Disons-le d’entrée : nous avons plutôt bien aimé le dernier Lucky Luke de Jul et Achdé, La Terre Promise (Ed. Lucky Comics / Dargaud). L’auteur de Silex in the city imagine une hypothèse crédible : Lucky Luke serait amené à faire escorte à des immigrants juifs dans le nouveau monde. Jusqu’ici, c’est un sujet que l’on avait soigneusement laissé de côté.
Un Lucky Luke de bonne facture
Du temps de René Goscinny, on évitait de parler de religion dans une bande dessinée grand public au-delà des clichés les plus usuels. Pour éviter les sujets clivants d’une part et surtout parce que la censure veillait.
Depuis Charlie Hebdo, Reiser, Desproges et Vuillemin sont heureusement passés par là et aborder ce sujet est devenu possible sans ambiguïté aucune. Même Astérix, dans un hommage d’Albert Uderzo à son complice, était allé dans la Palestine romaine rendre hommage à sa judéité. [1]
Voilà donc notre famille juive pérégrinant avec le cow-boy à travers les États-Unis avec tous les clichés afférents : le père dans la confection, la mère juive envahissante tentant de marier sa fille, la nourriture cachère, la hora à la Rabbi Jacob (une scène fait nettement allusion au film de Gérard Oury), la scène de Bar-Mitsva, etc. Il y a même un passage où nos immigrés ashkénazes sympathisent avec des indiens… Pieds-Noirs qui chantent « Ah, ce qu’elles sont jolies les squaws de mon pays ! »
L’album est plutôt réussi et respectueux de l’univers même si Jul aurait pu mettre moins de références et tenter de mieux mettre ses trouvailles au service de la caractérisation de ses personnages.
Platitudes humoristiques du PAF
Disons-le d’entrée encore : nous ne sommes pas les plus grands fans de l’émission de deuxième partie de soirée de France 2, « On n’est pas couché ». Déjà, on est accueillis par une longue et pénible introduction où Laurent Ruquier distribue bons et mauvais points avec ce qu’il imagine être de l’esprit. Et puis, l’émission est longue comme un jour sans pain, inutilement et lourdement. Enfin, il y a la confrontation avec les deux affreux Vanessa Burgraff et Yann Moix.
Cela ne s’arrange pas. L’émission qui a rendu populaire Éric Zemmour passe en revue toutes sortes de produits culturels et les soumet à ces « testeurs » qui ne sont pas les meilleurs que cette émission ait connus. L’exercice consiste à jouer l’expert en tout, c’est-à-dire en rien : en musique, en livres de cuisine, en politique, en théâtre, en peinture, en littérature et, dans chacune de ces disciplines, à avoir une opinion sur tout. Ce numéro d’illusionniste est fait avec plus ou moins de talent. Yann Moix, si l’on passe son effronterie surjouée, arrive parfois à articuler l’une ou l’autre idée pertinente. Quant à Vanessa Burgraff, elle ne brille pas, à notre sens, par son intelligence. Elle n’arrive pas à la cheville d’une Natacha Polony ou d’une Léa Salamé.
Il n’y a vraiment que les invités qui sauvent ce programme, sauf quand ce sont des abrutis complets qui tiennent l’affiche, et il y en a souvent, et les dessins d’humour piqués dans la presse qui y mettent un peu d’esprit. On espère que les dessinateurs sont payés...
Nous parlons aujourd’hui de la présence de Jul, dans l’émission du 12 novembre 2016 que l’on peut visionner ICI
Les promos se déroulent comme d’habitude jusqu’à ce que Jul arrive dans le fauteuil et où, après quelques échanges d’usage, Ruquier interroge : « - Vous êtes juif, vous ? » Jul ne répond pas : il s’amuse au contraire de ce cliché que Ruquier explique : « Souvent, il n’y a que les juifs qui peuvent faire de l’humour juif ». Le dessinateur tient au contraire à souligner le caractère universel de l’humour juif qui a influencé bon nombre d’humoristes grâce à Hollywood. Julien Jean-Baptiste intervient avec beaucoup d’esprit en disant qu’en ce qui le concerne, il est influencé par l’humour noir (eu égard à la couleur de sa peau). Ils ont raison d’ironiser : aucune ethnie, ni aucune religion ne produit un humour spécifique. Penser le contraire serait du racisme.
