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Lupano remet les femmes de la Commune à leur place

Par Charles-Louis Detournay le 5 novembre 2015                      Lien  
"Communardes !" Sous ce titre qui claque comme un cri de ralliement, Lupano brosse une nouvelle fois avec brio des portraits de femmes ancrées dans leur époque. Le résultat de sa collaboration avec Anthony Jean est tout simplement grandiose !

Décidément, le scénariste Wilfrid Lupano imprime de sa marque cette rentrée 2015 ! II a inauguré la troisième saison de 7 avec une burlesque parodie de Blanche-Neige et les Sept Nains, il a "inventé" la Rural Fantasy avec son Traquemage fromager, et il s’apprête à définitivement révolutionner la bande dessinée du troisième âge avec le tome 3 des Vieux Fourneaux qui sort d’ici quelques jours !

Lupano remet les femmes de la Commune à leur place
L’Aristocrate fantôme - Par Lupano & Anthony Jean (Vents d’Ouest)

C’est pourtant sur un tout autre genre qu’on le retrouve, l’Histoire, car il a décidé de mettre en scène la Commune de Paris, mais sous un angle bien différent du Cri du peuple de Tardi (adapté de Jean Vautrin) ! En effet, le scénariste a voulu porter un regard particulier sur le rôle des femmes, et plus particulièrement de trois femmes par le biais de trois one-shots réalisés avec trois dessinateurs différents et publiés à quelques mois d’intervalle.

Ce n’est pas la première fois que Lupano se préoccupe de la condition féminine dans l’Histoire. On se souvient notamment du Droit Chemin(Delcourt), un diptyque qui mettait en scène une aviatrice lesbienne au caractère fort aux côtés d’une jeune bourgeoise en quête d’émancipation. Une fois de plus, ce sont les personnages qui portent les récits de Communardes !, plutôt que les grandes dates de l’Histoire, comme l’explique le scénariste : « Chaque album forme une histoire indépendante et autonome dans laquelle on suit une femme qui a participé à la Commune de Paris, [...] mais on peut retrouver le personnage principal des différents albums dans les autres en tant que personnage secondaire, ce qui constitue une unité. [Chaque récit] incarne un moment très spécifique des événements mais aussi un type de femme qui y a participé. Car ce qui fait la particularité de ces communardes, c’est qu’elles venaient de toute origine sociale : il y avait aussi bien des bourgeoises que des ouvrières ou des prostituées… c’était vraiment un mouvement « vertical ».

L’idée était donc de synthétiser cela tout en proposant de véritables histoires vivantes et romanesques. […] Le contexte historique est évidemment évoqué, mais je voulais surtout montrer le rôle de ces femmes pendant la Commune de Paris, qui a par exemple vu émerger le premier mouvement officiellement féministe de l’histoire de France : l’Union des femmes pour la défense de Paris et l’aide aux blessés. Et à cette époque-là, les femmes sont allées très loin dans leurs revendications, dans leur capacité à s’organiser, mais aussi dans leurs demandes de participer aux grandes décisions – et même d’aller au combat ! Sauf que quasiment tout leur a été refusé, ce qui montre bien que les révolutionnaires de cette époque ne l’étaient pas tant que ça… »

Dans cette planche de "L’Aristocrate Fantôme", on retrouve l’héroïne des "Eléphants rouges"
L’Aristocrate fantôme - Par Lupano & Anthony Jean (Vents d’Ouest)

Une entrée en matière par les yeux d’une enfant

Le récit intitulé Les Éléphants rouges a été dessiné par Lucy Mazel, une jeune dessinatrice italienne qui avait déjà travaillé sur l’adaptation des Nouvelles Aventures du Petit Prince. L’intrigue se déroule en plein hiver 1870, alors que Paris est assiégée par l’armée prussienne, et subit le froid et la famine. Victorine, onze ans, passe le plus clair de son temps à s’occuper de Castor et Pollux, les deux éléphants du Jardin des plantes. Cette passion pour les pachydermes a le don d’énerver sa mère, engagée dans le mouvement des femmes qui veulent s’impliquer dans la défense de la ville. Mais Victorine est bourrée d’imagination, et elle veut être à la hauteur des ambitions de sa mère. Nourrie par les exploits des célèbres éléphants d’Hannibal, elle élabore un plan pour libérer Paris. Un plan génial, démesuré, contre lequel Bismarck ne peut rien. Un plan de petite fille livrée à elle-même dans un monde d’adultes...

