Il y a quelques jours nous vous parlions du lancement prochain de Sandawe, une nouvelle maison d’édition donnant la possibilité aux internautes de co-produire les albums, à l’instar de sites tels My Major Company dédiés, pour leur part, à la production musicale. Le concept développé par Manolosanctis diffère de Sandawe ou encore de Foolstrip sur différents points.
Ici tout d’abord, pas de sélection à l’entrée. Chacun est libre de s’inscrire et de déposer des travaux finis ou non, comme nous l’explique Maxime Marion, le directeur artistique. « C’est quelque chose qui a fait peur à beaucoup de gens. On est vraiment sur une optique d’albums qui peuvent évoluer et s’enrichir. Et comme la finalité c’est d’être édité, on a quand même une meilleure qualité que ce à quoi on pouvait s’attendre. Beaucoup de gens croient vraiment qu’on a sélectionné ce qu’il y a sur le site ». L’ensemble des albums en ligne peut être lu et partagé gratuitement par tous via une visionneuse maison plutôt bien conçue, et les membres inscrits (qu’ils soient auteurs ou simples lecteurs) peuvent noter et commenter aisément ces récits, comme ils pourraient par exemple le faire sur un blog.
Vient ensuite l’aspect éditorial de la chose. C’est ici qu’entre véritablement en compte l’atout communautaire de cette entreprise. Le comité éditorial de Manolosanctis prend en effet en compte les avis et coups de coeur des lecteurs dans ses choix qui aboutiront en albums physiques. Maxime Marion nous en dit plus sur ce principe : « C’est un processus qui mélange vraiment les deux. Il n’y a pas une méthode arrêtée. En gros les internautes sont comme un premier comité de lecture qui permet de nous montrer et de nous donner des indications sur ce qui peut plaire ou pas et, même si un album en ligne n’a pas beaucoup de fans, quelques personnes pourront vraiment faire une promotion et faire remonter l’album dans le top. Par exemple, "Base Neptune" de Renart à trusté la première place dès le début. Mais sinon ça dépend, c’est du cas par cas. C’est pas simplement "vous votez et on édite". »
Et les ambitions des trois créateurs sont plutôt conséquentes. Ils envisagent de sortir entre un et trois albums par mois. Le président Arnaud Bauer nous en parle. « Pour l’instant on est sur un par mois et après on va accélerer. L’idée c’est de sortir 20 albums sur 2010 avec à peu près 100 000 ventes attendues. Pour l’instant on n’est vraiment pas déçus parce que le lancement se passe bien. On est vraiment très contents, on commence vraiment à avoir des bons échos, on commence à être un peu connus dans le milieu, et maintenant le but c’est de s’élargir sur le grand public. Maintenant, est-ce qu’on a vu trop gros, ça n’est pas impossible, mais c’est vraiment trop tôt pour en juger, je pense qu’on pourra en reparler dans deux ans et on verra si oui ou non on avait des ambitions trop élevées. »
Pour mettre leur concept à profit au maximum et proposer de nouvelles choses, l’équipe de Manolosanctis a décidé de lancer régulièrement des recueils thématiques réalisés sous forme de concours. Tout auteur, amateur ou professionnel, peut y participer en réalisant une histoire courte selon un thème et certaines contraintes. Ensuite, les internautes votent pour leurs récits préférés et un jury constitué pour l’occasion détermine ensuite la vingtaine de gagnants, parmi les plus appréciés, qui constitueront l’album collectif édité. Leur premier recueil intitulé Phantasmes est parrainé par Pénélope Bagieu et sera disponible sur la boutique à partir du 2 décembre. Les participations retenues peuvent être lues en suivant ce lien. « Pour "Phantasmes", nous explique Maxime, c’était un peu spécial. On avait un jury mais en gros les choix du public comptaient comme un membre important du jury. Il n’y a pas de cas où tout le monde était complètement d’accord mais ça a quand même vachement bien marché. »
