Entertaining Comics (littéralement : BD de divertissement), plus connu sous le label EC Comics, fut créé en 1944 par Max Gaines. Auparavant, l’acronyme avait une autre signification : Educational Comics (BD éducatives) et cet éditeur publiait des histoires historiques, scientifiques ou édifiantes comme La Bible.
Max Gaines ne vient pas de nulle part : dès le début des années trente, il expérimente les BD, très populaires dans les quotidiens, sous la forme de pulps, ces fascicules populaires vendus dix cents, les Dime Novels. Il est l’éditeur, chez Dell Publishing, de Famous Funnies : A Carnival of Comics, considéré par certains historiens comme le premier comic-book de l’histoire.
Mais il meurt en 1947 dans un tragique accident et c’est son fils, William Gaines qui reprend les rênes de la société d’édition. Il revient de quatre éprouvantes années de guerre dans l’aviation et achève juste ses études de chimie à l’université. À son arrivée, la direction éditoriale de la maison prend un virage radical. Il le fait sur ce constat : les comic-books, grâce à Superman et Batman et à leurs succédanés, ont un succès extraordinaire mais les kids reviennent du front avec des récits terribles donnant à la guerre une image un peu moins idéale que celle de Captain America et de ses naïfs collègues en collant. Or, ce sont les premiers lecteurs de comic-books !
William va donc donner à ses publications un tour plus "hard boiled" (dur à cuire) avec des récits de guerre, du roman noir, du fantastique, du suspense, de la SF et de l’horreur, sachant qu’aucune histoire d’horreur ne peut être plus terrible que la guerre. Les kids plébisciteront cette littérature dans le réalisme duquel ils se reconnaissent et dont les récits les distraient au plus haut point de la pesante réalité du quotidien.
Pour ce faire, Gaines Jr s’appuie sur deux génies : Harvey Kurtzman, un dessinateur à la puissance graphique sans pareille et à l’imagination fertile, et Al Feldstein, un petit gars qui avait fait ses classes dans le studio de Eisner & Iger avant la guerre dès l’âge de 15 ans et qui sera l’un des meilleurs éditeurs de son temps.
Ils vont réunir autour d’eux une génération de nouveaux talents : Johnny Craig, Reed Crandall, Jack Davis, Will Elder, George Evans, Frank Frazetta, Graham Ingels, Jack Kamen, Bernard Krigstein, Joe Orlando, John Severin, Al Williamson, Basil Wolverton ou encore Wally Wood.
Avec eux, ils lancent une série de titres légendaires : Tales from the Crypt, The Vault of Horror, The Haunt of Fear, Frontline Combat, Two-Fisted Tales, Shock SuspenStories, Weird Science, Weird Fantasy, etc. Des milliers de pages en noir et blanc d’une qualité fantastique où l’expressionnisme d’un Kurtzman voisine avec le trait raffiné d’un Frazetta ou d’un Al Williamson. Des milliers de pages absolument splendides.
La liberté de ton, des sujets vraiment adultes, alors que les comics sont considérés jusqu’à présent comme une lecture exclusivement destinée à la jeunesse, font le succès de ces magazines mais font aussi se lever une opposition conservatrice activée par les travaux du psychiatre Fredric Wertham, figure d’une violente campagne contre les comics qui aboutit à la création du Comics Code Authority en 1954 et qui contraint Gaines et son équipe à se concentrer sur une création nouvelle : le mythique Magazine Mad, mais c’est une autre histoire...
Ce sont ces histoires-là qu’Akileos entreprend d’éditer ici et nous conjurons nos lecteurs, en particulier les bibliothécaires, de soutenir ce travail fondamental d’édition qui avait été esquissé il y a quelque 25 ans par Doug Headline aux Humanoïdes Associés dans la collection Xanadu et qui mérite d’être offert aux nouvelles génération de lecteurs.
De cet éditeur, Akileos publie Frontline Combat qui comporte la plupart des noms cités plus haut et reprend ces récits de guerre, vus de l’intérieur : guerres contemporaines dans la majorité, mais aussi du passé, comme la Guerre de Sécession ou des guerres romaines avec César en guest-star. 32 petits récits sublimes où le noir et blanc triomphe, que ce soit celui, expressionniste en diable, de Kurtzman ou les volutes de gris du Doubletone [1] de Wallace Wood. Une merveille dont Roy Lichtenstein s’inspirera, notamment à la lecture l’épisode Contact ! d’Harvey Kurtzman. Sublime.
Une fois EC Comics neutralisé par le Comic Code Authority et distrait par l’immense succès de Mad Magazine, un autre éditeur va prendre le relais de cette BD en noir et blanc avec ses récits de guerre qui influenceront bien des auteurs internationaux, parmi lesquels Hugo Pratt, Alberto Breccia ou José Ortiz... : Warren Publishing.
James Warren utilise le même argument que Mad, finalement : par son prix et son format, il s’affirme comme un éditeur pour adultes et prendra le relais du travail pionnier de Gaines. Ses publications, After Hours, Creepy, Eerie, Famous Monsters of Filmland, Help !, et surtout Vampirella à partir des années 1970 vont accompagner le développement sur les écrans d’un cinéma de genre qui se perpétue aujourd’hui avec Walking Dead.
De cet éditeur, Akileos publie Blazing Combat dont le programme est sensiblement le même que Frontline Combat (Kurtzman qui travaille sur le magazine Help ! publié par Warren, est d’ailleurs consultant sur ce titre) mais, publié une décennie plus tard avec la Guerre du Vietnam en ligne de mire et donc des préoccupations fort différentes, son discours est bien plus encore pacifiste.
On y retrouve les Frank Frazetta, John Severin, Al Williamson et Wally Wood,... mais aussi d’autres génies comme Alex Toth ou Gene Colan.
Avec ces deux titres, Akileos montre son ambition : c’est un patrimoine immense et de qualité qui est proposé ici. On regrettera seulement que l’éditeur n’ait pas prévu un cahier reproduisant les sublimes couvertures, de Kurtzman notamment, qui servaient d’écrin aux publications d’origine. Dans une prochaine édition peut-être ?
On attend néanmoins avec impatience les prochains titres annoncés : Crime SuspenStories, une série de 27 numéros où l’on retrouve Frazetta, Wally Wood, Harvey Kurtzman, Jack Davis, Al Williamson… et Tales from the Crypt, une publication bimensuelle de récits d’horreur de Gaines dont l’édition française comportera le contenu des six premiers fascicules (24 histoires) avec des artistes comme Johnny Craig, Al Feldstein, Wally Wood, Harvey Kurtzman, Jack Davis… Un must.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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