Découvrir un moment aussi intense que dramatique de l’Histoire de France au travers des yeux d’une jeune enfant prend toute sa dimension dans cet album. À la fois naïf, touchant et sensible, le récit oscille entre des moments de poésie et de rudes retours à la réalité. Lupano parvient à bien doser ses éléments fictifs pour dépeindre le destin de cette enfant et détaille le quotidien de la Commune subissant de plein fouet le rude hiver de 1870, sans occulter l’Histoire qui continue à dérouler sa toile à l’arrière-plan.

"Les Eléphants rouges" de Lupano & Lucy Mazel (Vents d’Ouest)

A la fois enjoué, dynamique et rigoureux, le dessin de la jeune Lucy Mazel sert parfaitement le propos. Son style contemporain colle à la fraîcheur d’esprit de son héroïne sans créer de gros contrastes avec l’esprit historique. Dommage que le lettrage soit pourtant si petit, car cela casse quelque peu l’équilibre des planches.

Les Éléphants rouges est un album qui propose une douce progression de l’âge de l’enfance vers celui des adultes. Lupano fait un sort aux idées préconçues pour mieux démontrer la réelle place de chaque classe sociale et des femmes, tant au niveau de la chose publique que de la famille. Une belle introduction au récit qui suit, et qui revendique néanmoins sa propre pertinence.

"Les Eléphants rouges" de Lupano & Lucy Mazel (Vents d’Ouest)

Un album flamboyant

Chronologiquement, ce second tome (paru en même temps que le premier) se situe au printemps 1871. Élisabeth Dmitrieff, une ravissante jeune femme russe de tout juste vingt ans arrivée à Paris depuis une semaine à peine. Elle devient la présidente du premier mouvement officiellement féministe d’Europe : l’Union des femmes pour la défense de Paris et l’aide aux blessés. Véritable passionaria socialiste et va-t-en-guerre déterminée, elle est envoyée à Paris par Karl Marx lui-même ! Sa beauté et sa verve, qui la distinguent des autres insurgées d’origines plus populaires, suscitent l’intérêt des « hommes » jusqu’ici peu sensibles aux revendications des communardes. Ainsi, paradoxalement, l’une des premières grandes figures du combat pour le droit des femmes en France était... une aristocrate russe.

L’Aristocrate fantôme - Par Lupano & Anthony Jean (Vents d’Ouest)

Lupano déploie tout son art du portrait dans l’évocation de cette femme apparemment sûre d’elle, mais empreinte régulièrement aux doutes. Dans son sillage, on observe les difficultés que dut affronter la Commune, et par exemple le rôle paradoxal joué par la Banque de France. Son récit met également en scène les oppositions entre femmes, et surtout leur volonté de s’imposer dans un monde en déliquescence. Après un récit au cours duquel on est impressionné par la force et des faiblesses de son héroïne, Lupano conclut sur un final grandiose, un tombé de rideau qui donne furieusement envie de découvrir son troisième acte !

L’Aristocrate fantôme - Par Lupano & Anthony Jean (Vents d’Ouest)

Quant au dessin d’Anthony Jean, il est tout simplement flamboyant ! Abordant en introduction une description des cercles aristocratiques du milieu révolutionnaire, le dessinateur campe en un tournemain un subtil portrait de son héroïne dans une incroyable double page. Cette approche nuancée court tout au long du récit, offrant un éventail d’émotions à cette aristocrate combattante : tantôt enflammée, tantôt perdue, mais toujours femme ! Sa prouesse, alliée à l’intelligence de la construction de Lupano, fait de cet album une des révélations magistrales de cette rentrée 2015 !

Ce deuxième tome se termine en évoquant la fameuse « semaine sanglante » de la Commune de Paris. Le troisième tome lui sera entièrement consacré. C’est la fin de la Commune, explique Wilfrid Lupano, Et les procès qui ont été faits aux femmes, puisqu’on a essayé de montrer à cette époque que c’est parce que les femmes s’étaient mêlées de politique que Paris avait brûlé ! »

On attend un prochain volume signé Xavier Fourquemin qui peut se révêler surprenant pour cette conclusion à paraître en janvier prochain, et intitulée Nous ne dirons rien de leurs femelles : le ton est donné !

L’Aristocrate fantôme - Par Lupano & Anthony Jean (Vents d’Ouest)

(par Charles-Louis Detournay)

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Concernant les récentes actualité de Lupano, lire :
- Quand les auteurs de BD détournent les contes...
- Traquemage T. 1 : Le Serment des pécadous - Par Lupano & Relom - Delcourt
- Les Vieux Fourneaux T1 – Par P. Cauuet & W. Lupano – Dargaud

 
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