« Êtes-vous juif, oui ou non ? »
Pourtant, la comédienne et humoriste Amelle Chahbi présente sur le plateau insiste et relance : « - Êtes-vous juif, oui ou non ? », et Laurent Baffie d’ajouter « -Mais réponds ! ». Jul répond : « - C’est une question qui n’a pas lieu d’être... » Laurent Baffie ne le laisse pas développer et décoche un : « - Fais voir ta bite ! » face un Jul navré. En face, nos deux affreux professionnels ne mouftent pas…
Quand on en arrive à leur tribunal, Vanessa Burgraff, grande lectrice avouée de Martine -qu’elle compare à Lucky Luke, on voit le niveau- trouve l’album décevant comparé à Silex in the City. Soit, mais on s’adresse, avec le cow-boy solitaire, à un public bien plus large et à quelque chose qui n’est pas, comme dans Silex, l’œuvre d’un auteur : il s’agit d’une licence dont il faut respecter les canons, et d’une collaboration avec le dessinateur Achdé. Nous nous arrêtons pas pour si peu.
Elle reproche l’usage de clichés « ras les pâquerettes ». Or, ce sont précisément les clichés de cette littérature de genre par excellence qu’est le western avec lesquels Morris et ses scénaristes ont toujours joué. Burgraff a beau prétendre qu’elle a déjà lu un Lucky Luke, elle n’en donne pas vraiment la preuve. Elle est d’ailleurs très vite confrontée à cette contradiction : alors que Jul lui explique dans le détail l’une des finesses de l’album, et le jeu des différents niveaux de lecture habituels de cette série, selon que l’on soit un enfant de dix ans ou un adulte, elle se réclame du « lecteur lambda » qu’elle est pourtant loin de représenter…
Yann Moix n’en est pas moins hasardeux dans son analyse. D’abord il attribue la série à Goscinny, alors que le célèbre scénariste n’en est pas le créateur : Morris avait écrit seul neuf albums avant qu’il n’arrive au pupitre et si le créateur d’Astérix en a été certes le scénariste le plus brillant, il est malheureusement décédé prématurément en 1977. Lucky Luke a donc continué pendant plusieurs décennies avec d’autres scénaristes, plus ou moins talentueux il est vrai.
Parmi les meilleurs, on citera Fauche & Léturgie, Lo Hertog van Banda ou Bob de Groot qui n’avaient pas démérité non plus. La « pipeulisation » du casting, avec l’arrivée des Laurent Gerra et autres Benacquista avaient à notre sens un peu affadi l’univers depuis. Avec Jul, au contraire, nous avons un véritable auteur de BD, un « pure player » aux commandes qui connaît bien les dessous de l’univers du personnage.
Photocopie
Autre erreur d’appréciation : c’est l’accusation à l’encontre d’Achdé de reproduire le même dessin d’une case à l’autre : « Jamais Morris ne se serait permis de photocopier un dessin » dit Yann Moix. Or, là encore on voit bien que l’on a affaire à des non-connaisseurs : c’est précisément Morris qui a inventé dans Lucky Luke ce procédé à la Don Martin de Mad qui ironise sur le côté répétitif d’une case à l’autre dans la bande dessinée et qui fige le temps (souvenez-vous du ralenti de Lucky Luke). Un système récemment porté jusqu’à l’absurde par Bastien Vivès qui est pourtant loin d’être un paresseux. De même, ses comparaisons du dessin d’Achdé avec celui d’Uderzo et de Gotlib sont à côté de la plaque. Moix aurait peut-être pu se contenter de dire que le dessin d’Achdé ne vaut pas celui de Morris, ce qui est une évidence.
Quant au fait que Goscinny cachait ses origines juives, une grande exposition prévue au Musée d’Art et d’Histoire du judaïsme prévue en septembre 2017, montrera l’absurdité de cette affirmation. Comme on peut le voir, la bande dessinée reste encore une culture entachée de malentendus et de mépris de la part des grands médias. Il reste encore du chemin à faire… C’est pourquoi ce soir, en ce qui me concerne, je serai couché…
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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[1] L’Odyssée d’Astérix par Albert Uderzo, Albert-René, 1981.
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