On se souvient que la dernière élection présidentielle avait provoqué une avalanche de bandes dessinées à thème politique dont certaines, comme La Face kärchée de Sarkozy de Malka & Riss, devinrent de vrais succès de librairie.
Mais les observateurs –et sans doute le public- finirent assez vite par être agacés par un exercice qui tournait assez vite à un acharnement vide de sens. De la même façon que, dit-on, les saillies des Guignols de Canal + avaient fini par rendre Jacques Chirac sympathique au point de favoriser sa réélection, cette diabolisation de la personne du président de la République devenait contre-productive dans le cadre d’un discours d’opposition.
Mohamed Sifaoui est un des premiers à avoir senti le vent tourner. Avec son Ben Laden dévoilé (dessiné par Philippe Bercovici, éditions 12bis), il produit non seulement un ouvrage drôlatique qui se moque à gorge déployée du leader d’Al Qaïda, mais il en fait une enquête sérieuse et approfondie qui renseigne aussi bien, de façon amusante et synthétique, sur Ben Laden qu’une sérieuse biographie de trois cents pages. La BD devient ici non seulement l’occasion de s’amuser mais aussi d’en apprendre.
Le spécialiste des Islamistes a remis le couvert juste avant l’été avec Ahmadinedjad atomisé (toujours avec Bercovici, éditions 12Bis), une biographie à l’humour enrichi où, à travers le parcours politique du président iranien, on revisite les cinquante dernières années de l’histoire tumultueuse de l’Iran jusqu’aux dernières élections usurpées et aux sorties vociférantes du chef du gouvernement iranien à propos de l’arme nucléaire. Un album agrémenté de notes et d’une bibliographie comme dans un manuel de Sciences-Po !
Une fiction avec des morceaux de vrai dedans
Ces projets font néanmoins peu appel à la fiction. Mais depuis quelques mois, le pas est fait. Avec Quai d’Orsay de Christophe Blain et un ancien membre de cabinet ministériel qui signe du pseudonyme de Abel Lanzac (éditions Dargaud), on nous montre un ministre des affaires étrangères qui ressemble comme deux gouttes d’eau à Dominique de Villepin. La machinerie politique est pour la première fois vue de l’intérieur. Et cela fait frémir tant on y voit mêlés inextricablement petitesse et grandeur. Grandeur d’une mission, d’un pays ; petitesse des hommes qui en détiennent le mandat. L’album fait fureur dans la classe politique. Les cabinets ministériels se le refilent ou se le recommandent. Un article du Monde le cite explicitement dans le portrait d’un collaborateur de l’ancien Premier ministre… Une réussite.
Fiction encore que l’ouvrage La Droite ! Petites trahisons entre amis de Pierre Boisserie, Frédéric Ploquin et Pascal Gros. Cette fois, le narrateur n’est autre que… Nicolas Sarkozy qui raconte à son fils Jean l’irrésistible ascension de son ancien mentor Charles Pasqua avec, au passage, cinquante ans de l’histoire politique de la Ve République. C’est vachard et brillant, magnifiquement synthétisé, tandis que la narration se permet des audaces d’une grande drôlerie.
Le propos ne se contente pas d’être fin et documenté. Il fait appel aussi à l’intelligence du lecteur qui est appelé à deviner qui sont certains des protagonistes, même si en général, les caricatures sont plutôt réussies. La charge est rarement grossière – Charles Pasqua ne passe pas ici pour un abruti, bien du contraire, mais s’autorise parfois des raccourcis surprenants, notamment quand il décrit les relations de l’ancien ministre avec la mafia des jeux ou son rôle dans l’affaire Robert Boulin, un ministre « suicidé » qui pouvait entraver la marche de Jacques Chirac vers le pouvoir.
Un humour provocateur
Les aventures d’ Ingrid de la Jungle par Scotto, Stoffel et Di Martino (Editions Fluide Glacial) jouent davantage encore dans le registre de la provocation. Ingrid Bétancourt est à l’évidence le modèle de cette Ingrid Pétancourt enlevée par les éléments révolutionnaires de la F.A.R.C.E. Galouzeau de Villepin inspire certainement aussi ce Premier ministre qui se transforme en Hulk chaque fois qu’est prononcé le nom de son ministre de l’intérieur. L’affaire Clearstream attire autant l’attention qu’un croc de boucher.
Au travers de ces scénarios de fiction, enrichis de réalité documentée, beaucoup d’informations sur les rouages de la politique. Les auteurs s’adressent à un public mature, renseigné et motivé, lecteur régulier du Canard enchaîné. Comme ils sont paraît-il, chaque semaine, plusieurs centaines de milliers à lire "le volatile" (ainsi que le surnommait le Général De Gaulle), il y a un créneau, pour sûr. Les éditeurs l’ont bien compris.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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