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Michel Plessix ("Le Vent dans les sables") : "La bande dessinée est un art de la relecture"

Par Nicolas Anspach le 4 février 2011                      Lien  
Michel Plessix poursuit "Le Vent dans les sables", un récit hédoniste, contemplatif et poétique. "Le Chant des dunes", l’avant-dernier album du cycle, vient de paraître. L’auteur nous raconte une chasse au trésor… à sa manière.

Michel Plessix ("Le Vent dans les sables") : "La bande dessinée est un art de la relecture"En 2005, vous publiez le premier tome du Vent dans les Sables, une suite de votre adaptation du « Vent dans les Saules », le roman de Kenneth Grahame.

J’avais éprouvé tellement de plaisir à adapter le roman de cet auteur anglais, et à faire vivre ces personnages, que j’ai eu envie de continuer. Je me suis approprié son univers. Il y avait dans ce livre tout ce que je voulais inclure dans une histoire. Ses personnages sont devenus les miens. Je m’amusais tellement qu’il m’était naturel de continuer. Je ne sais pas encore ce que je ferai après le cinquième tome de le Vent dans les Sables, mais il n’est pas impossible que je fasse encore un bout de chemin avec Taupe, Rat, et leurs amis.

Était-ce l’aspect contemplatif et poétique qui vous plaisait dans le roman ?

Oui. Cela me ressemble beaucoup. Et puis, j’ai toujours mélangé les humains et les animaux dans mes dessins. Je le faisais déjà dans la première bande dessinée que j’ai réalisée à six ans et demi. Je continue à dessiner le même « style » de bande dessinée qu’à l’époque. Bien sûr, j’ai évolué et je réalise mon métier d’une manière professionnelle…

« La Déesse aux yeux de jade » et « Julien Boisvert » sont-ils des accidents de parcours ?

Pas vraiment ! Il y avait bien sûr des imperfections dans La Déesse aux yeux de Jade, mais ce récit était proche de ce que j’étais capable de dessiner à l’époque. Par contre, nous avions été obligés de réaliser de nombreuses concessions aux éditions Milan par rapport au scénario. Ils avaient une idée très précise de ce qu’était une bande dessinée pour la jeunesse. Cela ne nous correspondait pas. Ni Dieter, le coscénariste, ni moi, ne sommes fiers de cet album. Il n’a pas grand intérêt.

Par contre, nous le sommes de Julien Boisvert. À l’époque, le dessin « gros nez » n’était pas bien vu chez les éditeurs. On me disait toujours que mon dessin ne pouvait être publié que par les éditions Dupuis. Or, cet éditeur n’acceptait pas de publier les histoires que nous voulions adopter à l’époque. Je fais partie de la génération de Pierre-Yves Gabrion, Thierry Robin, Frank Le Gall et d’autres auteurs qui avaient le « cul entre deux chaises » ! Nous avions toujours été nourris au gros nez, et les thèmes que nous voulions aborder n’étaient pas vraiment dans la tradition des éditions Dupuis. Avec le Vent dans les Saules, j’ai réussi à publier un récit qui me ressemble, tant dans les dessins que dans l’histoire.

Extrait de "Le Vent dans les Sables" T4
(c) M. Plessix, Delcourt.

Est-on réellement dans le gros nez avec « Le Vent dans les Saules » ?

Si vous regardez les personnages humains, vous constaterez qu’ils ont des « pifs » importants. Mon dessin a un aspect rond, qui est issu de la tradition de ceux des grands auteurs des éditions Dupuis, d’Albert Uderzo ou de Disney.

Mais vous détaillez vos décors presque dans l’exagération …

Je l’ai toujours fait ! Même dans les planches que je réalisais avant de devenir professionnel. Lorsque j’étais enfant, j’étais fasciné par les dessins d’Albert Dubout. Il accordait une grande importanc, dans ses dessins, aux foules et à la multitude. Je me souviens avoir été subjugué par des dessins d’Erik dans le journal Record. Il illustrait un récit qui se déroulait durant la préhistoire. Je me souviens de plusieurs grandes cases où il dessinait un village. Il détaillait ces cases à l’extrême en montrant des scènes de vie et les habitudes des personnages. J’ai toujours adoré me promener dans un dessin, que cela soit comme lecteur… ou comme auteur ! Il en va de même pour le cinéma. Je suis un amoureux de Jacques Tati, qui faisait un cinéma de détail.

Le titre d’un chapitre du « Vent dans les Sables » caractérise la série. Elle se nomme : « La vie comme elle va… »

Oui ! Particulièrement le Vent dans les Sables qui n’est pas un récit d’aventure dans le sens étymologique du terme. C’est avant tout un voyage, une promenade, un moment que l’on passe aux côtés des personnages. Le lecteur les accompagne dans leur périple…

Est-ce facile de trouver le bon tempo, et d’arriver à intéresser le lecteur avec ce genre de récit ?

Je ne me pose pas ces questions. Je réalise les bandes dessinées que j’aimerais lire ! Après, si elles intéressent les lecteurs, tant mieux ! Mais je dois vous avouer que je ne pense pas à mon public lorsque j’invente une histoire. Je songe aux lecteurs seulement lorsque je découpe une page. Je veille à ce que la lecture de l’histoire reste fluide. L’œil du lecteur doit passer aisément d’une case à une autre.

