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Lyon BD Festival 2018 : la croissance continue

Par Tristan MARTINE Paul CHOPELIN Lise LAMARCHE le 11 juin 2018                      Lien  
Que retenir de la 13e édition du festival lyonnais qui vient de s’achever après trois journées aussi riches que diverses ? Un beau week-end s’achève et il est temps de faire le bilan de la 13e édition du Lyon BD Festival, qui a investi la région lyonnaise durant ces trois derniers jours.

Ce n’est en effet pas seulement la capitale des Gaules qui a accueilli des bulles effervescentes, mais bien l’ensemble de l’agglomération, avec par exemple des expositions à Rochetaille-sur-Saône (Une virée avec Flao, au Musée Henri Malartre), Écully (Les carnets d’Aurélie Neyret, au Centre Culturel), Villeurbanne (l’atelier Vermillon au Bieristan) ou encore Francheville (Emmanuel Lepage en toute latitude, à la Médiathèque).

Au-delà des dédicaces (avec un plateau d’auteurs très fournis, de stars confirmées comme Joann Sfar, Juan Diaz Canales, Ruben Pellejero, Pénélope Bagieu ou Marion Montaigne, à des stars en devenir, comme Benjamin Flao, Cy ou Lucie Castel), ce festival a encore une fois réussi à marquer les esprits par la diversité de son programme.

Lyon BD Festival 2018 : la croissance continue
Ouverture du festival hébergé notamment dans l’hôtel de ville de Lyon
Pénélope Bagieu a reçu le prix d’honneur de la ville de Lyon, vendredi 8 juin, lors de la soirée d’inauguration du festival
Jean Dytar, Léah Touitou et Deloupy en pleine séance de dédicace
Les ateliers de créations BD de Thierry Mery et Philippe Brocard ont fait salle comble et ont réuni les enfants comme les adultes.

Des expositions multiples

Ce sont tout d’abord les expositions qui furent cette année particulièrement remarquables. Nous avons déjà consacré un article et un entretien à « Hugo Pratt, lignes d’horizons », au Musée des Confluences, sans aucun doute la plus belle exposition de bande dessinée en France en 2018. En contrepoint, JC Deveney et le Lyon BD Festival ont organisé une autre rétrospective, plus modeste mais tout aussi stimulante, « N’importe où sauf à Ithaque », consacrée au Corto Maltese de J. D. Canales et R. Pellejero.

Autres créations originales, la relecture de l’Art d’aimer, d’Ovide, proposée par JC Deveney (véritable cheville ouvrière de la bande dessinée lyonnaise) et Sara Quod au Lugdunum - Musée & Théâtres romains (ancien Musée gallo-romain de Lyon) ; ou encore « Scaphandrier à cheval », l’impressionnant investissement du Musée d’Art Contemporain de Lyon par la québécoise Julie Rocheleau.

Sara Quod et JC Deveney reviennent sur la genèse de leur projet autour de l’Art d’aimer, d’Ovide, au Musée Lugdunum

La galerie des Terreaux accueillait de son côté l’exposition « Réfugiés », en partenariat avec la chaîne franco-allemande Arte. Refusant tout misérabilisme, un collectif d’artistes – Nicolas Wild, Reinhard Kleist, Lucie Castel, Didier Kassaï, Damien Glez – évoquait le quotidien des réfugiés et des déplacés dans différentes parties du monde, en donnant la parole aux sans-voix et en reconstituant leur quotidien dans les camps, loin des clichés médiatiques. La partie de l’exposition consacrée aux grandes crises migratoires dans le 9e art se révélait moins convaincante. Outre une scénographie sans grande imagination et un discours très convenu sur la conscience civique des artistes, les panneaux se limitaient à une sélection d’œuvres et d’images qui auraient mérité une plus ample mise en perspective historique.

L’exposition "Réfugiés"

Un peu à l’écart de l’agitation de la presqu’île, le cinéma Comoedia (13 avenue Berthelot, Lyon 7e) accueille jusqu’au 27 juin une exposition consacrée aux affiches de cinéma réalisées par des dessinateurs de BD, des années 1950 aux années 1990. On peut, entre autres, (re)découvrir la mythique affiche de Druillet pour La guerre du feu (1981) ou celle de Tardi Pour La nave va de Fellini (1983), sans oublier le travail réalisé par Hugo Pratt pour l’adaptation cinématographique de son Jesuit Joe (1991). On s’attardera surtout devant la foisonnante, et délicieusement délirante, affiche de Gotlib pour Pataquesse, la version française du premier film des Monthy Python (And now for something completely different, 1971).