Comme indiqué plus haut, ces trois entrepreneurs (avec Mathieu Weber pour la direction technique) ont fait le choix d’une distribution des ouvrages uniquement par vente en ligne, si l’on excepte évidemment les festivals BD où ils seront présents. Arnaud nous a expliqué les raisons de ce choix. « Concrètement c’est le plus gros pari du projet. On s’est rendu compte que, dans l’industrie du livre et donc de la BD, une grosse partie du prix de vente partait dans le circuit de distribution. Ce qui veut dire qu’on se retrouve avec des auteurs payés modestement, d’autant plus pour les petits tirages, et des éditeurs qui, du coup, sont obligés d’assurer un peu leurs arrières en faisant des trucs qui vont vraiment se vendre parce qu’il faut qu’ils en écoulent beaucoup. Donc ils ne peuvent pas trop se permettre de sortir des trucs un peu trop originaux, qui sortent un peu trop des grandes lignes. Pour nous, le but c’est de découvrir des nouveaux talents, c’est de sortir des choses que les gens ne connaissent pas forcément, pouvoir avoir une politique éditoriale super variée et aussi de mieux payer les auteurs. Donc on va faire une distribution directe uniquement ». Pour motiver les acheteurs potentiels, les albums papiers contiennent des pages supplémentaires par rapport à leur version numérique qui, elle, reste disponible dans sa version d’origine. Et pour avoir eu en mains les deux premiers ouvrages, bénéficiant chacun d’une couverture souple, nous pouvons leur reconnaître une qualité de fabrication plus que satisfaisante.
« Si on prend l’exemple des grosses enseignes culturelles comme la Fnac, poursuit-il, comme pour la musique, ils mettent en tête de gondole les gros blockbusters qui vont forcément se vendre. Pour trouver des choses au rayon "indépendants"c’est pas facile, il faut bien fouiller pour les trouver et on se dit que les gens qui aiment ce genre de bandes dessinées sont des fouineurs, ce sont des gens qui aiment chercher, donc des gens qui vont chercher aussi sur le net, qui vont essayer de dégoter des bonnes BD qui leur plaisent vraiment et qui tomberont forcément à un moment ou un autre chez nous. Sur "Base Neptune" et "Oklahoma Boy" on connait encore assez peu la réaction des membres du site et des gens en général, donc on est parti sur des tirages qu’on va qualifier de moyens, soit 3000 exemplaires chacun. Il y a forcément un risque financier qui est pris par l’éditeur, on est sur quelque chose de raisonnable, mais on espère en vendre beaucoup plus. »
Pour autant, bien qu’ils utilisent le support internet notamment dans un but de promotion et de découverte, les associés avouent prendre un peu le temps d’analyser le développement de la BD numérique avant de s’y engouffrer vraiment, entre autre dans le domaine des applications pour iphone. « Contrairement à ce que pensent beaucoup de gens sur le marché, on pense vraiment que le papier va rester prédominant. Il y a énormément d’acteurs qui se positionnnent sur ce nouveau marché des terminaux mobiles actuellement, mais il n’y a pas encore vraiment de standard qui a émergé. On ne sait pas encore trop comment les gens aiment lire, et d’ailleurs le confort de lecture n’est pas forcément là. On se fait démarcher par des diffuseurs qui proposent chacun leur petite solution technique miracle, mais concrètement on attend de voir un peu pour apporter derrière notre petite touche ergonomique comme on sait la faire et on le fera certainement nous-même. »
Malgré un secteur d’édition plutôt surchargé depuis ces dernières années, les trois créateurs se sont lancés dans un pari plutôt osé, mais avec leur dose d’originalité et de bonnes idées, Manolosanctis pourrait très probablement tirer son épingle du jeu. Et avec quelques 229 auteurs inscrits depuis son lancement, 362 bandes dessinées diverses accessibles sur le site et plus de 4300 membres actifs au moment ou nous écrivons ces lignes, la maison d’édition au nom étrange [1] semble engagée sur un bonne voie.
(par Baptiste Gilleron)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Lire aussi :
La Cité internationale de la BD explore le virtuel
Le dossier d’ActuaBD sur La BD numérique
[1] À l’origine, Manolosanctis était le personnage principal d’un projet de bande dessinée créé par Mathieu Weber et Maxime Marion.
Participez à la discussion