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Manolosanctis joue la carte de l’édition participative

Par Baptiste Gilleron le 27 novembre 2009                      Lien  
Lancée à la rentrée 2009, cette nouvelle maison d'édition créée par trois jeunes entrepreneurs est arrivée dans le paysage de la BD francophone avec un pari plutôt original: celui d'un fonctionnement communautaire, alliant diffusion numérique gratuite et albums papier vendus hors du circuit de distribution habituel. L'équipe, accompagnée de leurs deux premiers auteurs publiés, profitait du festival de Saint Malo en octobre dernier pour se présenter au public.

Il y a quelques jours nous vous parlions du lancement prochain de Sandawe, une nouvelle maison d’édition donnant la possibilité aux internautes de co-produire les albums, à l’instar de sites tels My Major Company dédiés, pour leur part, à la production musicale. Le concept développé par Manolosanctis diffère de Sandawe ou encore de Foolstrip sur différents points.

Ici tout d’abord, pas de sélection à l’entrée. Chacun est libre de s’inscrire et de déposer des travaux finis ou non, comme nous l’explique Maxime Marion, le directeur artistique. « C’est quelque chose qui a fait peur à beaucoup de gens. On est vraiment sur une optique d’albums qui peuvent évoluer et s’enrichir. Et comme la finalité c’est d’être édité, on a quand même une meilleure qualité que ce à quoi on pouvait s’attendre. Beaucoup de gens croient vraiment qu’on a sélectionné ce qu’il y a sur le site ». L’ensemble des albums en ligne peut être lu et partagé gratuitement par tous via une visionneuse maison plutôt bien conçue, et les membres inscrits (qu’ils soient auteurs ou simples lecteurs) peuvent noter et commenter aisément ces récits, comme ils pourraient par exemple le faire sur un blog.

Manolosanctis joue la carte de l'édition participative
La page d’accueil de Manolosanctis

Vient ensuite l’aspect éditorial de la chose. C’est ici qu’entre véritablement en compte l’atout communautaire de cette entreprise. Le comité éditorial de Manolosanctis prend en effet en compte les avis et coups de coeur des lecteurs dans ses choix qui aboutiront en albums physiques. Maxime Marion nous en dit plus sur ce principe : « C’est un processus qui mélange vraiment les deux. Il n’y a pas une méthode arrêtée. En gros les internautes sont comme un premier comité de lecture qui permet de nous montrer et de nous donner des indications sur ce qui peut plaire ou pas et, même si un album en ligne n’a pas beaucoup de fans, quelques personnes pourront vraiment faire une promotion et faire remonter l’album dans le top. Par exemple, "Base Neptune" de Renart à trusté la première place dès le début. Mais sinon ça dépend, c’est du cas par cas. C’est pas simplement "vous votez et on édite". »

Et les ambitions des trois créateurs sont plutôt conséquentes. Ils envisagent de sortir entre un et trois albums par mois. Le président Arnaud Bauer nous en parle. « Pour l’instant on est sur un par mois et après on va accélerer. L’idée c’est de sortir 20 albums sur 2010 avec à peu près 100 000 ventes attendues. Pour l’instant on n’est vraiment pas déçus parce que le lancement se passe bien. On est vraiment très contents, on commence vraiment à avoir des bons échos, on commence à être un peu connus dans le milieu, et maintenant le but c’est de s’élargir sur le grand public. Maintenant, est-ce qu’on a vu trop gros, ça n’est pas impossible, mais c’est vraiment trop tôt pour en juger, je pense qu’on pourra en reparler dans deux ans et on verra si oui ou non on avait des ambitions trop élevées. »

Couverture du recueil "Phantasmes"
© Manolosanctis

Pour mettre leur concept à profit au maximum et proposer de nouvelles choses, l’équipe de Manolosanctis a décidé de lancer régulièrement des recueils thématiques réalisés sous forme de concours. Tout auteur, amateur ou professionnel, peut y participer en réalisant une histoire courte selon un thème et certaines contraintes. Ensuite, les internautes votent pour leurs récits préférés et un jury constitué pour l’occasion détermine ensuite la vingtaine de gagnants, parmi les plus appréciés, qui constitueront l’album collectif édité. Leur premier recueil intitulé Phantasmes est parrainé par Pénélope Bagieu et sera disponible sur la boutique à partir du 2 décembre. Les participations retenues peuvent être lues en suivant ce lien. « Pour "Phantasmes", nous explique Maxime, c’était un peu spécial. On avait un jury mais en gros les choix du public comptaient comme un membre important du jury. Il n’y a pas de cas où tout le monde était complètement d’accord mais ça a quand même vachement bien marché. »

