Les années Thierry Martens à la direction de Spirou (1968-1978) avaient été difficiles. Il lui avait été confié de renouveler le journal, de remplacer les « grands anciens » par une génération nouvelle. Il y était à peu près parvenu, Malo Louarn faisant partie de ses recrutements. Franquin avait abandonné la série-titre du journal et clamait haut et fort à tous ceux qui essaieraient de lui succéder que cette reprise était un piège pour un jeune auteur. Jean-Claude Fournier s’y attacha cependant, dès 1969, avec un enthousiasme bon enfant. Ce n’était pas médiocre, juste un peu trop tendre après les épisodes canoniques signés Franquin et Greg et le dessin énervé de Franquin dans Panade à Champignac. En plus, on lui avait enlevé le marsupilami, ce qui donnait à sa série « un goût de moins ».
Le journal est maintenant dirigé par Alain De Kuyssche, un journaliste talentueux venu de chez Télémoustique, l’autre grand hebdomadaire de la maison. La rédaction est affaiblie. Martens s’était vu imposer l’aventure surréaliste du Trombone illustré qui consista à insérer un supplément pour adultes dans un journal pour la jeunesse. Du jamais vu. Imaginez Fluide Glacial encarté dans Le Journal de Mickey ! Il y avait de quoi tourner chèvre. En outre, le journal devait affronter des « hauts de pages » signés Conrad & Yann, animations graphiques trempées de commentaires acides qui mettaient en fureur les grands auteurs classiques du journal, Franquin et Delporte exceptés.
Le portrait d’une époque
La France et la Belgique sont en train de changer d’ère. Le pouvoir giscardien, produit des « Trente Glorieuses », frappe à la fois par sa grande technocratie (celle qui mit sur rails le TGV et la Communauté économique européenne) et par son désarroi, provoqué notamment par le premier choc pétrolier conséquence notamment de la déclaration unilatérale par les États-Unis de l’inconvertibilité du dollar en or, jusque-là le socle de l’économie mondiale, causant un marasme économique dont les effets se ressentent encore de nos jours. En France, la bataille politique fait rage, la Gauche déclarant l’union des socialistes et des communistes, machine à prendre le pouvoir. C’est dans ce contexte qu’arrive Le Candidat de Malo Louarn.
Le dessin est un pur produit de « l’école bretonne » dont Jean-Claude Fournier est le chef de file : du gros nez à la Franquin, un héros « gaston-lagaffisant » et une galerie de personnages secondaires plus truculents les uns que les autres fleurant l’anarchie un peu subversive : technocrates arrogants, hommes politiques corrompus et malins, hommes d’affaires cyniques et ventripotents, huissiers à face de croque-mort, publicités infantilisantes et mensongères, urbanisme aliénant, etc. Si ce n’est les détails (radios FM, téléphones traditionnels, ordinateurs énormes…), l’intrigue n’a pas pris une ride.
Un propos politique qui fait peur aux Dupuis
Dans le volume suivant de cet auteur, La Vedette, la recette est un peu la même : un ingénu est porté aux nues sur la base de quelque quiproquos gonflés par la machine médiatique. Le « foot-business », tel qu’on l’a connu pourrissant l’équipe de France est déjà là, tout entier dessiné en pied.
Un avant-centre recruté à prix d’or, Popov, le « canonnier de Vodkagrad », doit sauver l’Olympic FC de la faillite, pensent ses dirigeants. Mais à la réception, ils se trompent de Youpoltchèque et la machine s’emballe jusqu’au paroxysme, dans une embardée frénétique dont Malo Louarn a le secret. Car on a le verbe haut dans ses bandes. Les personnages s’engueulent à s’en faire péter l’aorte, étalant avec obscénité leurs méprisables ambitions politiques ou financières. L’argent fou, le mercantilisme des publicitaires, les petits arrangements des politiques… Là encore, le propos garde toute sa virulence.
C’est d’ailleurs elle qui provoque la rupture entre l’auteur et son éditeur. Lors d’une élection régionale, le directeur commercial de Dupuis-France supplie Charles Dupuis de sortir l’album du Candidat. L’éditeur carolorégien s’’y refuse. Il ne veut pas qu’un de ses albums soit utilisé politiquement. L’auteur décida de publier l’album lui-même, en noir et blanc. Diffusé à bout de bras, il s’en vend 11.000 exemplaires. Encouragé, l’auteur va publier La Vedette en couleurs. Philippe Vandooren, arrivé entre-temps à la direction éditoriale de Marcinelle, en prend ombrage et stoppe la série au milieu du troisème album, refusant de payer au-delà de la 20ème planche. Malo Louarn est viré de chez Dupuis.
Qu’importe, il continue seul sa carrière atypique : Il devient dessinateur à FR3 Bretagne et à Antenne 2 (À nous deux, de Patrick Poivre d’Arvor), publie pour Ouest-France les aventures de Rona à partir de 1985 (5 albums parus), une sorte de Gil Jourdan à la sauce bretonne où l’on retrouve de succulents portraits quasi archétypaux de la « France d’en bas » confrontée à la cupidité et à la bêtise de la bourgeoisie et de la faune politique locale. Il multiplie les travaux publicitaires, écrit quelques scénarios pour les copains, et développe aussi la série Commissaire Keuye crée spécialement pour l’éditeur allemand Boisselle & Löhman. Tout cela en partageant son quotidien avec ses quatre enfants et sa femme agricultrice.
Retour en librairie
Ce talent manquait d’un éditeur de confiance. Bruno Bertin par ailleurs auteur de la série Vick & Vicky et également fondateur du label P’Tit Louis et son éditrice Muriel L’Hénoret se sont attelés à la tâche, renumérisant les originaux et refaisant la mise en couleurs. Il est même prévu d’achever à la rentrée le troisième volume du triptyque La Vedette suspendu à la planche 20. Il publie également Les nouvelles aventures de Rona.
C’est un plaisir de retrouver Malo Louarn dans toutes les bonnes librairies. Dans l’ambiance politique qui est la nôtre aujourd’hui, ses albums ont le mérite de remettre au goût du jour le discours militant et la préoccupation des gens modestes.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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