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Li Xin, éditeur à Shanghai. "Les Trois Royaumes est un héritage de notre culture"

Par Laurent Melikian le 27 novembre 2013                      Lien  
Pour la première fois, un éditeur chinois de premier plan se déplace en France pour l'adaptation d'une œuvre de son catalogue. M Li Xin est directeur éditorial la Maison d'édition des Beaux-arts du peuple de Shanghai éditeur historique de la bande dessinée traditionnelle chinoise. Rencontre avec un modeste "gardien du temple" de la culture du milieu.

Comment apprécie-t-on "les Trois Royaumes" dans la Chine contemporaine ?
L’histoire de la Chine est très longue. On peut aussi considérer les Trois Royaumes au regard de ce passé comme un héritage de notre culture. On peut établir des parallèles avec notre histoire contemporaine. Par exemple le personnage de Zhuge Liang, conseiller avisé et fin stratège, représente la sagesse. Je pense que M Zhu Enlai (Premier ministre de Mao Zedong de 1949 à 1976) lui ressemble beaucoup. Ces deux personnages sont toujours derrière le bras qui commande. On en rencontre souvent dans les histoires chinoises. Quant à Guan Yu, c’est à mes yeux le héros de l’histoire, il incarne la fidélité, il est synonyme de moralité. Par ailleurs, lorsque je vois l’image réunissant Guan Yu Liu, Bei et Zhang Fei en couverture du premier volume des Trois royaumes, je la perçois comme le symbole de l’amitié.

Li Xin, éditeur à Shanghai. "Les Trois Royaumes est un héritage de notre culture"
Extrait de "Les Trois Royaumes, La bataille de Chibi (tome 19)" par Pan Qinmeng et Liu Xiyong
© Les Éditions Fei et la Maison d’édition des Beaux-arts du peuple de Shanghai

Avant de poursuivre plus loin notre entretien pouvez-vous vous présenter rapidement, ainsi que la Maison d’édition des Beaux-arts du peuple de Shanghai que vous dirigez ?
Je suis un lecteur de lianhuanhua depuis mon enfance. C’est ma passion et ma profession depuis 40 ans. J’ai d’abord été éditeur pendant 20 ans à Chengdu dans le Sichuan et depuis quatorze ans je travaille pour la Maison d’édition des Beaux-arts du peuple de Shanghai qui a été créé en 1952, comme beaucoup de structures éditoriales en Chine. En 61 ans, notre maison a publié plus de 7000 lianhuanhuas. Notre catalogue actuel comprend environ 500 titres que nous rééditons régulièrement et nous publions 20 à 30 nouveautés par an sur des sujets variés.

Extrait de "La Fille aux cheveux blancs"par Hua Sanchuan (1960)
© Hua Sanchuan – Maison d’éditions des Beaux-arts du Peuple de Shanghai

Comment percevez-vous l’histoire de votre maison d’édition ?

Je crois que nos meilleurs livres ont été produits à l’époque où le lianhuanhua était populaire. Des années 1960 à 1980, plus d’une centaine de dessinateurs étaient employés à temps plein par notre maison. Aujourd’hui les jeunes préfèrent les bandes dessinées occidentales ou japonaises, notre maison d’édition reste spécialisée dans la tradition. Beaucoup de gens lisent encore des lianhuanhuas aujourd’hui, j’évalue ce chiffre à deux à trois millions. Ces gens sont pour la plupart nés avant les années 1980.

Extrait de "Les Grands Changements dans un village de montagne" par He Youzhi (1961 – 1962)
© He Youzhi – Maison d’éditions des Beaux-arts du Peuple de Shanghai

La Maison des Beaux-arts du peuple de Shanghai a été créée en 1952. Mais la tradition du lianhuanhua existait depuis plus de 20 ans à Shanghai. Cet héritage a-t-il été un avantage par rapport à vos confrères et notamment ceux de Pékin ?
Le lianhuanhua moderne est effectivement né à Shanghai. En 1952, nous avons collecté tout ce qui avait été publié auparavant. La Maison d’édition des Beaux-arts du peuple de Pékin a également été créée avec des artistes de Shanghai. Je me permets de penser que ; jusque dans les années 1970, notre production a été la plus importante en qualité comme en quantité. Pendant cette période, dans toute la Chine, cinquante milles titres ont été produits dont sept mille à Shanghai. Nous pouvons être qualifié de : "Maison du lianhuanhua".
Les œuvres marquantes éditées par votre maison sont-elles également celles qui ont connu le plus fort tirage ?

Extrait de "Les Guérilleros du Rails" (1954-1962) par Han Heping et Ding Binzeng
© Han Heping et Ding Binzeng,- Maison d’édition des Beaux-arts du peuple de Shanghai

Tout à fait. Nous rééditons toujours deux catégories d’œuvres. D’une part, les adaptations de classiques littéraires que les gens achètent pour le récit comme Les Trois Royaumes. D’autre part les classiques du lianhuanhua comme ceux de He Youzhi ou de Huan Sachuan sont aimés pour leurs dessins. Nous les rééditons en format plus important. Chaque catégorie correspond à des lecteurs différents.
Nous sommes très heureux de voir les Trois Royaumes adapté en français car les bande dessinées de tradition franco-belges me semblent proches du lianhuanhua. Nous souhaitons continuer ce travail entre nos deux cultures, notamment en adaptant, le Rêve dans le pavillon rouge (une des quatre grandes sagas chinoises avec les Trois Royaumes, Au Bord de l’eau et Le Voyage à l’Ouest, NDLR).

Extrait de "Chien-Shiung Wu, la Marie Curie chinoise" par Jiang Ringgen et Zhu Zhihong (2012)
© Jiang Ringgen et Zhu Zhihong - Maison d’éditions des Beaux-arts du Peuple de Shanghai

Comment les dessinateurs des "Trois royaumes" ont-ils été choisis ?
Pour les longs récits comme les Trois royaumes ? le procédé de production était particulier. Les éditeurs concevaient d’abord les textes, puis quatre dessinateurs s’occupaient de créer les personnages, enfin les artistes dont le style s’adaptait le mieux à ce travail étaient choisis. Les grands dessinateurs comme He Youzhi ou Zhao Hongben avaient trop de personnalité pour se plier à cet exercice. Les Trois royaumes a été notre première production de ce type.

Xu Ge Fei et Li Xin lors de la présentation des "Trois Royaumes" au Centre national du Livre
© Laurent Mélikian

La version complète des" Trois royaumes" comporte soixante volumes. Le coffret des éditions Fei se réduit à trente. A-t-il été facile d’opérer une telle réduction ?
Pour les Chinois qui lisent encore des lianhuanhuas, cette version des Trois royaumes est un classique intouchable. Mais le récit original comprend deux cents personnages. Nous comprenons que pour le lectorat français, cela fait trop. Nous avons réfléchi à sélectionner le meilleur de l’intrigue en conservant le destin des personnages les plus importants. Ce ne fut pas un choix trop difficile. Le sel du récit avec ses passages les plus fameux se situe au début et au milieu du roman. Nous avons essentiellement travaillé sur les 40 premiers volumes.

"Au Bord de l’Eau" produit par la Maison des Beaux-arts de Pékin et publié l’année dernière en français par les éditions Fei, avait du être entièrement redessiné dans les années 1980 après que ses originaux aient été détruits pendant la Révolution culturelle. Comment "vos" Trois Royaumes ont-ils été protégés durant cette période ?
À vrai dire, je l’ignore. Pékin est notre capitale et je suppose que les éditeurs étaient beaucoup plus menacés et exposés qu’à Shanghai…

(par Laurent Melikian)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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