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Matz & Christian Rossi ("XIII Mystery") : « Une femme comme Felicity Brown qui affiche une telle détermination et un manque de scrupule ne peut qu’intriguer le lecteur »

Par Charles-Louis Detournay le 4 novembre 2015                      Lien  
Ou comment, dans la fameuse série parallèle de "XIII", "XIII Mystery", deux auteurs expérimentés prennent la défense d’une des femmes les plus venimeuses de la bande dessinée !

Pourquoi avoir choisi Felicity comme héroïne de votre XIII Mystery ?

Matz & Christian Rossi ("XIII Mystery") : « Une femme comme Felicity Brown qui affiche une telle détermination et un manque de scrupule ne peut qu'intriguer le lecteur »Matz : J’étais tout d’abord intéressé d’avoir un personnage principal féminin, comme cela avait été le cas dans Adios Muchachos, Mais Felicity possède en plus cet aspect d’anti-héroïne : elle semble très négative au premier abord, vénale, alors qu’elle est en réalité plus complexe que cela. Enfin, elle possède la spécificité d’intervenir deux fois dans la série : au début dans Là où va l’indien, et plus tard en maîtresse d’un dictateur sud-américain [1]. Dans la liste des personnes de XIII Mystery, je l’ai donc choisie pour ces raisons. Et je n’aurais pas changé d’avis si j’avais été le premier à pouvoir opérer un choix !

Et il y avait cette courte séquence dans XIII T13 L’Enquête lors de laquelle Felicity rencontre le père Rowland à Las Vegas. Votre récit devait donc s’inscrire entre ces trois jalons ? Et au-delà ?

Matz : Je devais effectivement tricoter entre ces moments, tout en rendant le personnage compréhensible des lecteurs. Comment devient-elle la maîtresse du patriarche Rowland ? D’où vient ce caractère de tueuse ? Et comment devient-elle plus tard cette maîtresse du dictateur Ortiz sans oublier sa relation avec le Colonel Peralta : ce n’est pas banal !

Christian, qu’est-ce qui vous a motivé à accepter cette mission ?

Christian Rossi : Tout d’abord, la volonté de collaborer avec Matz : pour l’avoir rencontré, je l’avais trouvé très sympathique, et je trouve qu’il réalise un travail très qualitatif. J’avais repoussé deux précédentes propositions de XIII Mystery, car la série ne faisait pas partie de ma mythologie. Lorsque Matz m’a appelé en me proposant de relever le défi d’animer cette femme, la gageure m’a titillé, en plus de vouloir collaborer avec lui. J’ai donc dû entrer dans la saga XIII et comprendre le travail de Vance, m’étonner des qualités et remarquer les quelques faiblesses, afin de cerner ce qui constitue son style. Puis, je me suis rendu compte que des auteurs comme Jean Giraud ou François Boucq (parmi d’autres avaient apporté leur contribution. Il fallait donc que je me demande si je pouvais me mesurer à eux ? Ce n’était pas évident !

Vous n’aviez pas souvent travaillé la période contemporaine…

Christian Rossi : Le temps d’une trilogie avec le Cycle de deux horizons, mais guère plus. Le contemporain n’est pas évident à dessiner : il faut ordonner la luxuriance d’éléments à traiter.

Comment avez-vous abordé le dessin de cette héroïne ?

Christian Rossi : Pour moi, Felicity est une femme fatale, qui pourrait me faire peur. Et sa coiffure des femmes de la fin des années 1980, je ne pouvais pas la changer. Je lui ai donc fait un minois à la Manara, un style que j’apprécie beaucoup !

Vous avez développé une première scène d’action sur les terres des Rowland. Une façon de rappeler au lecteur qui est Felicity ?

Matz : Selon moi, Felicity est justement une héroïne dont les lecteurs se souviennent : son style provocant, ses cheveux, etc. C’est donc non seulement un des personnages les plus marquants de la série, mais aussi les plus fascinants : une femme qui affiche une telle détermination et un manque de scrupule ne peut qu’intriguer le lecteur !

Vous vouliez donc expliquer d’où elle venait, afin de donner de la consistance à son caractère, des motivations ?

Matz : Felicity est une très belle femme, qui est d’une certaine façon victime de sa beauté, car les hommes la réduisent à cela. Elle a donc été la proie du désir des hommes, et elle va devoir composer sur cet étroit chemin.

Christian Rossi : Elle sait ce qu’elle veut, elle est faite pour le luxe, elle n’est pas amoureuse des hommes, mais elle sait utiliser son corps. Felicity est donc une femme forte, dotée d’un caractère fort. Nous avons donc réalisé un album féministe.

Dans la fuite qui se déroule dans votre album, elle tue tout de même deux personnes qui se mettent en travers de son chemin, dont un pauvre garagiste… ?

