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MEL : Les beaux livres de Monsieur Leclerc

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 19 avril 2016                      Lien  
Ce sont des briques, des sommes, des monuments, consacrés à deux grands auteurs de la bande dessinée et de l'illustration : Lorenzo Mattotti et Nicolas de Crécy. Ils ont pour éditeur un passionné du livre et de la BD qui les publie sous un nouveau label, MEL, comme Michel-Édouard Leclerc, une personnalité qui vaut mieux que l'image un peu réductrice d'icône de la grande distribution.
MEL : Les beaux livres de Monsieur Leclerc
Lorenzo Mattotti - Livres- MEL Publishing

C’est une figure connue et reconnue, une icône des médias, que l’on interroge chaque fois que l’on a à questionner la grande distribution : sur une crise sanitaire, sur la situation des agriculteurs, sur le coût de la vie...

Que cette icône-là se soit intéressée à la bande dessinée, au point de sauver il y a quelques années le Festival International de la Bande Dessinée d’une faillite promise, cela aurait pu être pris comme une opération de communication et c’en était probablement une, car son groupement (les Centres Leclerc ne lui appartiennent pas : c’est un groupement de commerçants indépendants regroupés sous un label et une centrale d’achat communs) constitue l’un des plus gros vendeurs de bande dessinée de France. Le genre d’icône pas forcément appréciée de ceux qui se méfient des capitalistes et qui se contentent d’idées simples, comme Lewis Trondheim qui, à peine nommé président du FIBD, fit campagne en 2006 pour que l’on vire cette figure de la distribution moderne du festival parce qu’il était "pour l’abolition du prix unique du livre. Ce qui causerait des dommages irréparables au milieu. Les petits libraires qui sont nos plus fidèles alliés finiraient par fermer boutique face aux gros distributeurs, entraînant dans leur sillage bon nombre d’éditeurs indépendants et bien plus d’auteurs par effet boule de neige."

Dix ans après, le Prix Unique n’est pas aboli, les libraires spécialisés ne se portent pas si mal et c’est la grande distribution qui souffre, bouleversée par la disparition des grands hypermarchés au profit de petits commerces de centre-ville...

Lorenzo Mattotti - dessins et Peintures
© MEL Publishing
Lorenzo Mattotti - dessins et Peintures
MEL publishing

Or, ce Michel-Édouard Leclerc-là est un passionné de bande dessinée, mais aussi de littérature et d’art. Un petit bout de conversation avec lui montre qu’il les a lues les BD, mais aussi un grand nombre de livres. Vraiment lues, pas superficiellement, nous pouvons en attester pour avoir tenté plus d’une fois de le passer sur le grill, à se demander s’il avait un vrai boulot à côté...

Quand on lui parle de son éviction du FIBD et de Trondheim, il sourit. Il a depuis longtemps passé l’éponge, plaisante quand il veut avec l’auteur si peu susceptible de Ralph Azham, et se concentre sur ses projets d’aujourd’hui et notamment l’animation de la Fondation Leclerc à Landerneau où il a accueilli une importante exposition sur les Révolutions Métal Hurlant et (A Suivre) et une autre récemment sur Lorenzo Mattoti, entre d’autres sur Mirό ou Dubuffet.

Un collectionneur passionné

On connaît par ailleurs son activité de collectionneur. On le croise parfois en galerie, jamais au moment du vernissage, mais quelques heures avant, histoire de choisir les pièces à son aise sous les conseils du galeriste. Dans les ventes publiques, il a son représentant qui sait précisément ce qu’il doit acheter et à quel prix. Que des pièces historiques, signifiantes et si possible esthétiquement irréprochables. Michel-Édouard Leclerc est sans doute un de ceux qui a une des plus belles collections d’originaux de l’Hexagone, laquelle peut rivaliser avec celle d’Angoulême, déjà très qualitative, comme on sait. Pour un futur musée Leclerc de la BD ? Cela se dit, c’est une arlésienne. D’aucuns vous disent sous le sceau de la confidence que le lieu est choisi, que c’est en train de se faire... Chut.

Lorenzo Mattotti - dessins et Peintures
© MEL Publishing
Lorenzo Mattotti - Livres - Dessin pour Caboto
© MEL Publishing
Nicolas de Crécy - MEL Publishing

Et puis, comme un signe avant-coureur, voici son nouveau label d’édition, MEL. Trois titres sont déjà publiés. Ils concrétisent la convergence, de plus en plus évidente ces derniers années, entre la bande dessinée, l’illustration et la peinture. Vers 1900, le galeriste Ambroise Vollard qui déjà popularisait ses peintres au moyen de l’estampe, inventa le "livre de peintre", ce qui nous valut quelques chefs d’œuvres de la littérature illustrés par les plus grands peintres, de Bonnard à Picasso.

