Dans un premier temps j’ai tout fait pour éviter de dessiner Dieudonné, prétextant que je ne voulais pas lui faire de pub, alors que la vérité était autre. Il m’écœurait. Mais son nom faisant la “Une” des journaux pendant deux semaines, j’ai compris que je n’avais pas le choix. J’ai aussi compris que le dessiner ou non ne changerait rien à la situation. Maintenant que le dessin est fait, est venu pour moi le moment d’écrire.
Afin d’expliquer clairement ma position, j’ai choisi de définir un certain nombre de termes :
1. Quenelle :
Pour ceux qui s’obstinent à y voir un innocent geste anti-système, j’ai des mauvaises nouvelles. C’est un bras d’honneur enfoncé jusqu’à l’épaule dans le fion des juifs et des sionistes. Ceux qui chaque jour mettent en ligne des photos de quenelles joyeuses à Birkenau, au Mur des Lamentations ou au Mémorial de la Shoah l’ont très bien compris.
2. Anti-système :
Ne pas payer ses impôts à l’état, ne pas payer ses amendes aux tribunaux, organiser son insolvabilité fiscale n’est pas anti-système. C’est juste illégal. Le petit commerce banal de la haine est devenu le système même.
3. Spectacle d’humour :
Quand sur scène on incite au racisme et à l’antisémitisme, quand on regrette la fermeture prématurée des chambres à gaz tout en les niant, quand on porte atteinte à la dignité humaine, on s’exclut automatiquement de la catégorie “spectacle d’humour” et on s’inscrit dans la triste catégorie “meeting politique de propagande raciste”.
4. Censure :
Interdire un spectacle, c’est censurer. Interdire un meeting politique illégal, et payant de surcroît, donné par un multi-récidiviste notoire, c’est appliquer la loi.
5. Antisionisme/antisémitisme :
L’antisionisme, aussi radical soit-il, est une position politique légitime.
L’antisémitisme est une forme particulièrement perverse de racisme punie par la loi dans de nombreux pays, dont la France. L’antisionisme d’extrême droite et d’extrême gauche d’aujourd’hui est le miroir aux alouettes dans lequel se complait le visage du nouvel antisémitisme.
6. Négationnisme :
Le négationnisme est l’enfant bâtard issu de l’antisémitisme et du national-socialisme.
7. Liberté d’expression :
La liberté d’expression n’est pas et ne peut pas être absolue. Je me bats pour cette liberté fondamentale à travers mes dessins éditoriaux. Pour ma liberté autant que pour celle des autres. La Convention européenne des Droits de l’Homme garantit la liberté d’expression mais interdit d’abuser de ce droit.
8. Interdire :
Je ne pense pas qu’interdire Dieudonné soit “lourd de conséquences pour la liberté d’expression”. Au contraire je pense que ne rien faire aurait été lourd de conséquences pour la parole libre au profit de “la Libre Parole” (c’est, on s’en souvient, le journal d’Édouard Drumont [l’un des fondateurs de l’antisémitisme politique NDLR]). C’eût été ouvrir à tous, sans signalisation et sans péage, l’autoroute de l’antisémitisme.
9. Cartooning for Peace :
Dans le débat tendu qui s’est tenu entre Finkielkraut et Plantu sur iTélé, mon ami Plantu a évoqué notre association Cartooning for Peace qu’il a fondée avec Kofi Annan, comme exemple d’espace de dialogue dans la diversité et le respect. Il a montré des dessins qui égratignent toutes les religions, réalisés par des dessinateurs de confessions et de cultures différentes. Il est monté au créneau, comme nous le faisons souvent, pour défendre à tout prix la liberté d’expression. Il n’a pas compris, comme essayait de le lui expliquer son interlocuteur, que ce n’est pas la religion juive que Dieudonné attaque, ce sont les juifs, tous les juifs, le peuple juif. Et ce avec une haine antisémite nauséabonde, dangereuse et mercantile de surcroît. Il aurait dû avant tout condamner ces propos et celui qui les profère.
10. Plantu :
Plantu est un homme que j’admire pour son talent et son courage, un homme de cœur, généreux et sensible. Notre amitié m’est chère et ne sera pas entachée par cette faute grave qui me peine. Le dialogue est la base de notre relation même s’il faut parfois entendre des choses qui révoltent ou attristent.
Michel Kichka
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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