Mais on ne trouve pas de l’art que dans les musées ! Outre ce cinéma, ou encore la Comédie Odéon, où l’exposition Héroïnes était reprise, complétée par de nouvelles couvertures produites par des auteurs allemands ou anglais, la bande dessinée se trouvait également ce weekend sur les murs des parkings lyonnais !

L’exposition “Tchô !” retraçait les belles années du magazine du même nom, présentant chacune des séries qui ont fait sa renommée (Titeuf, Ragnarok, Captain Biceps, Paola Crusoé,...), pour la joie des petits et grands. Dans le cadre du Lyon BD Junior, piloté par Sarah Gontard

Depuis 2016, Lyon Parc Auto, la société d’économie mixte gérant les parkings souterrains payants du centre-ville, a décidé d’ouvrir les lieux à la création artistique contemporaine, pour changer l’image des longs couloirs sans âme reliant les caisses automatiques aux espaces de stationnement. Après l’exposition très réussie « La BD en 7 leçons » de Jérôme Jouvray en 2017, la BD investit le parking Terreaux avec l’œuvre de Pénélope Bagieu (jusqu’au 30 juin) et le parking Fosse aux Ours avec l’exposition « Voisins » (jusqu’au 17 juin). Si l’exposition du parking Terreaux se contente de présenter, sans grande originalité, des vignettes biographiques tirées de Culottées, l’espace muséographique plus vaste de la Fosse aux ours permet aux artistes libanais du collectif Samandal de mettre habilement en scène les thèmes chers à ces auteurs, à travers le fil conducteur des relations de voisinage, dans un Liban hanté par les vieux démons de la guerre civile. Un petit bijou à ne pas manquer avant la fin de la semaine.

L’exposition "Voisins", autour de la BD libanaise

Journée pro et tables rondes : de la réflexion et des rires

Il ne s’est pas agi que de montrer de la bande dessinée durant ces trois journées, mais aussi d’en parler. Même s’il est impossible de revenir sur les multiples conférences, tables rondes et autres entretiens, attardons-nous maintenant sur quelques-uns des moments les plus intéressants.

Ferdinand Lutz lors de la rencontre autour de U-R-B, un nouveau voisin, qui proposa des lectures en français de planches projetées en allemand

La journée professionnelle qui se tient le vendredi précédant le festival grand public depuis 2008, et ouverte, comme son nom l’indique, uniquement à environ 200 auteurs, éditeurs, libraires, bibliothécaires et autres étudiants fut l’occasion d’aborder des thématiques très différentes, de la question de la représentation de la sexualité à un état des lieux des manifestations BD en Auvergne-Rhône-Alpes en passant par des masterclass avec Julie Rocheleau ou encore Pellejero et Canales. Retenons néanmoins un débat très intéressant sur le projet « Réfugiés », piloté par Arte, avec Anne-Florence Garnier, directrice de production sur Arte, Nicolas Wild et Lucie Castel, deux auteurs partis dans des camps de réfugiés, au Népal, pour le premier, à Calais, pour la seconde. N. Wild revendiqua ainsi le luxe de pouvoir faire un "journalisme mou", participant à la vie du camp avec les réfugiés, en attendant que les anecdotes viennent à lui sans chercher à les susciter, tandis que L. Castel s’est attachée au portrait des migrants de Calais, qui lui ont raconté une version de leur périple pas forcément conforme à la réalité, mais qui révélait néanmoins leur imaginaire. Il fut notamment question de la différence entre le crayon du dessinateur, et l’appareil photographique ou la caméra des autres journalistes, beaucoup plus intrusifs. Le dessin, vu à la fois comme un artisanat et comme une manière de conserver un certain anonymat pour celui qui se livre, permet de tisser rapidement des liens et de susciter curiosité et bienveillance. Fut aussi posée l’épineuse question de l’utilité d’une telle démarche et des critiques qu’elle peut susciter : Lucie castel affirma qu’il ne fallait pas « avoir peur d’être voyeuriste », et espère qu’un jour les femmes rencontrées et mises en scène dans ses planches liront son récit et se sentiront fidèlement représentées.

Lucie Castel et Nicolas Wild parlent du projet "Réfugiés" lors de la journée pro

D’autres tables rondes plus légères parsemèrent le weekend. On pense par exemple à l’entretien « Parlons Q » mené avec Deloupy, qui sortira chez Delcourt, à la rentrée un album érotique montrant sans jugement moral un couple « infidèle », et Cy, autrice du Vrai sexe de la vraie vie, aux éditions Lapin. Cy essaye dans ses histoires, tirées de témoignages réels, de se défaire d’une vision classique de la sexualité hétéronormée, infusée de représentations issues de la pornographie et de corps idéalisés. Elle expliqua ainsi s’être rendue compte, à la fin de son album, que « toutes ses chattes se ressemblaient », ce qui l’incita à toutes les redessiner. Deloupy, dans son album, évoquera la question du ressenti sexuel des deux points de vue, masculin et féminin, et il s’est donc adjoint une scénariste pour écrire les pages féminines avec plus de justesse.

