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Les intégrales de l’été (1ère partie) : Félix, enfin le tome 1 !

Par Charles-Louis Detournay le 5 août 2017                      Lien  
Comme chaque année, nous profitons de la trêve estivale pour revenir sur quelques-unes des intégrales marquantes parues ces dernières semaines. Comment mieux débuter ce dossier qu’avec le « premier » tome de Félix ? Un recueil qui marque les débuts de Tillieux avec ce personnage, et dont les intrigues furent notamment reprises avec succès dans les séries "Gil Jourdan" et "Tif et Tondu" !
Les intégrales de l'été (1ère partie) : Félix, enfin le tome 1 !
L’intégrale aux Editions de l’Elan a débuté sa publication en 2015 avec le recueil numéro 5

Chose promise, chose due ! Avec une régularité de métronome, les petites mais passionnées Éditions de l’Élan viennent de publier le quatrième tome de l’intégrale de Félix. Pour nos lecteurs qui ne connaîtraient pas cette série emblématique de Maurice Tillieux, nous les renvoyons vers l’article introductif de cette publication, ainsi qu’aux chroniques des recueils suivants (tomes 6 et 7).

Maintenant que le « trou » laissé par les éditions Deligne, Dupuis & Niffle est comblé (plus d’informations sur cette publication erratique), l’éditeur Daniel Depessemier poursuit le programme annoncé, en recommençant la série par son début, à savoir le premier tome de cette « édition ultime de Félix »[sic] qui sera suivie par les tomes 2, 3, 4 terminant les récits d’Héroïc-Albums repris en couleurs par Deligne et Dupuis dans les années 1980. Pour rappel, cette intégrale se terminera par les volumes 8, 9, 10 et 11, qui compileront cette fois les histoires rééditées par Frédéric Niffle entre 2002 et 2004. Cette « édition ultime » se distinguant entre autres par son format, ses dossiers, la reproduction des couvertures couleurs et des programmes non-stop. Une véritable intégrale, en somme.

Concernant les recueils 5 et 6, les deux premières parutions de cette publication en intégrale qui sont d’ailleurs épuisés depuis des mois, l’éditeur nous confirme qu’ils seront prochainement réédités. Sans doute seront-ils publiés dans la foulée de la parution du tome 4, afin de fidéliser les lecteurs qui débuteraient leur intégrale avec le tome 1 ? À suivre…

Une parfaite introduction à la collection

Le tome 1, qui vient donc de paraître, reprend les six premiers récits de Félix, réalisés par Maurice Tillieux en 1949 dans Héroïc-Albums. Ces histoires ont été publiées en couleurs en 1981 et 1982 par Michel Deligne en deux albums, sous les titres de Trafic de Coco et Réssuscités (ainsi fautivement orthographié). Avec une volonté absolue de fidélité : « Le lecteur pourra sans doute s’étonner que nous ayons laissé les quelques fautes d’orthographe dans les planches de Félix, explique l’éditeur, Mais notre politique est de préserver le plus possible le matériau originel, afin de reproduire une intégrale qui s’approche au plus près des fascicules de l’époque, et des sensations ressenties à leur lecture. »

Cette volonté transparaît à chaque page, apportant un grand plaisir de lecture. Là où les couleurs plus prononcées de Deligne recouvraient parfois le trait de Tillieux, le travail des Editions de l’Elan permet d’allier qualité de la restauration et fidélité dans la reproduction. Ceci se double d’ailleurs d’un intérêt historique, alors que le sixième recueil a été imprimé en 1949 en bichromie. Même si ce procédé coûteux a rapidement été abandonné par Héroïc-Albums, les Éditions de l’Elan ont préservé cette particularité, ce qui renforce son cachet.

Si Félix ne marque pas le début du travail de Tillieux au sein d’Héroïc-Albums [1], la lecture de ces premiers récits permet de préciser ses thématiques de prédilection, son évolution graphique et son inspiration. Ainsi, les liens avec les albums d’Hergé sont nombreux dans ces premières aventures. Sans copier l’auteur de Tintin, on sent que Tillieux s’en est inspiré pour certains éléments ou certaines séquences, entre autres de L’île noire ou de L’Oreille cassée.