Les livres de MEL s’intéressent pareillement jusqu’ici à ces auteurs de BD qui sont aussi de grands illustrateurs et de grands peintres.
Et fait avec eux des "livres d’auteurs de BD."

C’est le cas pour les deux volumes de Mattotti : L’un intitulé Lorenzo Mattotti, Dessins et peintures : l’autre Lorenzo Mattotti, Livres. Ironiquement, ce choix de distinguer les œuvres par leur support vient à contrario de la tendance de fond d’aujourd’hui qui consiste à effacer les frontières entre les arts. "Comment transgresser une barrière aussi globalement résistante ?, s’interroge le regretté critique d’art Pierre Sterckx en préface. Passer d’un média à l’autre ne fut pas chose facile et pour un Lautrec, affichiste, ou un Bonnard, illustrateur, combien de peintres se sont bien gardés de quitter leurs toiles et chevalets pour le papier et l’encre du 9e art..." Il constate que, le plus souvent, les auteurs de BD sont des peintres médiocres : "C’est une question de codes. La bande dessinée a les siens, très différents de ceux de la peinture. Passer des uns aux autres équivaut le plus souvent à pétrifier en peinture ce qui resplendissait en figuration narrative."

Mais il y a des exceptions à cette difficile transversalité : Lorenzo Mattotti en est une : "Lui, il est transversal sans aucune perte d’intensité. [Sur tous ces supports, il] développe des thèmes récurrents qui s’incarnent chaque fois avec éclats : feux, océans, forêts, couples, monstres, etc. C’est l’hétérogène, pluriel et parfaitement cohérent. Mattotti est pictural en imageries."

De fait, le feuilletage de ces deux volumes se fait sans heurt. Tant de belles images, une telle luxuriance de couleurs, de thèmes, de sensations... Ces traits fragiles ou vibratoires, qui deviennent formes : femmes aux courbes gracieuses, hommes au visage chiffonné, arbres et corps se faisant fulgurances dans d’infinies nuances de pastel ; ou encore sentiments : effusion, solitude, mort...

Le volume sur les livres illustrés rend mieux l’impact des influences, en vrac : Chirico, Escher, Crumb, Moebius, Pratt, sûrement, Pazienza et Ever Meulen peut-être, et bien d’autres. On sort de ces ouvrages émerveillé, mais aussi fourbu face à une telle quantité de performances. Quel maître !

Nicolas de Crécy
© MEL Publishing

On n’est pas moins séduit par l’ouvrage sur Nicolas de Crécy. Là encore nous sommes à la rencontre d’un univers singulier, au registre chromatique personnel toute en transparences, une personnalité qui va bien au-delà d’une simple illustration. Là encore des influences : l’art baroque, Moebius, les films Hayao Miyazaki... Un trait vibrionnant, des images qui sont autant d’expériences, pour l’auteur comme pour le lecteur. Une complexité, un foisonnement, toute l’émotion d’un voyage intérieur, une rencontre avec le sublime.

Pfou... Michel-Édouard, continuez comme cela. On en redemande.

Nicolas de Crécy
© MEL Publishing

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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En médaillon : Lorenzo Mattotti © MEL Publishing

 
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19 Messages :
  • MEL : Les beaux livres de Monsieur Leclerc
    19 avril 2016 13:58, par Laurent Colonnier

    une personnalité qui vaut mieux que l’image un peu réductrice d’icône de la grande distribution.

    Icône ? ce type ? vous avez perdu le sens commun ?

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  • MEL : Les beaux livres de Monsieur Leclerc
    19 avril 2016 14:11, par marcel

    A cote de ses illustrations, est-ce qu’on sait si Mattotti doit (enfin) sortir une nouvelle BD ?...

    Répondre à ce message

  • « Ce sont des briques, des sommes, des monuments, consacrés à deux grands auteurs de la bande dessinée et de l’illustration : Lorenzo Mattotti et Étienne de Crécy »

    Vous avez confondu Nicolas avec son frère Étienne.

    Répondre à ce message

    • Répondu par Charles-Louis Detournay le 19 avril 2016 à  19:05 :

      Merci, c’est corrigé.

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  • MEL : Les beaux livres de Monsieur Leclerc
    19 avril 2016 17:59, par Polo

    "c’est la grande distribution qui souffre, bouleversée par la disparition des grands hypermarchés au profit de petits commerces de centre-ville..." Heu... dans quel pays vivez-vous ?