Pourquoi avez-vous eu envie d’envoyer vos personnages au Maroc ?

La bande dessinée est un métier de solitaire, et même par moment monacal ! Il y a cependant certaines étapes dans ce travail où l’on n’est pas obligé de rester enfermé chez soi. Je suis donc parti au Maroc pendant un mois pour écrire l’histoire. J’ai été dans un endroit que je connaissais déjà pour ne pas y être dans un « état de touriste ». J’y suis donc parti à Essaouira avec le roman de Kenneth Grahame sous le bras pour travailler. J’ai découpé le premier tome là-bas. Depuis, je pars au Maroc pour écrire le scénario de chacun de mes albums [1] . Au bout d’un moment, je me suis dit que c’était un pays tellement décalé par rapport à celui où vivent mes petits personnages que cela pourrait être amusant de les envoyer au Maroc. Mais il y a un écoulement dans le temps qui correspond à ce que vivent mes personnages. Le décalage n’est qu’apparent, finalement.

Extrait du "Vent dans les sables" T4
(c) Plessix & Delcourt.

Retranscrire ces ambiances, était-ce un défi ?

Pas tellement. J’ai dû faire une quinzaine de voyages dans le Maghreb, entre le Maroc et l’Algérie. Je ne suis pas un spécialiste de ces pays, mais ils me sont en partie familiers.

« Le Chant des Dunes », le quatrième tome de « Le Vent dans les Sables » vient de paraître.

Il s’agit d’une chasse au trésor dans le désert. Mais bien évidemment, je la raconte à ma manière. Il n’y a pas de courses haletantes, et encore moins d’ennemis qui se cachent derrière les dunes. Mes personnages traverseront le désert. C’est une expédition, avec la lenteur qui caractérise le désert. J’espère avoir retranscrit les ambiances, la chaleur du désert, par mes dessins et par la couleur. Les personnages rencontreront également d’autres personnes. Un désert, c’est loin d’être vide. Il y aura bien évidement quelques anecdotes, presque philosophiques.

Lorsque vous avez adapté « Le Vent dans les saules », vous êtes-vous servi de phrases de l’écrivain ?

Pas du tout ! Il ne faut surtout pas s’appuyer sur l’écriture d’un roman lorsque l’on en adapte un. La narration et l’écriture d’une bande dessinée est différente. De même que l’écriture pour le théâtre se base plus sur le rythme des mots. Le cinéma, lui, demande un autre rythme dans le temps. Pour Le Vent dans les saules, j’ai gardé le découpage en chapitres. Pour chacun d’eux, je réalisais un résumé, puis je notais les intentions de l’auteur que je ressentais, ainsi que les miennes. Après avoir réalisé ce travail, j’ai refermé le roman et développé le synopsis à ma manière sans reprendre les mots de l’écrivain.

Le travail d’écriture était-il facile ? Vous n’étiez pas scénariste …

Si ! J’ai commencé ma carrière d’auteur comme scénariste. J’ai écrit une histoire policière pour Jean-Luc Hiettre. Enfin, nous réalisions à deux le scénario de Mark Jones. Nous mettions en scène un détective complétement crétin, en s’inspirant du physique de Jean-Claude Fournier. J’ai toujours participé au scénario de mes albums, que cela soit La Déesse aux yeux de jade ou Julien Boisvert.

Il y a pourtant un aspect plus littéraire dans la narration dans Le Vent dans les saules et Le Vent dans les Sables.

Oui. Cela fait également partie de moi. Je ne me force pas dans mon travail. … Surtout pas ! Je me fiche totalement de la mode. J’ai lu un jour une phrase dont l’auteur m’échappe : « être dans le vent, c’est un destin de feuille morte ! ». C’est tout à fait cela… Les livres, les BD ou les films qui me plaisent sont généralement hors du temps. Au cinéma, ce sont par exemple Jacques Tati, Orson Welles, Charlie Chaplin. Il y a des films récents, aussi, mais ils ne sont pas inscrits dans le temps.

L’usage de textes narratifs, plus littéraire, était indispensable pour l’adaptation du roman afin de faire partager toutes les petites choses indicibles qui donnent de l’ambiance au livre et qui ne peuvent pas passer dans les dialogues ou les dessins. Enfin, certaines choses auraient pu passer par le dessin. Mais le lecteur aurait eu une lecture très rapide de ces informations. Le Vent dans les saules est un récit qui parle du temps, de la contemplation. Il fallait donc ralentir la lecture, et tant qu’à faire, rajouter un texte off qui peut également apporter une certaine distance par rapport à ce que l’on raconte. Je songe par exemple à ce petit pied de nez où je moque du dessinateur qui a usé un peu trop de sa gomme pour effacer une partie des décors pour des scènes se déroulant dans la neige…

“Les carnets de Taupe” sont illustrés par votre ami Loïc Jouannigot.

