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Mark Siegel : "Il y a encore pas mal d’obstacles à surmonter avant que le “graphic novel” n’arrive dans tous les foyers américains…"

Par Morgan Di Salvia le 2 mars 2009                      Lien  
Directeur éditorial du label {First Second Books}, Mark Siegel est à la tête d'une collection de bandes dessinées au retentissement mondial. Rencontre avec ce new-yorkais éclectique.

Pouvez-vous nous décrire ce qu’est First Second Books ?

:01, ou “First Second” est une maison d’édition new-yorkaise qui publie des bandes dessinées d’auteur. En 2005, le groupe Macmillan USA m’a donné carte blanche pour lancer une collection consacrée au “Graphic Novel”, qui est la catégorie la plus florissante dans le monde de l’édition aux États-Unis. C’est comme ça que First Second est né.

Dès le début j’étais décidé à pousser au maximum la qualité : la qualité de production, avec des rabats (qu’on appelle ici des “french flaps”), du beau papier, une impression haut de gamme ; la qualité du processus éditorial ; et le soin mis à défendre nos livres sur le long terme. Avec un vrai travail éditorial, il me semble qu’on peut créer des histoires qui toucheront un vaste public et feront exploser le lectorat des “graphic novels”, en le sortant du cadre un peu asphyxiant des “comics”.

Votre catalogue est très international, ce qui n’est pas courant pour un éditeur américain. Vous semblez aimer plus particulièrement la bande dessinée française…

Mark Siegel : "Il y a encore pas mal d'obstacles à surmonter avant que le “graphic novel” n'arrive dans tous les foyers américains…"
La version américaine de Trois Ombres de Cyril Pedrosa
© Pedrosa - First Second Books

Là aussi, mon idée était dès le départ de réaliser quelque chose à une échelle mondiale. Depuis longtemps j’adore Moebius, Joann Sfar, Lewis Trondheim, Christophe Blain, Emmanuel Guibert, Marjane Satrapi et bien d’autres. C’est merveilleux de pouvoir éditer plusieurs d’entre eux. Il y a en France un foisonnement créatif sans égal, particulièrement dans le domaine de la bande dessinée. Il y a bien sûr certains auteurs et certains livres qui passent mieux chez nous et qui parviennent à toucher les lecteurs américains. “Trois ombres” de Cyril Pedrosa, par exemple, a une profondeur émotionnelle qui dépasse les frontières, je crois. Mais quand nous publions un ouvrage traduit, je m’efforce de ne pas le présenter en premier lieu comme une œuvre étrangère. Nos auteurs sont tout simplement importants en eux-mêmes, leurs voix ont un retentissement mondial. C’est pour ça que, bien souvent, on repense le graphisme des couvertures pour correspondre à une sensibilité américaine, et tout le marketing suit.

Vous nous avez expliqué que First Second Books est un label du groupe Macmillan. À quel point cette assise est-elle importante pour la diffusion sur le marché américain ?

Je ne suis pas foncièrement un homme d’affaires. Je coulerais si je devais gérer une petite boîte indépendante. Mais avec la structure Macmillan, j’ai des partenaires chevronnés qui sont de vrais spécialistes de l’édition, sans parler de commerciaux dans tout le pays, et d’une équipe de publicité et de marketing. En plus, je ne voulais pas m’adresser seulement au monde des comics et aux magasins spécialisés (les “comics shops”). Grâce la plate-forme Macmillan, nous avons vraiment percé dans les grandes chaînes de libraires, dans les bibliothèques et ailleurs. Pour ça, il faut du muscle !

American Born Chinese de Gene Luen Yang, a été votre premier best-seller. Comment ce livre a-t-il changé la vie de First Second ?

American Born Chinese (édité en français par Dargaud) a changé la donne bien plus tôt que je ne l’espérais… C’était notre deuxième saison, la rentrée 2006, et tout d’un coup le bouquin a été nominé pour un “National Book Award”—à peu près l’équivalent d’un Goncourt en France. C’était du jamais vu pour une bande dessinée de jeunesse. Et deux mois plus tard, il remportait la médaille d’or du “Printz Award”, une récompense décernée par les bibliothécaires. Il faut préciser que les États-Unis comptent entre 75 000 et 80 000 bibliothèques municipales, et que ce prix a tout à coup fait de First Second un des chouchous des bibliothécaires ! En fait, on pourrait ne vivre que de nos ventes chez eux… Bref, c’était un beau moment, mais il y a encore pas mal d’obstacles à surmonter avant que le “graphic novel” n’arrive dans tous les foyers américains…

Nick Abdazis en repérage à Moscou pour l’album Laïka
© DR

Vous publiez dans un format relativement petit, proche de celui des romans. Pensez vous que ce gabarit est, à ce jour, la manière la plus internationale d’imprimer des bandes dessinées ?