Le style graphique de Maurice Tillieux évolue donc dans ces premiers récits. Mais les personnages font de même, que cela soit dans le dessin de Félix dont il faut attendre la fin du recueil pour le voir apparaître, soit dans la composition de l’équipe de détectives qui va débrouiller la soixantaine de mystères concoctés par Tillieux. En effet, Félix débute ses aventures avec Fil-de-Zinc, alors que les deux sans-emploi tentent de survivre dans cette après-guerre très bien dépeinte. Mais ce personnage fait-il les frais d’une ressemblance de plus en plus prononcée avec les Dupondt ?! Quoiqu’il en soit, il disparaît rapidement, évincé par l’humoristique inspecteur Cabarez, venu rejoindre Allume-Gaz embarqué dès la seconde aventure : le trio de choc est formé !

Le célèbre trio est maintenant constitué, Félix dans son look traditionnel, affublé de son désormais béret fétiche.

Toute la saveur des premiers Gil Jourdan

Autre référence que Tillieux a sans doute glissée plus intentionnellement dans Trafic de Coco, le récit jeunesse d’un héros qui devient invisible en glissant son doigt dans un anneau : le célèbre premier roman de J.R.R. Tolkien, Bilbo le Hobbit. Mais cela voudrait signifier que Tillieux, fan de culture américaine, aurait lu ce récit en anglais ? Car si le roman est paru en 1937 en Angleterre, il a fallu attendre 1969 pour qu’il soit traduit en français sous nos latitudes. Nous ne « Sauron » sans doute jamais le fin mot de cette histoire...

Alors que le style graphique de Tillieux s’affine progressivement, son humour point plus rapidement ! Dès les premiers récits, comique de situation et calembours contrebalancent les ambiances oppressantes de ses récits. Preuve, s’il en est, de la qualité de ses réalisations, la majeure partie de ces premières aventures seront réutilisées dans le futur, comme cela fut le cas pour le meilleur des Félix. Les récits 2 (Les Réssuscités) et 3 (Le Gouffre de Kelgaf) furent repris et développés pour le vingtième album de Tif et Tondu : Les Ressuscités, cette fois bien orthographié.

Ce sont bien entendu les enquêtes de Gil Jourdan qui bénéficièrent le plus de ces récits : la réclusion chicaraguayenne a bien des airs de Xique-xique, tandis que Trafic de Coco fut repris et développé pour Popaïne et vieux tableaux. Et l’on fera bien entendu le lien entre Les Mésaventures de l’Inspecteur Cabrez et le premier Gil Joudan, Libellule s’évade, qui reprend toutes les tribulations en paquebot, et surtout la fameuse scène de l’évasion qui scella chacun des trios dans sa série respective.

La presse de l’Après-guerre

Une fois de plus, le dossier de ce recueil mérite une réelle attention. Outre l’article sur les tramways et l’intéressante analyse de chaque récit, Depessemier détaille les débuts d’Héroïc-Albums, tout en dressant un passionnant portrait de son éditeur et premier principal contributeur, François Cheneval. Résolu dans son idée de lancer un magazine qui comporterait une histoire complète à chaque numéro (une révolution – pour ne pas dire une aberration – à l’époque), Cheneval dut demander l’accord de sa mère pour lancer son journal en 1945. Il n’a effectivement que 19 ans à la sortie de la guerre, et la majorité en Belgique est encore à 21 ans !

Le courage ne lui manque pourtant pas, et il s’échine à dessiner seul les premiers numéros, avant que d’autres auteurs ne viennent progressivement le rejoindre. Parmi ceux-ci, on trouve Fernand Dineur, François Craenhals, Fred Funcken, Albert Weinberg, Greg, Tibet, et bien d’autres… Dont bien entendu Maurice Tillieux, qui avait pourtant refusé de travailler au journal lorsque le jeune Cheneval le lui avait demandé. Mais à l’époque, le futur éditeur-rédacteur-scénariste-dessinateur n’avait que 18 ans !