Je voulais qu’il soit associé à cette série. Nous nous connaissons depuis longtemps, et il m’a conseillé de lire Kenneth Grahame… Vous connaissez la suite ! Les « Carnets de Taupes » n’existaient pas dans le roman. Je les ai créés car ils me permettaient de raconter de manière succincte les événements d’une journée, ou d’une période plus longue en quelques phrases et dessins. C’est une astuce scénaristique. Un ami anglais dessine dans un carnet les événements qu’il a vécus dans la journée. Ce principe m’amusait ! Je n’aurais pas pu dessiner ces carnets car mon dessin serait forcément fortement ressemblant dans les carnets et dans l’histoire que vivent mes petits personnages. Or, il fallait une cassure. Loïc Jouannigot et moi-même faisons partie d’une même famille graphique. Nous avons été nourris par les Disney, les albums de Calvo, etc. Il a un dessin légèrement plus « naïf » que le mien. Cela n’a strictement rien de péjoratif ou de méchant. Mais son graphisme, que j’apprécie beaucoup, correspondait à ce que je m’imaginais pour les carnets de Taupe. Il a accepté de les dessiner pour mon plus grand bonheur.

Extrait de "Le Vent dans les Sables" T4
(c) M. Plessix & Guy Delcourt

La cohabitation entre les êtres humains et les animaux existait-elle déjà dans le roman ?

Oui, bien sûr. Il y a déjà dans le roman ce mélange d’humains et d’animaux. Assez étonnamment, cet aspect dérange certains lecteurs de mon adaptation. Les gens qui ne connaissent pas le livre de Kenneth Grahame sont étonnés. Des collègues m’ont dit que je n’aurais pas dû faire ce mélange. Mais je n’y peux rien ! Je voulais rester fidèle à l’œuvre originelle. J’ai décidé de continuer dans la même voie, tout en compartimentant un peu plus les humains et les animaux dans Le Vent dans les sables. Ils se croisent, mais échangent peu ensemble ! Ceci dit, les animaux n’en sont pas vraiment. Il s’agit plus de petits humains portant des masques d’animaux !

Lequel vous ressemble-t-il le plus ?

Tous ! Mais c’est peut-être crapaud qui me ressemble le moins aujourd’hui. Quand j’étais un jeune adulte, j’avais un côté fou, gaffeur, à dire régulièrement n’importe quoi. J’espère avoir quelque peu effacé ces défauts de mon caractère (Rires). Quand j’étais enfant, je ressemblais à taupe. Aujourd’hui, je me situerais entre Rat et Blaireau.

Aujourd’hui, avec le Vent dans les sables, vous inventez de nouveaux personnages… Est-ce un plaisir ?

Oui. Ce qui m’intéresse le plus dans ce métier, c’est de faire vivre des personnages. Je ne me vois pas réaliser une série qui ne serait basée que sur une mécanique scénaristique. Ce n’est pas la mécanique scénaristique, mais les personnages qui me font vibrer. Les ambiances, également … Quand j’étais enfant, j’adorais Spirou, Tintin, Gil Jourdan. Il y avait dans ces séries une galerie de personnages intéressants. Dans Le Gant à trois doigts, une aventure de Gil Jourdan, le lecteur se fiche de l’intrigue. Par contre, les personnages sont truculents. J’aime donc créer des personnages et leur donner de la vie. J’apprécie de les faire dialoguer, et inventer des situations qui permettent de les définir ! Ce côté démiurge est très intéressant.

Extrait du Vent dans les Sables T4
(c) M. Plessix & Guy Delcourt.

Vous avez scénarisé une série pour Bazile, Les Forell. Quel plaisir avez-eu d’écrire pour un autre ?

Travailler avec un ami est toujours agréable ! Par contre, en tant que dessinateur, j’ai forcément un découpage dans ma tête lorsque j’écris. Les images de Bruno Bazile étaient forcément différentes. Cela ne veut en aucun cas dire que ma vision était meilleure que la sienne, mais j’ai dû apprendre à faire le deuil de mes images.

La bande dessinée est un art de la relecture. Beaucoup de bandes dessinées se relisent deux ou trois fois, voire plus ! C’est pour cela que je travaille les détails dans mon écriture et dans mon dessin. Cela permet aux gens, lors d’une seconde lecture, d’avoir un plaisir nouveau en découvrant des choses. Quand j’étais enfant, j’ai dû lire les albums d’Astérix et de Bernard Prince une bonne vingtaine de fois ! Dans Astérix, je découvrais sans cesse de nouveaux aspects, des éléments que je n’avais pas compris quelques mois auparavant. Il y a dans ces albums un plaisir différent selon les âges du lecteur !

(par Nicolas Anspach)

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Lire aussi : "Le souffle bucolique de Michel Plessix" (Février 2011)

Voir une interview filmée de Michel Plessix sur le site de notre partenaire France Télévision.

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Illustrations (c) Michel Plessix & Guy Delcourt - 2010

Photo de l’auteur (c) Nicolas Anspach

[1Michel Plessix a même réalisé quelques dessins pour les habitants d’Essaouira. Il a notamment illustré la carte du restaurant « Dar Loubane ».

✏️ Michel Plessix
 
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