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Malédictions - Kevin Huizenga - Coconino Press/Vertige Graphic

Par François Peneaud le 12 octobre 2006                      Lien  
Kevin Huizenga revient pour une collection d'histoires fantastiques d'origines diverses. De la belle BD.

Si dans le premier volume de Ganges, Kevin Huizenga mettait en avant son personnage de Glenn Ganges, il l’utilise ici comme prétexte pour présenter cinq histoires de malédictiojns, parfois cocasses, parfois oppressantes, dans un album de 128 pages aux récits en noir et blanc, en bichromie et en couleurs, qui reprend des travaux déjà publiés ci et là.

Nous commençons avec Green Tea (Thé vert), d’après Sheridan Le Fanu [1], où un Glenn Ganges étudiant devient accro au thé vert, et voit apparaître un chien tenant dans sa gueule une main humaine, un chien que lui seul peut voir. Il fait vite le parallèle avec sa lecture d’un texte du XIXème, trouvé par hasard, où un homme est tourmenté par un singe à lui seul visible - il s’agit bien évidemment de la nouvelle de Le Fanu. Huizenga s’amuse à ne pas résoudre le problème de Glenn, le laissant face au dérisoire remède préconisé par le médecin racontant le cas de l’homme au singe. L’humour noir est une façon comme une autre de laisser ouverte la fin d’un récit. On peut remarquer que pour cette mise en abyme, l’auteur utilise un dessin moins rond, rempli de hachures créant une obscurité réelle et figurée, dans un style qui n’est pas sans rappeler celui de Dylan Horrocks, l’auteur de Hicksville.

Le deuxième récit est plus court mais plus touchant. Glenn trouve dans sa boîte aux lettres une carte postale présentant un enfant disparu voici plusieurs années (comme les fameuses photos sur les boîtes de carton de lait) avec deux photos : l’une tel qu’il était à sa disparition, l’autre de la dernière personne adulte avec laquelle il a été vu, elle aussi disparue. Glenn se lance alors dans l’une des rêveries éveillées dont il a le secret, et fait défiler les photos des jeunes disparus et de leur accompagnateur, dans tout leur poignant mystère. À cela s’ajoute pour Glenn le passage dans sa rue de deux jeunes africains qu’il imagine faire partie de ces orphelins soudanais accueillis en grande pompe par les États-Unis. Les dix pages de cette histoire sont donc d’une grand densité et l’auteur parvient à ne jamais tomber dans la pathos, malgré les sujets difficiles qu’il aborde. Son découpage sobre mais varié apporte une facilité de lecture certaine, et le passage d’une planche de dix cases remplies de texte à une autre de sept cases muettes est un joli moment de narration réfléchie.

Le troisième récit est le moins contemplatif, et c’est un euphémisme. Glenn et Wendy n’arrivent pas à avoir d’enfants. Après avoir consulté divers médecins, ils finissent par s’adresser à des charlatans qui leur conseillent de cocasses solutions, ce qui donne l’occasion à Huizenga de faire preuve d’un humour léger mais entraînant. Glenn finit par apprendre qu’il est sous le coup d’une malédiction et qu’il lui faudra pour la rompre trouver un ogre se cachant quelque part dans la ville, et lui arracher une plume. Visuellement, l’auteur se lâche. La scène fantastique qui voit les rues de la petite ville se remplir de monstres, comme celle où Glenn rencontre enfin l’ogre, sont bien différentes des tranches de vie quotidienne qui peuplent habituellement les histoires de l’auteur, mais Huizenga fait preuve de la même maîtrise narrative sans frime.

La quatrième et éponyme histoire de cet album conte le destin des étourneaux européens jadis amenés sur le sol américain en 1890 (pour des raisons littéraires que nous laissons découvrir au lecteur), et qui conquirent les cieux du nouveau monde tout en montrant leur formidable capacité de nuisance. Huizenga semble bien s’amuser avec ses bulles onomatopéiques qui remplissent le champ visuel du lecteur, et donc celui auditif des personnages.

Enfin, cinquième histoire, Jeepers Jacobs, la seule en couleurs, met un coup de projecteur sur un séminariste conservateur rencontré par Glenn lors d’une partie de golf. Jacobs est en train d’écrire un article intitulé L’Enfer est-il vide ?, problème d’une importance théologique considérable... si l’on est croyant, ce qui n’est pas le cas de Glenn - la malédiction du titre de l’album serait-elle ici celle de l’obsession d’un salut post-mortem ? Selon l’état d’esprit du lecteur, les pages remplies de propos de divers théologiens sur la question pourront paraître rasoir, passionnantes, ou hilarantes. En tout cas, Huizenga ne relâche pas son travail narratif, et nous offre de belles planches au rythme soutenu, en dépit (ou à cause ?) des thèmes abordés, et finit l’album sur une pirouette cruelle mais amusante.

Malédictions n’est pas aussi impressionnant du point de vue narratif ou thématique que peut l’être Ganges, mais la publication de ce gros album dresse un portrait certainement plus varié des talents de l’auteur.

(par François Peneaud)

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[1Auteur de Oncle Silas et de Carmilla, qui inspira entre autres le Dracula de Bram Stoker et Vampyr, le superbe film de Carl-Theodor Dreyer. On peut lire la version originale de la nouvelle de Le Fanu ici.

 
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