Tandis que le Forum international Cinéma et Littérature ferme ses portes ce dimanche, concurrencé la même semaine par la SCELF (Société civile des Éditeurs de langue française) qui organisait une manifestation concurrente dans le cadre du Salon du Livre de Paris, la question se posait du fossé de plus en plus profond entre les auteurs qui gardent leurs droits cinématographiques et qui en confient la gestion à un agent, et ceux qui cèdent ces mêmes droits dans le cadre du contrat d’édition qu’ils signent avec leur éditeur.
On connaît l’anecdote : Peyo qui avait cédé ses droits dérivés à Dupuis vint le voir au milieu des années soixante pour lui demander de produire des jouets, un fabricant lui ayant demandé la licence de le faire. La main sur le cœur, Charles Dupuis, un honnête homme, jura que jamais il ne vendrait de jouets et lui rendit les droits. Ce qui fit de Peyo un homme riche. Il n’en était pas de même pour les droits cinématographiques. Dès 1964, à l’imitation des éditions du Lombard qui venaient de créer Belvision, Dupuis avait créé son propre studio d’animation pour la télévision, les Studios TVA.
Des droits très encadrés
Depuis 1957, les éditeurs français ont obligation de proposer aux auteurs un contrat cinématographique distinct du contrat d’édition. Le plus souvent, les auteurs signent sans réfléchir. « La différence entre mes collègues et moi, disait Peyo, c’est que je lis le contrat avant de signer. » Cette faculté lui permit peu ou prou de défendre mieux ses intérêts que certains autres de ses petits camarades.
Plusieurs pratiques ont existé : Hergé avait conservé ses droits, de même que René Goscinny ou Jean Van Hamme. Les deux premiers ont toujours négocié directement avec les producteurs, avec un avocat à leur côté. Van Hamme en revanche a élaboré un véritable partenariat avec Media-Participations pour gérer les droits de XIII ou de Largo Winch, Dupuis étant souvent co-producteur de ces films. Mais l’auteur du Milliardaire en Blue Jeans, garde en permanence la haute main sur les décisions prises. D’autres procèdent autrement : un agent, qui n’est pas leur éditeur, gère leurs droits en étant parfois bien moins gourmand que le gestionnaire de ses droits d’édition.
Pas si simple
Alors ? Doit-on céder ses droits cinématographiques à son éditeur ? La réponse n’est pas aisée : souvent les éditeurs considèrent que le crédit qu’ils apportent à l’œuvre en la publiant et le risque qu’ils prennent en la mettant sur le marché, justifie qu’ils puissent récupérer leur mise sur les droits d’adaptation cinématographique. Mais ce faisant, ils les laissent souvent dormir pendant une très longue période, négligeant même parfois d’exploiter l’œuvre principale. Une cession brouillonne des droits peut parfois hypothéquer une œuvre pour longtemps. Il convient donc d’être prudent.
Si ces dernières années, en raison de la multiplication des adaptations de bande dessinée à l’écran, les éditeurs sont sur ce point bien plus dynamiques qu’avant, il n’en reste pas moins que l’auteur se trouve fort démuni face à un éditeur qui détient ses droits mais qui n’en fait rien. Par ailleurs, tant que l’auteur n’est pas un best-seller confirmé, un agent ne s’y intéressera que peu, car il y a trop peu d’argent à gagner. Que faire alors ? Suivre le conseil de Peyo : lire le contrat avant de le signer, et négocier. Il est normal que si, au bout d’un certain temps, le travail de l’éditeur s’avère infructueux, il passe la main à des agents plus aguerris que lui. Un syndicat d’auteurs, le SNAC peut aider l’auteur à négocier ce type de contrat qui prévoit des clauses de sortie au cas où l’exploitation deviendrait stérile.
Mais là-aussi, le rapport de force existe. Un jeune auteur qui n’a jamais publié aura nettement moins de marge de négociation qu’une star courtisée par tous les labels. Joann Sfar négocie les droits comme il l’entend. Il a même créé avec des amis sa propre boîte pour les produire : Autochenille productions. D’autres n’ont pas cette chance. Une franche discussion avec son éditeur et une évaluation concertée des différentes hypothèses dans tous les cas de figure avec l’aide conseils expérimentés peut permettre d’éviter bien des déceptions ou, à tout le moins, de prendre des risques en connaissance de cause.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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