Christian Rossi : Pauvre garagiste !! Cet homme a la force physique pour lui. Puis il commence à la chercher et l’on a aucune idée d’où il va s’arrêter. Il faut donc supprimer ce témoin gênant de sa cavale.

Matz : Il incarne le parfait salaud, celui qui veut profiter de la situation. Comme elle est désespérée et acculée, elle n’a pas d’autres choix que de le réduire au silence ! Et pas question de l’assommer, de peur qu’il ne parle, elle le supprime définitivement.

Christian Rossi : Ce n’est pas une psychopathe, elle s’adapte juste aux circonstances ! Il faut s’imaginer qu’elle vient enfin de s’acheter les bijoux dont elle rêve depuis des années, et tout s’effondre en un instant. Elle fait donc preuve de sang-froid en faisant sa valise en cinq minutes, et elle se révèle en partant sur les routes. J’admire ce type de caractère, que cela soit pour un homme ou une femme !

Matz : Dans un autre passage de l’album, elle ne tue pas un autre homme, car elle n’a pas de raison de l’exécuter : ce n’est donc pas une vraie tueuse. Elle agit avec raison, pas sous l’assaut d’une pulsion.

Christian Rossi : Elle réagit aussi avec de l’affect : cette fille a un cœur. Comme tout le monde.

Vous semblez vous être beaucoup attachés à votre personnage !

Christian Rossi : Tout-à-fait, je ne suis très déçu d’être parvenu à la fin de mon album ! Je sens qu’elle peut encore s’en sortir !

Matz : Elle a encore beaucoup d’aventures devant elle…

Christian Rossi : Et je lui souhaite le meilleur, après ce qu’elle a vécu !

À part la personnalité de Felicity, le road-movie constitue la place centrale de l’album. L’envie d’un récit qu’on lit sans temps mort ?

Matz : Je voulais une histoire énergique, dynamique tout en restant fluide. Je voulais que le lecteur se demande en permanence ce qui va se passer.

Christian Rossi : Pour maintenir cette dynamique et cette lisibilité, je suis retourné dans mes sources américaines (Alex Toth...) afin de me nettoyer du franco-belge. Puis dans mon story-board, j’ai fait attention où nous voulions diriger l’œil du lecteur. Ne jamais freiner le récit, sauf si c’est pour récompenser le lecteur juste après. J’ai parfois pris quelques libertés avec le découpage de Matz, mais toujours au profit de la mise en scène. Par exemple, je la représente très différemment après le second meurtre, parce qu’elle est ébranlée : soit elle a des lunettes de soleil, soit elle adopte un profil bas de fugitive. Jusqu’à ce qu’elle retrouve de sa superbe en atteignant l’aéroport : elle pense qu’elle est sauvée.

Vous reprenez également le personnage du Marquis, un autre clin d’œil à la série-mère ?

Matz : C’était l’occasion de créer une respiration dans le récit après cette longue cavale. Ils rient, ils discutent, ils plaisantent. Puis c’est la première fois qu’un homme la complimente. Il la drague gentiment, sur un ton badin, bien différemment des autres hommes qui voulaient la faire jouer dans un film porno. Puis , l’arrivée au Costa Verde explique sa relation avec Peralta et Ortiz. Replacer ces différents éléments et ces personnages représente ma part d’amusement dans ce type de scénario : brasser ces personnalités pour les voir sous un jour différent. C’est un défi, et un plaisir !

Et l’après Felicity ? Car il faudra bien la quitter...

Matz : Je travaille sur un nouvel album adapté d’une histoire de Walter Hill : on reprend donc l’équipe de Balles Perdues . Puis j’ai la volonté de réaliser une petite série d’albums de personnages historiques au destin exceptionnel, et qui sont tombés par la suite dans l’oubli. Ces vies très denses doivent aussi éclairer notre Histoire. Ce sera chez Rue de Sèvres, qui prend beaucoup de soin dans l’accompagnement de ses albums.

Christian Rossi : Pour ma part, je travaille un long récit traitant des Amazones, reliant l’Histoire à la mythologie. La scénariste est une professeur de français, dont le récit m’a passionné. La thématique est matriarcale, tout en traitant des mythes grecs. En plus de l’intrigue, je désire vraiment faire connaître les Amazones : nous allons donc mettre en scène l’art de la guerre, de l’amour, l’éducation, les croyances, les funérailles et leur vision de leur avenir. On va bien entendu faire intervenir Achille, pour maintenir cette confrontation entre les hommes et les femmes. Ce récit de 150 pages sera édité chez Casterman, et se voudra un miroir de notre propre société. Je pense que je suis enfin parvenu en pleine possession de mes moyens : cela sera sans doute mon meilleur album !

Propos recueillis par Charles-Louis Detournay

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(par Charles-Louis Detournay)

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Photo en médaillon : Christian Rossi et Matz - (c) Charles-Louis Detournay.

[1Dans l’épisode Pour Maria. NDLR.

 
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