Après l’école des Beaux Arts d’Angoulême et un passage dans l’animation, Tiburce Oger s’est fait connaître par des séries éditées chez Vent d’Ouest comme Gorn ou encore la Piste des ombres . À son arrivée chez Rue de Sèvres il renoue avec le western : c’est le flamboyant Buffalo Runner. Scénariste et dessinateur, il s’attaque aujourd’hui au genre biopic avec le récit de l’épopée de son grand-père durant la Seconde Guerre mondiale.
Engagé en 1943 chez les francs-tireurs et partisans de La Rochelle, Guy-Pierre Gautier s’initie aux sabotages et au renseignement. Le courage et l’insouciance du jeune homme seront, en partie, à l’origine de son arrestation et de celle de son réseau de résistance. Aux interrogatoires et tortures par la Gestapo, suit un emprisonnement par des gendarmes français avant un voyage infernal dans des wagons à bestiaux qui aboutira au sinistre camp de concentration de Dachau .
À force de caractère, de ténacité et de résistance, le jeune homme meurtri dans sa chair verra au terme d’un récit poignant apparaître les premiers G.I. Américains le délivrer, lui et ses compagnons d’infortune. Il sera encore long le chemin jusqu’à la cérémonie de remise de la Légion d’honneur, un matin pluvieux de 2015 à la Roche sur Yon. Point de départ du travail de l’auteur.
Le récit ne néglige aucun détail de la captivité de ce jeune homme d’à peine dix-neuf ans. L’emprise sur les corps et les esprits est traduite de manière sensible par le graphisme nerveux et tourmenté d’Oger. Un trait agité et tendu servi par les tons sombres, délavés, saturés d’humidité et de violence, utilisés par le dessinateur pour mieux nous faire ressentir non seulement la crasse et le froid de ce lieu de cauchemar, mais aussi la violence absurde des kapos toujours à la limite de caricatures grotesques, le tout dans une lumière crépusculaire qui accentue le malaise.
L’auteur n’a pas la prétention de faire œuvre d’historien, encore moins de moraliste. En nous attachant au destin de son ancêtre, il privilégie l’émotion et le sensible. Ce jeune homme, ni héros, ni martyr, cherche d’abord à survivre au cœur d’un conflit irrationnel et démesuré. Le titre Ma guerre, y compris dans sa graphie est là pour insister sur la vision subjective et très personnelle de ce témoignage, un parti-pris totalement revendiqué et assumé.
L’épopée de Guy-Pierre Gautier rappelle avec pertinence, qu’au delà du massacre des corps, le massacre des Juifs, des homosexuels, des tsiganes ou des résistants a aussi brisé des destins, des rêves et des vies qui commençaient.
Comme en écho à l’exposition Shoah et Bande Dessinée, le travail de mémoire réalisé par Tiburce Oger insiste d’abord sur la dimension humaine et intime de l’horreur.
À travers cette histoire à partager, à faire connaître pour ne pas oublier, il apporte sa contribution à l’émotion collective et au devoir de mémoire. Une contribution intime et personnelle qui n’en est pas moins essentielle.
(par Patrice Gentilhomme)
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