Comme indiqué plus haut, ces trois entrepreneurs (avec Mathieu Weber pour la direction technique) ont fait le choix d’une distribution des ouvrages uniquement par vente en ligne, si l’on excepte évidemment les festivals BD où ils seront présents. Arnaud nous a expliqué les raisons de ce choix. « Concrètement c’est le plus gros pari du projet. On s’est rendu compte que, dans l’industrie du livre et donc de la BD, une grosse partie du prix de vente partait dans le circuit de distribution. Ce qui veut dire qu’on se retrouve avec des auteurs payés modestement, d’autant plus pour les petits tirages, et des éditeurs qui, du coup, sont obligés d’assurer un peu leurs arrières en faisant des trucs qui vont vraiment se vendre parce qu’il faut qu’ils en écoulent beaucoup. Donc ils ne peuvent pas trop se permettre de sortir des trucs un peu trop originaux, qui sortent un peu trop des grandes lignes. Pour nous, le but c’est de découvrir des nouveaux talents, c’est de sortir des choses que les gens ne connaissent pas forcément, pouvoir avoir une politique éditoriale super variée et aussi de mieux payer les auteurs. Donc on va faire une distribution directe uniquement ». Pour motiver les acheteurs potentiels, les albums papiers contiennent des pages supplémentaires par rapport à leur version numérique qui, elle, reste disponible dans sa version d’origine. Et pour avoir eu en mains les deux premiers ouvrages, bénéficiant chacun d’une couverture souple, nous pouvons leur reconnaître une qualité de fabrication plus que satisfaisante.

Arnaud Bauer, l’un des trois fondateurs de Manolosanctis, en novembre 2009, lors de la journée professionnelle sur l’univers du numérique organisée à Paris par la Cité de la bande dessinée d’Angoulême.
Ph : D. Pasamonik (L’Agence BD)

« Si on prend l’exemple des grosses enseignes culturelles comme la Fnac, poursuit-il, comme pour la musique, ils mettent en tête de gondole les gros blockbusters qui vont forcément se vendre. Pour trouver des choses au rayon "indépendants"c’est pas facile, il faut bien fouiller pour les trouver et on se dit que les gens qui aiment ce genre de bandes dessinées sont des fouineurs, ce sont des gens qui aiment chercher, donc des gens qui vont chercher aussi sur le net, qui vont essayer de dégoter des bonnes BD qui leur plaisent vraiment et qui tomberont forcément à un moment ou un autre chez nous. Sur "Base Neptune" et "Oklahoma Boy" on connait encore assez peu la réaction des membres du site et des gens en général, donc on est parti sur des tirages qu’on va qualifier de moyens, soit 3000 exemplaires chacun. Il y a forcément un risque financier qui est pris par l’éditeur, on est sur quelque chose de raisonnable, mais on espère en vendre beaucoup plus. »

Pour autant, bien qu’ils utilisent le support internet notamment dans un but de promotion et de découverte, les associés avouent prendre un peu le temps d’analyser le développement de la BD numérique avant de s’y engouffrer vraiment, entre autre dans le domaine des applications pour iphone. « Contrairement à ce que pensent beaucoup de gens sur le marché, on pense vraiment que le papier va rester prédominant. Il y a énormément d’acteurs qui se positionnnent sur ce nouveau marché des terminaux mobiles actuellement, mais il n’y a pas encore vraiment de standard qui a émergé. On ne sait pas encore trop comment les gens aiment lire, et d’ailleurs le confort de lecture n’est pas forcément là. On se fait démarcher par des diffuseurs qui proposent chacun leur petite solution technique miracle, mais concrètement on attend de voir un peu pour apporter derrière notre petite touche ergonomique comme on sait la faire et on le fera certainement nous-même. »

Mathieu Weber, Maxime Marion et Arnaud Bauer, les créateurs de Manolosanctis, devant leur stand à Saint-Malo
Photo © Baptiste Gilleron

Malgré un secteur d’édition plutôt surchargé depuis ces dernières années, les trois créateurs se sont lancés dans un pari plutôt osé, mais avec leur dose d’originalité et de bonnes idées, Manolosanctis pourrait très probablement tirer son épingle du jeu. Et avec quelques 229 auteurs inscrits depuis son lancement, 362 bandes dessinées diverses accessibles sur le site et plus de 4300 membres actifs au moment ou nous écrivons ces lignes, la maison d’édition au nom étrange [1] semble engagée sur un bonne voie.