Cette ambiance de publication d’Après-guerre est bien analysée par le romancier-scénariste Étienne Borgers, désormais associé à tous les dossiers de cette intégrale. Il revient en détails sur les diverses publications de l’époque, tant les feux de paille que les piliers, et qui participèrent tous, chacun à sa mesure, à construire l’univers de la bande dessinée pour les dizaines d’années à venir.

L’atmosphère particulière de l’Après-guerre est également décrite. Incontournable, elle a influé sur les scénarios, mais également le format et la pagination des journaux à une époque où le papier se faisait encore rare, ainsi que dans la diffusion de ces périodiques vers la France, un marché incontournable pour les magazines belges.

Tirages et publications

Daniel Depessemier s’attendait à une baisse des ventes pour ce tome 1 : les précédents recueils venaient combler un trou historique, ce qui n’était plus (ou moins) le cas pour cette réédition des premiers Deligne en couleurs. De plus, les éditeurs savent que les ventes des différents volumes d’une intégrale ont tendance à décroître au fur et à mesure de la progression de la collection. L’éditeur a néanmoins maintenu le tirage de 2500 exemplaires, sur base des ventes précédentes.

Il a pourtant été très surpris d’entendre que ce premier tome avait été encore plus vite vendu dans certaines librairies spécialisées. Est-ce que les lecteurs qui ne connaissaient vraiment pas Félix attendaient le tome 1 de l’intégrale pour débuter la série ? En tout cas, une fois de plus, les amateurs ne devront pas trop tarder pour acheter leur exemplaire...

Quant aux futures publications, nous nous sommes bien entendu enquis du futur album mettant en scène Maurice Tillieux dans son propre rôle, comme cela avait pu être le cas dans M’sieur Maurice et La Dauphine jaune réalisé en 2013 par Bruno Bazile (Glénat – Treize étrange).

« Il est encore trop tôt pour en parler !, nous explique l’éditeur. « Je ne sais même pas si nous serons prêts en 2019 ! Oui, le scénario sera bien réalisé par Étienne Borgers et moi-même. Mais peu importe que le trait soit proche ou non de celui de Tillieux, nous cherchons avant tout à traduire l’ambiance spécifique vécue en 1940, lorsque Tillieux arriva Bretagne, poussé par les Allemands. Beaucoup d’éléments doivent encore se mettre en place, et d’ici-là, nous aurons eu l’occasion d’éditer d’autres ouvrages méconnus de Maurice Tillieux. Fin août, nous publions justement son premier roman policier, Le Navire qui tue ses capitaines, illustré spécialement pour l’occasion par René Follet ! »

Quelle passion !

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782960111378

Intégrale Félix : Tome 1 - Par Maurice Tillieux - Editions de l’Elan

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[1Avant Félix, Tillieux avait entre autres réalisé Bob Bang dès 1947.

 
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3 Messages :
  • Il vaut mieux relire ces vieux Félix en noir et blanc que colorisés, ceux de Deligne ressemblaient à de futures soldes !! Et merci pour les préfaces et les non-stop !

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    • Répondu par Lusabets le 7 août 2017 à  08:38 :

      Certes, mais quel bonheur lorsqu’ils sont sortis en librairie (c’était vers 1981 ?) préfacé par Thierry Martens. Le même Martens nous avait fait découvrir les "Félix" avec les Archives Dupuis dans le journal de Spirou dans les années 1970. La déception fut grande lorsque Dupuis (qui avait pris la suite de ces rééditions dans le même format) s’est arrêté.
      Les Éditions de l’Élan font un travail remarquable. Un grand merci à eux.

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      • Répondu par Philippe Wurm le 9 août 2017 à  18:04 :

        Oui ! J’adore ces intégrales qui sont si bien faites. Elles rendent hommage au grand Tillieux et c’est très très agréable de relire les Félix dans des ouvrages si soignés avec les pages "jaunies".

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