Cy et Deloupy parlent de Q

Beaucoup moins sexuel fut l’entretien mené avec Marion Montaigne autour de son album« Dans la combi de Thomas Pesquet », durant lequel elle multiplia les anecdotes : comment Thomas Pesquet l’a contactée en laissant un commentaire sur le blog Professeur Moustache, point de départ de leur collaboration ; comment elle est allée en Russie, au Kazakhstan, à Baïkonour ou à Hawaii, sur les traces de l’illustre astronaute ; comment les odeurs corporelles sont fortes dans les combinaisons spatiales, etc.

Un festival accueilli sous les ors de l’hôtel de ville lyonnais

Plusieurs tables rondes ouvraient des espaces aux auteurs pour parler librement de leurs albums. Frederik Peeters est revenu sur L’Homme gribouillé qu’il a dessiné et co-scénarisé avec Serge Lehman. Ce dernier l’avait désigné comme son dessinateur idéal et le projet a séduit Frédérik Peeters, en particulier : "La trame très classique mais assez rare à trouver d’une héroïne ébréchée qui en se reconstruisant répare le monde." Les personnages essentiellement féminins étaient une façon de lutter contre la sous-représentation féminine dans la bande dessinée. Grâce aux indications précises de Serge Lehman, Frédérik n’a eu aucun mal à imaginer les trois héroïnes principales, tout en apportant certains détails, comme le caractère bagarreur de Betty, inspiré d’une rencontre avec une femme qui lui avait raconté qu’elle prenait plaisir à échanger des coups à la sortie d’un bar.
Il a dévoilé en quelques mots son futur projet à paraître chez Atrabile : "Un récit apocalyptique avec un japonais phosphorescent qui traverse un monde en déliquescence." Tout un programme, dont vous pouvez d’ores et déjà consulter les premières images sur son tumblr.

Dédicaces sous lustres

Boulet a, lui aussi, régalé l’assistance d’anecdotes pleines d’auto-dérision. Il passe 6 mois par an à Los Angeles, mais affirme perdre du poids là-bas car tout étant prévu pour les voitures, il marche beaucoup. Les paquets de chips de 5kg aux couleurs du drapeau américain sont assez dissuasifs pour réveiller son "instinct de survie", qui a tendance à s’endormir sur le canapé en France. Quant à la bande dessinée, il se dit partagé entre deux passions : celle du réalisme (son côté scientifique frustré ?) et celle de l’imaginaire. "Sur le papier, tout est possible. Raconter une histoire en quarante pages sur un personnage qui perd une chaussette ne coûte pas plus cher que de dessiner des vaisseaux spatiaux." Boulet a toujours plusieurs casseroles plus ou moins chaudes sur le feu, selon son expression. Le onzième tome des Notes vient de paraître, précédé par sa contribution à la série Infinity 8 dirigée par Lewis Trondheim. Il vient de terminer le scénario du deuxième tome de la trilogie Bolchoï Arena, dessinée par Aseyn, dont le premier tome sortira en septembre 2018.

Samedi soir, Warnauts et Raives présentaient leur dernier album, Sous les pavés, une tranche de vie amoureuse et politique sur fond de mai 68. L’occasion pour les deux complices d’évoquer l’importance de ce moment de libération de la parole et de la pensée, tout en regrettant le rétrécissement actuel des horizons d’espérance de la jeunesse. Les auteurs ont ensuite fait une démonstration, très appréciée du public présent, de leur travail de dessin à quatre mains, tout en évoquant plus généralement leur façon commune d’élaborer un album.

Le spectacle (bien) vivant : un acteur central du festival

Avec ces dessins réalisés en public, on arrive là à ce qui fait la spécificité du Lyon BD Festival : la place centrale accordée au spectacle vivant. Le dessin se prête aisément au jeu et à l’improvisation. Au cours du week-end deux "battles" improvisées se sont déroulées dans la cour de l’Hôtel de Ville. A chaque fois, une contrainte servait de point de départ pour le dessin. Il fallu compléter un dessin à partir de trois traits dessinés au hasard par un spectateur, dessiner sur les thèmes "chapeau et traboules", ou inventer une machine à faire une licorne au saucisson, imaginée en parallèle sur quatre chevalets.