(par Baptiste Gilleron)

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Code EAN :

Le site Manolosanctis

Lire aussi :

- L’interview de Renart

- La Cité internationale de la BD explore le virtuel

- Le dossier d’ActuaBD sur La BD numérique

[1À l’origine, Manolosanctis était le personnage principal d’un projet de bande dessinée créé par Mathieu Weber et Maxime Marion.

 
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9 Messages :
  • Après la surproduction papier, la surproduction virtuelle... avec toujours cette idée qu’au final, c’est le lecteur qui décide de ce qui a le droit de continuer d’exister ou pas. Quand la démocratie se transforme en Star Academy...

    229 auteurs inscrits, 362 bandes dessinées diverses accessibles sur le site pour 4300 membres ou lecteurs.
    Bientôt, il y aura 4300 nouveaux auteurs pour 36200 bandes dessinées et 4300 lecteurs.

    C’est cool ! Tout le monde a le droit de s’exprimer pour dire sensiblement les mêmes choses.

    Je vais aller voir... mais je suis déjà persuadé qu’il y a la moitié d’une BD valable et que c’est déjà beaucoup.

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    • Répondu le 28 novembre 2009 à  10:20 :

      "Je vais aller voir... mais je suis déjà persuadé qu’il y a la moitié d’une BD valable et que c’est déjà beaucoup."

      C’est bien une des constantes de tous les forums : les mecs qui donnent leur opinion sur des choses qu’ils n’ont pas lues/vues.

      Et puis, la Star Academy est une réalité du marché du disque aujourd’hui, comme pour tous les produits "vus à la télé". Sauf qu’aujourd’hui, c’est de plus en plus "vu sur Internet".

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      • Répondu le 28 novembre 2009 à  11:06 :

        Je suis allé voir, j’ai lu des tas de trucs. C’est jeune. Les influences ne sont pas digérées. Bref, même s’il y a des talents, mais rien qui me fasse sauter au plafond. Il y a encore du boulot avant d’atteindre la maturité et l’originalité.
        Ça donne une idée des projets que reçoivent les éditeurs... et du boulot de tri auquel on échappe. Directeur littéraire, c’est un vrai métier. Ils font des choix parce que c’est nécessaire. Autrement, on se retrouve avec une telle profusion que l’aiguille n’est plus cachée dans un meule de foin mais dans une chaîne de montagnes.

        Et que ce soit du genre "vu à la TV" ou "vu sur le net", la philosophie est le même.

        Si le futur est à la multiplication des niches, tant mieux pour ITunes et portails du même type, ils vont devenir les rois du pétrole. Mais pour les auteurs, c’est pas gagné...

        Allez les juennes ! continuez de surproduire des tas de trucs comme des fous, de démultiplier les offres et de faire des tirages ultra-modestes... et la plus grande partie du public se tournera de plus en plus vers les blockbusters et célébrités... C’est comme au restaurant, plus t’as de choix, plus c’est fatigant de choisir et plus tu choisis la formule rapide.

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      • Répondu par Dessineux n°645 273 le 28 novembre 2009 à  11:17 :

        Ce qui est "interessant" ,c’est de voir que Manolosanctis a "édité" Renart ,après qu’il ait remporté plein de "votes" des internautes, grâce à la promotion (nottament)de la dessinatrice Diglee (qui est donc l’amoureuse d’icelui,si j’ai bien suivi) ,qui elle-même bénéficie donc déja d’une base d’internautes-fans solides ,et que..et que tout cela est peut être déja biaisé d’entrée ?

        Sans remettre en question le travail de Renart (que je ne connais pas trop) ,il me semble que le critère nombre-de-votants/popularité/mobilisation des internautes va fausser encore un paquet de choses...

        ça m’évoque la façon dont on vendait les disques il ya peu (et dont les bouquins "normaux"bénéficient aussi maintenant) :le critère "déja trois millions d’albums vendus" , ou comment faire passer l’argument quantité pour une quelconque trace de "qualité"

        On sent bien que que derrière ces boîtes (Manolosanctis,Sandawe ...) ,il y a des gens qui pensent en termes de business (et tant mieux ! il vaut mieux qu’un éditeur ait à coeur de vendre plein de livres) ,qui osent des choses , qui investissent dans un domaine "porteur" (miam,ce jargon délicieux...) ,mais,encore une fois , aussi affûtés en affaires qu’ils soient , je crains que le côté démago-le-public-a-raison-minimum-risque-pour-nous-surfons-en-amont-sur-ce-qui-a-fait-ses-preuves-déja conduise à une production bien consensuelle...

