Nous vous avons déjà parlé à plusieurs reprises de cette superbe intégrale des aventures de Félix, le premier « grand » héros de Maurice Tillieux qui fit les beaux jours de la revue Héroïc-Albums entre 1949 et 1956. Tillieux reprit d’ailleurs une partie de ces scénarios (environ 25%) pour les séries vedettes du Journal de Spirou quelques années plus tard : son Gil Jourdan, mais aussi Tif et Tondu, Natacha, Jess Long, etc.
Après avoir comblé le trou laissé par les précédentes éditions (Deligne, Dupuis, Niffle) avec la parution des tomes 5, 6 et 7, les éditions de l’Elan sont reparties dans l’ordre chronologique avec la parution du tome 1 l’année dernière. Intéressons-nous aujourd’hui aux tomes 2 et 3 parus respectivement en décembre et juin derniers. Ces deux recueils reprennent respectivement la fin des épisodes parus en couleur chez Michel Deligne et les premiers repris par Dupuis. Mais à l’époque, sans les compléments et fameux « Programmes non-stop » !
En effet, l’actuelle édition a ceci de remarquable qu’elle reprend tout ce que Tillieux a réalisé à propos de son héros Félix, dans les divers magazines, et surtout concernant ces « Programme non-stop », simple strip ou récit complet plus évolué qui étaient destinés à maintenir le contact avec le lecteur lorsque les personnages ne bénéficiaient pas cette semaine-là du fameux récit complet, signature de la formule des Héroïc-Abums.
On retrouve progressivement dans le tome 2 les prémices de cette présence permanente, même si elle ne s’institue sous le nom de « Programme non-stop » que dans le tome 3. Les amateurs de bande dessinée patrimoniale apprécieront la mise-en-place de ces inserts, avec leur suspension pour cause de surcharge de travail, ainsi que leurs petits défauts que la publication chronologie et référencée permet d’identifier (comme l’inversion de strips dans des programmes non-stop 22 et 23).
Tout ceci est admirablement expliqué dans la première partie des dossiers qui composent chaque intégrale. Qu’on apprécie ou pas le style de Daniel Depessemier (il a ses détracteurs), l’éditeur parvient à situer l’atmosphère si particulière de l’époque, tout en faisant le lien avec le cadre éditorial de la revue et les travaux de Tillieux.
Outre le contexte des programmes non-stop et des références analysées pour chaque histoire de Félix, l’éditeur-rédacteur explique chaque particularité en lien avec l’œuvre de Tillieux : pourquoi Félix change de look et ressemble à un autre des héros de Tillieux (Achille) pendant quelques mois ? Comment Tillieux s’essaie à une atmosphère plus humoristique pendant une période, dans la foulée d’une autre de ses séries (Notre Oncle et nous), avant de lui préférer le climat de mystère que l’on connaît, etc.
Les allers-retours entre les récits et les explications des dossiers sont fréquents, vu l’intérêt du contexte historique et politique présenté dans les bandes dessinées et analysé ces introductions. Ainsi, dans le tome 2, l’enquête de Félix se déroule en Allemagne occupée par les Alliés, mais l’on comprend que la police allemande oppose une sourde résistance à ces derniers.
Au Pays du matin calme revient sur la guerre qui se déroule à cette époque en Corée. Le récit est particulièrement bien documenté. Tillieux parvient à maintenir un équilibre entre son style semi-réaliste traditionnel et le graphisme plus réaliste qu’il adopte dans d’autres de ses récits : remarquable !
Cette période réaliste est justement étudiée en détail dans le tome 3 de cette intégrale, par Étienne Borgers, romancier, expert du roman policier et scénariste de plusieurs albums de Natacha. Borgers analyse non seulement le contexte éditorial de ces aventures inspirées par les séries américaines, très en vogue à l’époque, mais il décortique aussi chacune d’entre elles. Dans le tome 2, il procède à une étude fouillée de l’un des lieux incontournables des amateurs de littérature populaire : la bouquinerie bruxelloise Pêle-mêle, une institution encore présente aujourd’hui Boulevard Maurice Lemonnier à Bruxelles qui était le rendez-vous des amateurs de romans policiers, de romans photos et de bande dessinée en son temps fréquentée aussi bien par Maurice Tillieux ou Thierri Martens ou encore par Serge Clerc ou Yves Chaland lorsqu’ils passaient par la métropole belge. Outre les explications concernant cette institution, l’article de Borgers décrit la vie des jeunes Bruxellois de l’époque, et permet de mieux percevoir les sources documentaires utilisées par Tillieux dans ses récits.
Car les ambitions de Tillieux étaient aussi littéraires. Les Editions de l’Elan nous gratifient d’une très belle réédition du premier roman écrit par Maurice Tillieux en 1942 : Le Navire qui tue ses capitaines. Une fois de plus, Daniel Depessemier ne se contente de reproduire à l’identique cet ouvrage rare, il a demandé à René Follet de l’illustrer avec une quinzaine de dessins à la gouache qui en illustrent l’atmosphère. Comme de coutume, cette réédition est également dotée de deux dossiers d’introduction, riches en documents et photos inédits. Les amateurs de Tillieux seront aux anges !
Le scénariste prodige sera encore mis à l’honneur en cette fin d’année, avec la réédition prochaine de SOS Bagarreur (en plus petit format), la bande dessinée réalisée par Tillieux et Follet, ainsi que le quatrième recueil de l’intégrale de Félix. N’oublions pas l’autre événement du mois d’octobre : la sortie dans quelques semaines de Camions du Diable, la suite inédite très attendue de la première aventure de Marc Jaguar : Le Lac de l’homme mort ! Nous vous en reparlerons très prochainement.
(par Charles-Louis Detournay)
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