Là encore, un choix que nous avons fait au début de First Second a été d’avoir un format standard, avec quelques exceptions de temps à autre. C’est un format plus intime que l’album européen—qui n’a jamais vraiment accroché avec les lecteurs adultes ici. En général, ce grand format serait plutôt associé avec un livre d’images pour enfants. Et oui, le format roman marche pour l’Association, pour Bayou, pour Écritures chez Casterman et pour beaucoup de nouveaux éditeurs partout dans le monde. C’est aussi assez proche du format manga. C’est surtout très portable. Un grand album c’est un peu encombrant dans le métro new-yorkais.

Laïka de Nick Abadzis sera publié en français dans quelques mois, pouvez-vous nous expliquer la genèse de cette histoire ?

Nick Abadzis est un type brillant, qui galérait à Londres—dans un milieu peu propice à la bande dessinée (la plupart des dessinateurs là-bas ne peuvent pas gagner leur vie en faisant des comics). Il m’a envoyé une proposition pour un projet sur Laïka et sur le programme Spoutnik II et les personnages historiques, mais vus du point de vue de Laïka elle-même. Il s’est beaucoup documenté, y compris en allant à Moscou faire des recherches dans les archives du programme spatial soviétique. Mais c’est avant tout une histoire particulièrement émouvante. La version française sort chez Dargaud et j’ai bien hâte de voir comment ce sera reçu. Le même éditeur chez Dargaud, Thomas Ragon, a produit la version française d’American Born Chinese et aussi Rêves de Robot par Sara Varon—là encore, c’est un livre plein d’émotion, d’une grande finesse. Sans paroles, et dans un style enfantin au premier abord. Mais entre les mains de Sara Varon, qui est une des grandes voix américaines, c’est un livre qui émeut des lecteurs de tous les âges et qui brouille les catégories de vente classiques.

Quels sont les prochains grands projets de First Second ?

Au printemps First Second édite “Le Photographe”, ce joyau de Didier Lefèvre et Emmanuel Guibert. Les trois volumes en un. J’en suis particulièrement fier, et MSF se joint à notre promotion. Emmanuel Guibert va d’ailleurs faire une petite tournée en mai prochain, au Canada, à Washington et à New York. “La Guerre d’Alan” a reçu les meilleures critiques imaginables ici, et pour la promo, Emmanuel nous a fait un merveilleux petit film d’une minute, qui a été vu par 400,000 personnes sur YouTube

The Eternal Smile à paraître au printemps
© Gene Yang - Derek Kirk Kim - First Second Books

À part ça, au printemps, nous sortons le nouveau Gene Luen Yang, The Eternal Smile, avec au dessin, le génial Derek Kirk Kim. Et aussi notre premier projet de manhwa, la trilogie coréenne “Une histoire couleur de terre,” que m’a présenté Nadia Gibert, qui l’a édité chez Casterman.
Adventures in Cartooning, qui sort prochainement aussi, est à la fois un conte délirant et un manuel pour les dessinateurs en herbe. À sept ans ça aurait été mon livre préféré ! Et tout un tas d’autres projets sont en cours, presque 80 en tout…

Pour conclure, une question rituelle : quel est le livre qui vous a donné l’envie de devenir éditeur ?

En fait dans un précédent boulot, j’ai eu l’occasion de traduire et d’éditer Petit vampire va à l’école de Joann Sfar, qui est même apparu sur la liste des best-sellers du New York Times… Je crois que c’est là que j’ai pris goût au travail d’éditeur. C’était aussi à ce moment que j’ai senti qu’une fenêtre s’ouvrait pour faire quelque chose d’osé et d’ambitieux en Amérique.

(par Morgan Di Salvia)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

Photo en médaillon (c) Sonya Sones

Le site de First Second Books

 
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