. Mais je n’ai jamais compris que quelqu’un puisse en arriver à battre la personne avec laquelle il vit et qu’il est supposé aimer. Surtout que l’équilibre de force physique penche généralement en faveur de l’agresseur. De même, quel lien de dépendance fait que certaines victimes restent vivre avec leur bourreau ? Le texte de Sylvain, qu’on pourrait qualifier d’autopsie d’une relation amoureuse viciée, apportait un éclairage pertinent sur le fonctionnement de ce type de relation. On ne prétend cependant pas expliquer tous les types de cas de violence conjugale dans ce livre, c’est une histoire (fictive) parmi des milliers. De façon plus générale, le machisme et la misogynie ambiante, dont la violence conjugale est une version ultime, m’ont toujours paru être des aberrations, et en tout cas des comportements humains peu glorieux mêlant bêtise, peur et lâcheté."

Aude Samama pour le collectif « En chemin elle renconte… » : "Je suis sensible au sort de ces femmes qui sont poussées à partir, pour des raisons économiques et sociales, hors de chez elles ; elles se retrouvent particulièrement vulnérables et à la merci des proxénètes. J’avais déjà évoqué l’histoire d’une prostituée dans une fiction en BD [1], c’était l’occasion de traiter le sujet de façon plus réaliste et documentée."

Kris : "J’ai participé à ce collectif pour plein de raisons. Mais la première d‘entre elles est tout simplement que j’ai subi, moi aussi, dans ma vie personnelle, ce type de violences. Évidemment, pas directement puisque, jusqu’à preuve du contraire, je ne suis pas une femme, mais celle qui fût un temps mon amie en a été victime. Et ensuite, une autre jeune fille de mon entourage très proche a également subi de telles violences. J’ai donc suivi ça de l’intérieur, dans une affaire très lourde puisqu’elle s’est tout de même soldée par une condamnation à 16 ans de prison pour celui qu’il faut bien appeler le « bourreau »… Bref, ça m’a ouvert les yeux sur énormément de choses et notamment le regard particulièrement faux, injuste et ignorant que portent les hommes sur ces femmes victimes de violences.

C’est donc le point de vue que j’ai adopté : plutôt que de parler à la place des femmes, j’ai préféré faire parler les hommes à leur sujet, ces types qui auraient très bien pu être moi si justement la vie ne s’était pas chargée de m’ouvrir les yeux sur ces réalités. Voilà.

À part ça, il y avait également le désir de répondre à l’appel de Marie Moinard, que j’apprécie autant en tant qu’éditrice qu’en tant que personne, le plaisir de travailler sur un format court avec deux de mes complices habituels Nicoby et Kness, le fait que je crois aux possibilités qu’offre la bande dessinée pour aborder ce genre de sujets, etc.

Bref, des motivations également d’ordre purement artistiques ou de relations humaines. Y’avait de la vie à vivre et à raconter et je ne sais pas dire non à ce genre de choses…"

Nicoby : "Pour le collectif en question, ma réaction est à la fois simple et multiple, d’abord cette démarche se situe au moment où Kris (et Eric T.) et moi finissions le deuxième tome des "Ensembles Contraires", c’était donc l’occasion de prolonger un petit peu cette sympathique collaboration, comme une cerise sur notre gâteau. Ensuite, il y a le sujet du livre en lui-même : Difficile de ne pas avoir envie de réagir devant une thématique aussi effrayante et pourtant quotidienne que les violences faites au femme en général, et contre le viol en particulier. Je crois que ce n’est pas plus compliqué que ça. J’ajoute que le positionnement que Kris a adopté pour le scénario est très malin et
qu’il évite habilement la facilité."

Charles Masson : "La violence faite aux femmes est une préoccupation constante et dans ce domaine, j’ai des exemples scabreux dans mon entourage proche : ma propre famille. On se demande d’ailleurs si l’association des mots "propre famille" est légitime. Étant père, j’élève ma fille en lui lisant " Le deuxième sexe " de Simone de Beauvoir, et j’espère qu’elle sera protégée de ces pratiques séculaires.
Sur un plan privé, je me suis positionné fermement vis à vis de mon entourage, quitte à me brouiller avec des proches ... Vraiment très proches.
Dans ces conditions, me positionner en public et dans une publication sur ce sujet me paraissait évident. Et personnellement, cela me coûtera moins .

