Avec Turf et quelques autres, Marc-Antoine Mathieu a autant accompagné qu’il a forgé le catalogue caractéristique des éditions Delcourt qui fêtent cette année leur 25e anniversaire, misant sur un univers en noir et blanc généralement déstabilisant et des expériences autant graphiques que scénaristiques.
Son principal héros, Julius Corentin Arquefaques n’a ainsi été que le témoin forcé des tentatives de son auteur de repousser les limites de la bande dessinée : case manquante au milieu d’une page, album tête-bêche sans début ni réelle fin, descente en spirale dans les tréfonds du neuvième art, intégration de la troisième dimension et recherche de point de fuite, etc.
Dans son précédent opus, Dieu en personne, qui avait d’ailleurs reçu le Prix de la Critique en 2009, il avait misé sur la parole pour tenir le lecteur en haleine. A contrario, ce nouvel album fort attendu, 3’’, est quant à lui entièrement muet
L’innovation graphique mise ici en place rappelle le processus précédemment utilisé dans Le Cœur des ombres paru à l’Association dans la collection Patte de mouche. L’auteur y décidait de réaliser un zoom au figuré pour explorer le monde qu’il avait créé.
À la différence de ce dernier petit récit, pour 3’’, il ne joue ici pas des artifices mais se propose de suivre un photon (particule élémentaire de la lumière qui se déplace à 300.000 km à la seconde), afin de faire rebondir sa ‘caméra’ sur la moindre surface réfléchissante et changer ainsi à chaque fois de cadrage et de direction.
Difficile dès lors de résumer la trame de ce récit. S’agit-il d’ailleurs encore d’une réelle histoire, car on peut dire que l’intrigue est divisée en deux instantanés, séparés par un aller-retour Terre-Lune. L’auteur présente d’ailleurs son album comme un « zoom ludique ». Le lecteur doit pouvoir s’appuyer sur les différents détails disséminés dans les cases afin de remonter l’intrigue et peut-être d’en découvrir tous les éléments.
Le résultat est dès lors très enthousiasmant, car après une première "lecture", on se repasse les différentes scènes afin d’identifier les personnages et de démêler les différents fils de l’intrigue. Assez logiquement, l’album ne tentera pas les amoureux d’une lecture purement linéaire, mais les amateurs de casse-tête et d’effets de caméras seront ravis d’entrer dans ce nouveau type d’énigme, en particulier les fans de Marc-Antoine Mathieu.
Cette lecture de papier peut d’ailleurs se doubler du visionnage numérique de cette intrigue, authentique point départ de ce projet. Une partie de ce film est d’ailleurs disponible sur le site dédié à l’album, tandis que sa globalité sera proposé aux détenteurs de l’ouvrage, via un mot de passe. Même si le format convient particulièrement bien à au numérique, cette double présentation est un petit pied-de-nez envers tous les allergiques des nouvelles technologies, à l’heure où le débat fait toujours rage.
Le site comporte également un forum, dans lequel les lecteurs peuvent partager leurs dernières déductions. Mais il vaut mieux avoir déjà bien parcouru le livre afin de le consulter, faute de passer à côté du plein potentiel de l’ouvrage.
Encore un conseil : si vous désirez entrer dans ce livre, que cela soit dans votre train, dans votre bain ou dans un autre endroit plaisant, n’hésitez pas à vous munir préalablement d’un miroir, car cet album mérite décidément réflexion !
(par Charles-Louis Detournay)
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3’’ – Par Marc-Antoine Mathieu - Delcourt
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