        (pour rester poli)

        Alors bonne chance à eux,c’est toujours bien que des gens se bougent ,et essayent des choses et tout et tout,mais...attention aux sirènes du nombre...

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        • Répondu le 1er décembre 2009 à  12:20 :

          Et "Oklahoma Boy" alors ? Personnellement j’ai adoré cet album qu’on peut difficilement qualifier de "consensuel".
          Mais je suis curieux de voir ce qu’ils éditeront ensuite...

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  • A moins d’avoir mal compris le concept, ce qui est très possible, le projet d’un auteur, posté sur le site, n’a non seulement pas beaucoup plus de visibilité que les albums édités dans le circuit classique puisque il y a 2500 projets sur le site, il est noyé dans la masse, avec la probabilité de faire le buzz auprès de ses contacts, en espérant qu’il ait plus que 25 amis dur FB et qu’il ait un blog très visité, mais en plus l’auteur ne touche pas un seul centime d’euro pendant qu’il crée un album qui restera à l’état de projet tant que le site n’a pas décidé de l’éditer...
    Résultat : juste des miettes sur les albums vendus (10% sur les ventes numériques, les albums numériques rappelons-le ne coutent pas plus que 2 ou 4 euros) et un pourcentage sur les albums papier. (pourcentage que je ne connais pas, mais j’imagine qu’à raison d’1 euro par album, multiplié par -soyons optimistes- 3000 albums vendus, amènera 3000 euros dans la poche de l’auteur, qui a passé des centaines d’heures à créér son livre.
    Alors, si c’est pas une voie vers la surprécarisation de l’auteur, super, mais donnez-moi alors vos arguments en faveur de ce système que j’y voie un peu plus clair.

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    • Répondu le 22 mars 2011 à  16:45 :

      il n’y a pas trente six manières de faire émerger un auteur :
      1. soit l’éditeur effectue une sélection drastique des projets qui lui sont présentés, puis il accompagne quelques auteurs en leur versant un à-valoir qui leur permette peu ou prou de vivre. Pour cela il va ponctionner sur les bénéfices d’un best seller (condition indispensable pour faire vivre la maison d’édition). Financièrement cette solution est aujourd’hui un risque (quelles sont les chances pour que les 15 ou 20 auteurs qu’une maison soutient deviennent des best sellers ?).
      2. soit l’éditeur déverse sur le marché tout ce qu’il peut publier en versant le minimum d’à-valoir possible. Quelques mois plus tard, il regarde ce qui a accroché le public et/ou les médias. Cette solution est moins chère, mais elle apporte de la surproduction.

      La surproduction a des avantages :
      > Elle fait se concentrer les ventes et les critiques sur un nombre plus restreint d’auteurs (la fabrique est donc plus efficace et plus rapide).
      > Elle augmente les revenus des auteurs les plus vendeurs et donc l’attractivité du statut d’auteur et donc le nombre des postulants. La boucle est bouclée.

      L’éditeur moderne a aussi compris qu’il peut utiliser à son compte la peur panique de l’auteur de se voir refuser un projet. En conséquence, les organisations de type Manolosanctis ou Sandawe qui privilégient le vote (lointain et anonyme du public) sont plébiscité par les jeunes auteurs internautes qui pensent ainsi échapper à la sanction du seul directeur de collection.

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    • Répondu par HL le 22 mars 2011 à  17:03 :

      Juste un petit message pour dire que je suis absolument d’accord avec Ferniche ! Il va falloir revoir très vite le système de rémunération des auteurs !

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      • Répondu par Ferniche le 22 mars 2011 à  19:04 :

        ce qui m’inquiète bcp c’est qu’un auteur qui arrivera à faire un maximum de buzz est celui qui aura le plus de chance se se faire éditer via le site. Donc ça ne fonctionne plus au talent, mais au volume du réseau de fans. C’est Staracademy quoi.
        et toujours ce problème sans réponse : l’avenir des auteurs, c’est de bosser pour pas un radis toute une année pour alimenter leur projet sur ce genre de site ?

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