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Li Zhiwu (« Au Pays du Cerf blanc ») : « Comme l’histoire d’une nation »

Par Laurent Melikian le 7 juillet 2015                      Lien  
Li Zhiwu occupe une place particulière parmi les auteurs de lianhuanhua, la bande dessinée traditionnelle chinoise. S’adonnant à cette forme de récit en images par passion, il a redonné une vivacité à un genre autrefois dévolu à la culture officielle. « Au Pays du Cerf blanc », qu’il a publié en 2004 et que les éditions de la Cerise viennent d’adapter en français, permet incidemment au lianhuanhua de rejoindre le courant mondial du roman graphique. Et ce n'est pas rien !

En effet, les deux volumes d’Au Pays du Cerf blanc, étonnent d’abord par leurs images aux masses charbonneuses qui ancrent la tradition picturale chinoise dans une réalité plus sombre. Ensuite, ce récit adapté du roman de Chen Zhongshi (publié en France par les éditions du Seuil) offre un regard critique sur l’histoire chinoise du début du vingtième siècle, très éloigné de l’idéalisme révolutionnaire du pouvoir. Li Zhiwu a dessiné une partie de la mémoire chinoise, un œuvre dont l’intérêt se répand au-delà de la Grande Muraille.

Li Zhiwu (« Au Pays du Cerf blanc ») : « Comme l'histoire d'une nation »
Extrait de « Au Pays du Cerf Blanc, tome 1 »

En 2004, vous publiez en Chine Au Pays du Cerf blanc. Pensiez-vous alors qu’il pourrait être adapté dans une autre langue ?

Honnêtement, je n’y avais jamais pensé et mes éditeurs non plus. J’ai été très agréablement par la proposition des Éditions de la Cerise qui m’ont contacté par le biais de Yohan Radomski qui vit à Shanghai. Je me suite vite rendu compte qu’il était sérieux et compétent, sinon j’aurais peut-être cru à un canular !

L’édition française, a été remaniée par rapport au livre original avec une vingtaine de pages supplémentaires. Pourquoi ces ajouts ?
Guillaume Trouillard qui dirige les Éditions de la Cerise a demandé d’ajouter ces quelques dessins pour permettre aux lecteurs européens de mieux saisir le récit. J’ai trouvé ses propositions pertinentes pour enrichir le livre. D’ailleurs, Au Pays du Cerf blanc qui n’est plus disponible depuis quelques mois en Chine va être réimprimé par un éditeur prestigieux. Pour cela, nous adopterons la nouvelle version des Éditions de la Cerise.

Extrait de « Au Pays du Cerf Blanc, tome 1 »

Comment avez-vous voulu devenir dessinateur de lianhuanhua ?

J’ai commencé à prendre des cours de dessin vers mes dix-huit ans, après m’y être adonné en autodidacte depuis l’enfance. À cette époque, au début des années 1980, le genre était en plein renouveau. Je me suis retrouvé très attiré par les œuvres qui renouaient avec la tradition picturale du dessin au pinceau. Je me sentais plus en phase avec ce style que le dessin au trait qui était utilisé par exemple pour les lianhuanhua sur la Seconde Guerre mondiale. Ensuite, j’ai commencé à travailler pour la communication d’une importante compagnie d’assurances qui m’a demandé de dessiner des histoires pour son compte. Quand il s’agissait d’histoires occidentales, j’utilisais le trait au crayon et le pinceau pour les histoires chinoises. Malheureusement, il est difficile de vivre uniquement de la production de lianhuanhua.

Qu’est-ce qui vous a motivé pour adapter Au Pays du Cerf blanc ?

Ce roman fait partie des ouvrages contemporains qui m’intéressent. Il a été distingué le Prix Mo Dun qui est une référence littéraire en Chine. L’histoire se déroule dans la province du Shaanxi dont je suis originaire. Je connais très bien ses paysages et j’ai pensé que mon style correspondait bien à l’histoire.

Comment avez-vous pu réaliser Au Pays du Cerf blanc ?

Le magazine Lianhuahua bao des Éditions des beaux-arts du peuple de Pékin a publié l’histoire en feuilleton en présentant huit images par pages. C’était le seul périodique en Chine qui pouvait se permettre une publication sur un tel délai. J’y ai travaillé pendant deux ans sur mon temps libre, en produisant au minimum trois dessins par semaine. La publication a commencé alors que j’avais déjà effectué 180 pages. Je n’avais que trois mois d’avance…

Extrait de « Au Pays du Cerf Blanc, tome 2 »

Au Pays du Cerf blanc, évoque la répression, la corruption,… Avez-vous eu toute liberté dans votre adaptation ?

En 2004, la Chine était assez ouverte pour pouvoir publier ce genre de projet où comme le dit l’auteur : «  le roman peut se lire comme l’histoire d’un pays ». Je craignais quand même la censure pour les scènes érotiques, mais j’ai été épargné. En revanche, l’adaptation au cinéma plus récente n’a pas pu comporter certaines scènes de corruption. [Le film La Plaine du Cerf blanc, réalisé par Wang Quan’An en 2011 a été présenté au festival de Berlin en 2012, mais n’a jamais été distribué en France, NDLR].

Comment Chen Zongschi, l’auteur du roman original, a-t-il donné son autorisation pour votre adaptation en lianhuanhua ?

Je l’ai tout d’abord contacté par téléphone et il m’a donné un accord oral, puis il a signé une simple lettre ce qui m’a été utile lorsque j’ai proposé le projet à mon éditeur.

Dans sa version originale, Au Pays du Cerf blanc a été édité en deux volumes, dans un grand format comparable à celui de l’édition française. Ces dimensions débordent du cadre conventionnel des lianhuanhua. Comment une telle édition a-t-elle été possible ?

En fait, deux versions ont d’abord coexisté. Une première en petit format traditionnel (10 sur 15 centimètres, ndlr) qui comportait trois volumes et une seconde en deux volumes et en grand format, tel que je souhaitais le voir.

Extrait de « Au Pays du Cerf Blanc, tome 2 »

En janvier 2015 vous étiez présent au Festival d’Angoulême pour présenter le premier volume d’Au pays du cerf blanc. Cette visite aura-t-elle des répercutions sur votre façon d’aborder la bande dessinée ?

En France et notamment à Angoulême, j’ai pu découvrir des œuvres variées aux styles très différents et me familiariser avec les goûts des lecteurs français. Évidemment, cela m’amène à me questionner sur la direction de mes futures créations. Par exemple, devrais-je privilégier la narration ou l’expression graphique pure ? Je dois m’efforcer de développer mes moyens d’expression artistique en tenant compte de ce qui se fait dans le domaine aujourd’hui.

Je me demande aussi si je dois choisir mes sujets en fonction de mes goûts ou en répondant aux attentes du public. Je crois que, quitte à rebuter certains lecteurs, autant aller vers ce qui m’attire vraiment.

Enfin, serait-il préférable d’explorer de nouvelles voies au risque d’échouer ou de s’en tenir au style que je maitrise déjà ? Il est certain que tant au niveau du style que des techniques de narration, je vais continuer d’évoluer, ce qui impliquera peut-être de prendre certaines distances avec la forme classique du lianhuanhua.

Porpos recueillis par Laurent Melikian

(par Laurent Melikian)

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