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Matthieu Blanchin : "Calamity Jane avait conscience que grâce à l’écriture, elle se forgeait une légende"

Par Nicolas Anspach le 13 décembre 2008                      Lien  
Avec {{Christian Perrissin}}, {{Matthieu Blanchin}} a signé au début de l’année une biographie sur Calimity Jane, l’une des figures légendaires de l’Ouest. Les auteurs se basent sur les lettres qu’elle a écrites à sa fille, tout en interprétant certains évènements de sa vie avec une rigueur historique et un profond respect pour cette femme au caractère bien trempé.

Matthieu Blanchin : "Calamity Jane avait conscience que grâce à l'écriture, elle se forgeait une légende"Comment est née cette biographie de Martha Jane Cannary, plus connue sous le nom de Calamity Jane ?

Yves Got, le dessinateur du Baron Noir, a fait la jonction entre Christian Perrissin et moi-même ! Nous l’avions eu tous les deux eut comme professeur. Moi, aux Art Appliqués à Paris. Et Christian à l’école Émile Cohl, à Lyon. Il a été notre « entremetteur ».

C’est étrange. Christian Perrissin développait des scénarios plutôt classiques jusqu’ici.

Justement, c’était l’intérêt du projet. C’était déjà un scénariste chevronné. Il cherchait à collaborer avec un auteur qui pourrait découper son scénario, page après page, d’une manière différente. Pour ma part, je souhaitais travailler avec scénariste qui me donnerait une structure sur un long récit, tout en m’offrant une certaine souplesse ! Il y a un va et vient permanent entre nous. Nous tenons compte de nos désirs, de nos conversations, etc.
Le lendemain de notre première rencontre, je trouvais un recueil des lettres de Calamity Jane dans ma boîte. Elle les avait écrites à sa fille, sans jamais les lui envoyer. À sa mort, on a retrouvé ces documents dans ses affaires personnelles. Elle les gardait près d’elle, comme une sorte de journal intime.

Qu’est-ce qui vous a séduit dans ce projet ?

Il s’agit du témoignage d’une femme. Elle avait une instruction rudimentaire. Mais elle avait conscience que grâce à l’écriture, elle se forgeait une légende. Elle attirait le regard et la curiosité en raison de ses choix de vie. Les ligues de vertu se sont acharnées sur elle car elle se promenait parfois en pantalon. Or, c’était loin d’être le cas tous les jours. Elle était réputée pour sa franchise, son franc-parler, sa gouaille. Mais aussi pour son élan naturel à soigner et à aider les autres. Elle a néanmoins abandonné sa fille. Mais elle jouait au poker pour décrocher de l’argent pour les soins ou les études d’autres enfants. Elle était paradoxale !

Se sentait-elle coupable d’avoir abandonné ses frères et sœurs pour ne pas être mariée de force à la fin de l’adolescence ?

Elle était effectivement l’aînée d’une bande de six gamins. Ses parents, des Mormons, avaient fui les persécutions dont ils étaient les victimes dans le Missouri. Les Mormons y était pendus. Les gens n’y acceptaient pas les mariages pluriels. Ses parents décidèrent de se rendre dans l’Utah où il y avait une communauté mormone importante. Ses parents vont perdre la vie dans cette traversée. Elle se retrouve bien vite seule et va devoir assumer cette famille.

Extrait du T1 de "Martha Jane Cannary"

Le texte prend parfois, selon les séquences, plus d’importance que le dessin…

C’est une manière de raconter des éléments essentiels en les synthétisant. Si nous n’avions pas mis ces longs textes narratifs, nous aurions du découper ces parties en dix ou vingt planches. Notre propos doit se resserrer sur la vie de Martha Jane Cannary, tout en développant un contexte historique et social important. Christian a eu l’idée d’employer le texte pour parvenir à notre objectif.

Si bien que le style graphique oscille entre le croquis épuré et un dessin plus réaliste.

Oui. Mais dans tout les cas, le dessin doit rester vivant. J’ai trop tendance à poser les choses, à calmer la plume pour ne pas risquer de rater la planche. Alors que quand je réalise des illustrations, hors bande dessinée, je fais une véritable recherche sur une position dynamique. En BD, il faut aller à l’essentiel rapidement. C’est difficile, car je sais que je rate des dessins. Et sur un livre comme celui-là, ce n’est pas évident de déchirer des planches. Avec le recul, je remarque que certaines cases sont dynamiques, mais ont des défauts de contorsion. Je suis loin d’avoir un dessin réaliste suffisamment dépouillé, tout en étant hyper solide, comme celui de Christian Rossi ou de Jean Giraud.

Vous préférez donc aller à l’essentiel ?

Oui. Je préfère le plus souvent mes crayonnés qu’à mes pages encrées. Même s’ils sont impubliables. Les mouvements des personnages sont très réussis et ils se raidissent à l’encrage. J’essaie donc de garder cette énergie en ne réalisant pas un simple décalquage lors de l’encrage. Je dessine donc un crayonné élémentaire, pour reprendre mon dessin à zéro lors de la mise à l’encre.

Extrait du T1 de "Martha Jane Cannary"

Comment fonctionnez-vous avec votre scénariste ?

On travaille séquence par séquence. Il me propose un premier texte, avec des dialogues. Je lui envoie un découpage sous la forme de story-board, en tenant compte de resserrements ou d’extension dans le rythme du récit. Nous réalisons des ajustements selon ses remarques. J’ai un regard sur ses écrits, tout comme lui en a un sur mes dessins.

Combien d’albums sont-ils prévus ?

Trois albums. Nous avons tellement de pistes possibles à explorer que nous allons devoir faire des sacrifices au profit de l’histoire. Par boutade, j’ai dit que l’on avait de la matière pour réaliser cinq albums de cent-vingt planches. On ne le fera pas, car notre propos risque d’être dilué. Martha Jane Cannary a traversé un moment de l’histoire où les chocs de civilisations étaient importants, uniques même ! La découverte de l’Ouest est l’une des dernières grandes utopies de l’homme. J’aimerais traiter de l’histoire des Amérindiens, mais l’histoire ne s’y prête pas. Même s’il est plus que probable qu’elle ait rencontré des Cheyennes, d’autres faits sont incertains. Elle a raconté pas mal de bobards, et nous devons suivre sa vie…

Vous devez donc interpréter sa vie, pour combler les trous et deviner la vérité ?

Nous n’avons pas une position de biographe pour ces livres. Nous sommes plutôt des portraitistes. Grâce aux historiens américains et aux écrits de certains témoins, nous pouvons faire des recoupements. Cela rend certaines choses authentiques, d’autres impossibles. Martha a dit qu’elle avait été scout du Général Custer. C’est faux. En revanche, on peut croire qu’elle ait fait partie d’une de ses expéditions dans les Black Hills. Probablement celle qui a été le point d’orgue des traitrises envers les Amérindiens et qui ont déclenché les dernières guerres indiennes. Elle était dans les parages et a dû faire partie d’une expédition de ravitaillement, en conduisant des chars à bœufs. Il y a un gouffre immense entre les choses possibles et impossibles. C’est dans ce vide là que nous nous engouffrons, et que nous essayons de nous mettre dans la peau de cette femme.

(par Nicolas Anspach)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Matthieu Blanchin, sur actuabd.com, c’est aussi :
- La chronique du T1 de Martha Jane Cannary
- Saint-Malo 2008 : Blanchin reçoit le prix Ouest France (Octobre 2008)

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Illustration : (c) Blanchin, Perrissin & Futuropolis
Photo (c) Nicolas Anspach - Reproduction interdite sans autorisation préalable.

 
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