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  • MEL : Les beaux livres de Monsieur Leclerc
    19 avril 2016 18:25, par JBH

    En réponse à Marcel :
    dans Pandora, "Guirlande" est annoncée pour 2016 chez Casterman
    Voir aussi la dernière phrase de l’article de Next :
    http://next.liberation.fr/arts/2016/01/31/lorenzo-mattotti-l-eminence-des-crayons_1430159

    Répondre à ce message

    • Répondu par marcel le 20 avril 2016 à  11:10 :

      Merci beaucoup de l’information !
      Du coup, avec le titre, j’ai reussi a trouver plus d’info : c’est annonce pour 2017 par Casterman, et c’est un gros volume de 400 pages (!!) en N&B.

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  • MEL : Les beaux livres de Monsieur Leclerc
    19 avril 2016 19:12, par Pierre

    Pinaillons : "fait partie de l’un des plus gros vendeurs de bande dessinée de France"...
    Ne serait-ce pas plutôt "est un des plus gros vendeurs de bande dessinée de France", ou "fait partie des plus gros vendeurs de bande dessinée de France" ?

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    • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 19 avril 2016 à  22:45 :

      Pinaillage justifié. C’est corrigé, merci.

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  • Pour info : (C) ça s’écrit &copy ; en html
    (pas d’espace avant le point-virgule ) et ça donne ©.

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    • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 20 avril 2016 à  07:21 :

      Merci du tuyau.

      Répondre à ce message

  • "c’est la grande distribution qui souffre, bouleversée par la disparition des grands hypermarchés au profit de petits commerces de centre-ville..."

    Ahahahahahahahah. You made my day.

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    • Répondu par kyle william le 21 avril 2016 à  00:38 :

      "c’est la grande distribution qui souffre, bouleversée par la disparition des grands hypermarchés au profit de petits commerces de centre-ville..."

      C’est vrai que c’est vraiment énorme cette phrase ; Il faut la noter pour la replacer. Si c’est une maladresse, c’est magnifique. Sinon, c’est encore un des poissons d’avril tellement hilarants et réussis dont Actua BD devient coutumier.

      Répondre à ce message

      • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 21 avril 2016 à  07:42 :

        Le sarcasme comme argument, elle est là, la blague. Nous ne faisons pas de 1er avril en dehors de cette date, sans doute ne l’avez-vous pas remarqué, distrait que vous êtes.

        Vous ne devez sans pas non plus être un lecteur régulier d’ActuaBD où ce genre d’analyse est régulier et largement étayé comme dans cet article.

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      • Répondu le 21 avril 2016 à  12:29 :

        Cela peut sembler paradoxal après 25 ans de discours de la BD 48cc, commerciale de supermarché qui tue la créativité… mais la vente en hypermarché de bandes dessinées n’est plus ce qu’elle était. Internet et la vente en ligne est passée par là, les consommateurs changent leurs habitudes aussi. Tout cela à remodelé la grande distribution. L’affirmation de Didier Pasamonik est bien fondée.

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        • Répondu le 21 avril 2016 à  17:14 :

          Sauf que la grande distribution ne souffre pas de la disparition des grands hypermarchés puisque les petits commerces de centre-ville appartiennent à la grande distribution (city market leclerc, carrefour city, monoprix etc).

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          • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 21 avril 2016 à  19:22 :

            Je parle bien évidemment de la situation du livre qui avait une grande place dans les grandes surfaces dans les années 1980 et qui, depuis, en raison de la réduction de leur nombre au profit de magasins de proximité dans les centre-villes, points de vente où il n’y a quasiment pas de livres, voient leur chiffre d’affaires affecté dans ce secteur pourtant moins risqué (droit de retour des invendus...) et meilleur contributeur de marge que les produits frais par exemple.

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        • Répondu le 21 avril 2016 à  18:41 :

          "au profit de petits commerces de centre-ville..." précise t-il.

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          • Répondu par kyle william le 22 avril 2016 à  10:34 :

            Merci pour les précisions fournies, il s’agissait donc en effet d’une maladresse plutôt hilarante (et ce n’est pas un sarcasme de le dire , encore que l’art du sarcasme me semble pratiqué de part et d’autre sur ce site, qu’en effet, je ne fréquente pas tous les jours, la BD n’étant pas toute ma vie).
            Pour rendre compréhensible le passage incriminé, il faudrait en effet citer ce passage de votre article, plus éclairant : "Dans la rubrique économique des grands journaux, on vous fait état des difficultés du groupe Carrefour qui s’apprête à vendre sa filiale de supermarchés discount Dia sous la pression d’actionnaires toujours plus exigeants en terme de rentabilité. Par ailleurs, le marché est en train de muter, les grandes surfaces se réduisant en faveur de magasins urbains de proximité comme Carrefour Market, Casino, Daily Monop, Simply Market… où le livre est pour ainsi dire inexistant. Seuls les centres Leclerc (parce que c’est un groupement de magasins indépendants) résistent un peu à cette tendance."
            Reste à se demander si ça a un sens de déplorer que les épiceries de centre-ville ne vendent pas de livres et de BD…

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