Toute mutilation est un acte excessivement grave que je suis amené à pratiquer dans mon autre métier de chirurgien. Quand un geste de mutilation est réalisé, c’est toujours avec retenue et dans un but médical très réfléchi et souvent vital. L’excision est une authentique mutilation dans un but rituel et ce geste n’a pas lieu d’être. Le dire n’est pas "un lieu commun", tant que des fillettes sur cette Terre ne seront pas à l’abri de telles pratiques.
Ça vaut le coup de s’engager pour de telles causes, je l’avais déjà fait pour l’affaire du sang contaminé, je l’ai fait pour les clandestins de Mayotte. Publier me sert à cela aussi."

Extrait de "Awa"
(c) Marie Moinard - Charles Masson / Des ronds dans l’O

Philippe Caza nous a répondu le même texte qu’il a donné dans le livre. Reproduit ici avec l’autorisation de l’éditeur : "Quand le projet m’est arrivé, je revenais de participer au jury de la section « Paroles de femmes » du festival des Très Courts. Coïncidence ou cohérence… ?
Par une sorte d’évidence, tant sensible qu’intellectuelle, la violence faite aux femmes - quelle qu’elle soit, où que ce soit, sous quelque prétexte que ce soit, culturel, religieux, ou sans prétexte du tout - m’est proprement insupportable.
Après, quel que soit le thème, comment le traiter sans manipulation émotionnelle, sans faire mélo ou gore, comment être militant sans donner dans le discours bourré de bonnes intentions et d’ennui ? Alors choisir la sobriété, le sens graphique plus que théorique, et, pour éviter tout aspect raciste ou xénophobe, gommer tout aspect religieux ou ethnique, jouer plutôt le principe « et si ça avait lieu ici, chez nous, Occidentaux blancs-blonds ? »"

Damien Vanders : Plusieurs raisons à cela : d’une part, Marie et Eric ont été très convaincants, Eric dans la sensibilité et la force de son écriture, Marie dans sa détermination, son implication, la façon dont elle m’a présenté le projet... Parce que c’est la violence la plus répandue, que ses victimes le sont par le simple fait d’êtres des femmes... c’est intolérable.
Et bien évidemment, cette histoire qui m’a sincèrement touché et ému, sachant d’autant plus que c’est un témoignage.
J’ai voulu l’interpréter au mieux, le plus justement possible.

Puis la réflexion vient d’elle-même quand on aborde un sujet comme celui-ci : y ai-je été confronté ? Est-ce que je connais, ai-je connu quelqu’un qui a vécu, subit de telles violences ? Puis-je en témoigner ? En connaissance de cause ? Quelle serait ma réaction ?
Et la réponse contient toute cette part d’ombre... Non. Pas que je sache.
Pourtant, je sais que cette violence existe réellement.
Peut-être que cette personne que je connais n’a pas souhaité se confier à moi directement, et il y a toutes les raisons possibles de ne pas le faire, mais surtout, j’ai réalisé qu’elle ne l’a peut-être dit à personne d’autre, qu’elle reste avec ce lourd secret, ces blessures en elle.
C’est cette incertitude, le fait que peut-être, sans le savoir, la réponse est "oui" qui m’a fait prendre conscience de la nécessité de la dénoncer, notamment par le biais de la BD, qui reste un médium et un support d’expression tout à fait adapté pour toucher un maximum de gens, amener une réflexion, un dialogue.

Parce que toutes ces violences ce sont également les remarques, les "blagues", blessantes, machistes, pleines de bêtises... parce que trop d’hommes pensent encore que les femmes méritent ces agressions, ces "punitions légitimes" à leurs yeux... mais aussi parce que des femmes, par peur, ignorance, traditions, acceptent et perpétuent certains de ces actes barbares.
Parce que plus on en parlera, plus il sera admis d’en parler, et plus facilement j’espère on dénoncera ces violences et ceux qui les commettent.