Battle BD, remportée par Antoine Guillaume et Jérôme Jouvray

La bande dessinée a également inspiré le théâtre. Imbroglio, le livre de Lewis Trondheim aux éditions Pattes de mouches, a été mis en scène par la compagnie Lapin 34. Devant un public riant aux éclats, les acteurs ont déroulé les multiples coups de théâtre avec humour et accessoires en carton, sous forme de tableaux aux postures exagérées séparée par les "claps" du metteur en scène, rappelant la succession des cases.

Dans le même temps, la Comédie Odéon a accueilli de nombreux spectacles, associant généralement des acteurs à des auteurs. L’un d’entre eux fut singulier : « La bande dessinée à voix haute ». Ce principe a été conçu par Charles Berbérian, l’objectif étant de lire des planches, sans pour autant les projeter aux spectateurs. Samedi après-midi étaient donc réunis non seulement Berbérian, mais aussi son comparse Philippe Dupuy, ainsi que Brigitte Findakly, Lisa Mandel, Marion Montaigne et Lewis Trondheim. On pouvait craindre l’ennui, et c’est l’inverse qui se produisit ! Berbérian jouait de la guitare et chantait, les auteurs dessinaient en direct pendant que leurs collègues lisaient leurs planches. Ce qui fut surtout remarquable, ce fut la diversité des tons : alors que Marion Montaigne racontait des histoires d’emploi du temps d’astronaute sur le mode potache, Philippe Dupuy parlait représentation artistique de corps décapités dans des photographies des années 1940 !

La bande dessinée à voix haute à la Comédie Odéon

Parmi les multiples lieux de culture investis par le festival, notons enfin l’opéra de Lyon, qui a vu plusieurs spectacles mêlant dessin et musique se succéder ces derniers jours. Ainsi, dans la foulée de la création de son second Batman, Enrico Marini rencontrait dimanche après-midi le compositeur et interprète Julien Limonne pour un concert en dessin mêlant les univers graphique et musical du plus célèbre des hommes chauves-souris. Le Studio de post-production Lyonnais Studio Kord proposait une création musicale originale librement inspirée des univers sombres et intimes des dernières versions cinématographiques du légendaire super-héros. Ce show envoûtant, rythmé par le dessin élégant de Marini et la musique envoûtante nous transportait à Gotham City. Cris de foule, bruits de foire perturbée par des coups de feu, tandis que le dessin nous montre le Joker fuyant à grandes enjambées en tirant sur Batman, tout cela sans un mot, ni oral, ni écrit, nous transporte : une histoire se créé devant nous à l’aide de notre imagination visuelle et sonore et constitue une très belle expérience.

Le Batman de Marini en musique à l’opéra

À l’intention du public jeunesse (mais pas seulement), les réalisateurs Mathieu Frey et Fred Demoor se sont emparés de la série à succès Les Carnets de Cerise d’Aurélie Neyret et Joris Chamblain pour en faire un spectacle simple et beau présenté à l’opéra. La comédienne et contrebassiste Louise Didon incarnait tour à tour Cerise et sa maman devant un choix de cases projetées, accompagnée à la guitare par Fred Demoor. Le conte a ménagé une pause au milieu du récit pour laisser la place à un dessin en direct par Aurélie Neyret.
Le réalisateur Mathieu Frey avait déjà monté un spectacle l’an dernier autour de la bande dessinée Putain d’usine par Efix. Le directeur du festival Mathieu Diez lui a proposé en février de travailler avec Aurélie Neyret, dont il a découvert le travail à cette occasion. Il a ensuite écrit un scénario à partir de celui de Joris Chamblain, qu’il a condensé en s’attardant sur certains personnages seulement, pour monter un spectacle d’une heure. Ils ont beaucoup échangé avec Aurélie Neyret pour aboutir à une collaboration sur scène. Une adaptation très réussie et un beau moment de grâce et de poésie.

Accord entre voix, musique et dessin autour des Carnets de Cerise avec Aurélie Neyret en direct

Toujours à l’opéra, notons le spectacle de Benjamin Flao. Son album Essence a donné lieu à une exposition de planches au Musée Malartre de l’automobile et, donc, à un concert dessiné hallucinatoire avec le groupe Chromb, deux expériences bien différentes de plongée dans l’univers graphique et sonore de l’auteur, dont nous vous reparlerons.

La cour de l’hôtel de ville investie par les bulles

Bref, le Festival continue sa croissance, tout en gardant son ancrage lyonnais et en conservant son atmosphère conviviale. Qu’il s’agisse des expositions, des entretiens, des partenariats internationaux, des spectacles vivants, le neuvième art a vécu un week-end lyonnais particulièrement beau !

(par Tristan MARTINE)

(par Paul CHOPELIN)

(par Lise LAMARCHE)

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