Jeanne Puchol : "Quand Marie Moinard m’a proposé de participer à ce collectif sur les violences faites aux femmes, j’ai répondu « oui » sans me poser la question !
Si j’y réfléchis, je donnerais deux raisons de nature différente.
La première, c’est ce que je sais des violences faites aux femmes par ce qu’en rapportent les médias : un nombre de victimes effarant, que ce soit de violences conjugales ou de viols, que ce soit en France ou à l’étranger ; en même temps, une violence qui tait encore son nom, tant les femmes qui en sont victimes ont peine à en témoigner et à plus forte raison à porter plainte. Même si, pour moi, cet aspect des violences reste abstrait, dans la mesure où je n’en ai jamais été victime moi-même, ni aucune amie proche, c’est bien en tant que femme que je me sens concernée, solidaire de celles qui endurent ces violences spécifiques – les victimes des violences conjugales, des mariages forcés, de la traite… (autres thèmes abordés dans l’album) sont rarement des hommes ; les victimes de viols, à part en prison, aussi.
La seconde raison tient à l’expérience directe que j’ai, non pas de la violence, comme je viens de le dire, mais d’une forme bien particulière d’agression verbale ou gestuelle liées à mon sexe : je doute que beaucoup d’hommes se fassent mettre la main aux fesses dans les transports en commun, se fassent siffler dans la rue ou accoster quand ils sont tranquillement assis à lire dans un jardin public… Je n’ai jamais entendu un homme irrité se faire traiter de « mal-baisé » ou d’« hystérique », toutes gracieusetés réservées aux femmes. Si j’élargis encore cette notion de « violence », je dois constater qu’elle est inhérente, consubstantielle à nos sociétés patriarcales, à ce monde de « domination masculine », pour reprendre les termes de Bourdieu. Les salaires moindres, le « plafond de verre », la faible représentation dans les instances de décisions – politiques ou économiques - , la moindre reconnaissance dans les disciplines intellectuelles – scientifiques ou artistiques -, bref, une forme de dévalorisation systématique des capacités féminines dans quelque domaine que ce soit, tout cela constitue aussi à mes yeux de la violence faite aux femmes  ; une violence insidieuse, certes, mais permanente.
Puisque la bande dessinée est désormais justement reconnue pour sa capacité à rendre compte du monde tel qu’il est, et que c’est mon mode d’expression, il m’a semblé plus intéressant de prendre part au débat par ce biais, plutôt que par un texte, un article ou une prise de parole…"

Marie Moinard : "Pourquoi faire un album collectif de bande dessinée contre la violence faite aux femmes ? Parce que je crois que la bande dessinée est un merveilleux outil de communication. Capable de tirer des larmes (Maus), de faire passer des messages, de servir de document (Persepolis) ou encore, de donner des clés de compréhension en s’adressant au public le plus jeune, celui qui fera changer les choses. Encore faut-il être informé pour pouvoir agir, maintenant c’est chose un peu faite."

Extrait de "Celle des autres"
(c) Kris - Nicoby / Des ronds dans l’O

(par François Boudet)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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[1« En série » - Editions Frémok, 2002.

 
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3 Messages :
  • L’initiative est louable, forcément, mais ce genre d’ouvrage a-t-il réellement un impact ?

    Celles et ceux qui l’achèteront ou qui auront tout simplement envie de le lire sont les gens déjà sensibles ou sensibilisés au problème des violences contre les femmes.

    Je vois mal un mari battant sa femme, la femme battue elle-même, un parent voulant faire exciser sa fille...etc, changer de comportement à la lecture de ce livre. Et encore faudrait-il qu’un grand hasard leur ait mis ledit ouvrage entre les mains.

    Répondre à ce message

    • Répondu par François Boudet le 12 septembre 2009 à  22:23 :

      Le but de ce genre de livres est de faire avancer le débat / prise de conscience de la société, éducation, pression sur les politiques, etc... Il me semble.

      Répondre à ce message

      • Répondu par Oncle François, féministe-débutant, mieux vaut Tardi que jamais (...) le 13 septembre 2009 à  20:56 :

        Je suis bien d’accord avec vous Monsieur Boudet.

        Personnellement, je n’ai jamais frappé la moindre femme, ne serait ce que par le biais d’une rose ! La seule violence dont je sois capable est verbale, dans le cadre d’une rupture désirée.

        Ceci dit, on n’est jamais assez sensibilisé au problème de la violence ordinaire, qui passe inaperçue dans la vie quotidienne. Oui, il y a des monstres qui circulent parmi nous, donc il convient de sensibiliser la grande majorité silencieuse à leur existence, et alors seulement notre monde n’en deviendra que plus informé, responsable et citoyen.

        Répondre à ce message

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