Jean Graton, né en Nantes en 1923, confiait souvent que son milieu naturel était celui de la course automobile et pas celui de la bande dessinée. Cependant, ce Français d’origine modeste a réussi à faire de son héros Michel Vaillant une fiction de grande envergure crédible sur le sport automobile et par la même un classique de la BD d’aventures. Nombreux sont d’ailleurs les pilotes qui ont trouvé leur vocation en lisant les exploits des Vaillant. Récemment, Jacky Ickx , qui fut le temps de quelques courses le coéquipier de Michel Vaillant, déclarait dans la préface de l’excellente série Grand Prix de Marvano, qu’il se considérait comme « …un survivant d’une époque où l’on dénombrait trois accidents mortels par saison, soit une chance sur huit d’y rester [1] ». À ce titre, la réédition des treize premiers albums de Michel Vaillant forme un témoignage extraordinaire sur une période héroïque.
En 1957, Graton, qui a fait ses armes au service publicitaire du quotidien Les Sports, met en scène pour la première fois un jeune champion, né dans une famille de constructeurs automobiles, qui s’apprête à prendre part à ses premiers Grands Prix. Après quelques histoires courtes, Michel Vaillant connaît sa première longue aventure en 1959 avec Le Grand Défi, affrontement monté en épingle par la presse entre les pilotes de la Vieille Europe et les intrépides nord-américains. Les ingrédients qui vont faire le succès de la série sont là : une documentation sans faille, une rivalité sportive et loyale, des créations automobiles dignes de Pininfarina [2] et un duo de champions : Michel Vaillant et Steve Warson.
Au fil des albums suivants, Jean Graton fait voyager ses pilotes sur les lieux mythiques que sont Francorchamps, Monaco, Indianapolis ou le Nürburgring. Petit à petit, la série s’enrichit d’un contexte familial qui permet de s’éloigner du seul enjeu de la course. Ainsi, Route de Nuit, (le quatrième album paru en 1962), s’apparente plus à un polar, le diptyque La Trahison et Le Retour de Steve Warson (6ème et 9ème album en 1964 et 1965) forme un récit d’espionnage, et Le 8ème pilote (paru en 1965) fait figure de manuel humaniste de la Guerre Froide. Dans Le 13 est au départ [3], Vaillant fait la connaissance de l’infâme Bob Cramer, pilote vedette du Texas Driver’s Club, qui n’aura de cesse d’entretenir par la suite son rôle de Némésis de la famille Vaillant.
En 1968, la série compte déjà treize albums et Jean Graton fait partie du paysage des paddocks de Formule 1 ou des 24 Heures du Mans. Il est proche de la plupart des pilotes de son temps et en véritable fureteur, il n’est pas rare de le retrouver le nez dans le moteur des bolides. À la fin des sixties, les courses automobiles sont au faîte de leur popularité réunissant jusqu’à 300.000 spectateurs par week-end. Hollywood s’en empare avec Grand Prix de John Frankenheimer puis Le Mans de Steve Mc Queen, dans les chambres des ados, les posters de Jacky Ickx, Jim Clark ou Jackie Stewart côtoient ceux des idoles yéyés. Dans l’imaginaire collectif, Michel Vaillant a sa place sur les grilles de départ aux côtés des pilotes chevronnés. Les treize aventures rééditées aujourd’hui par Dupuis et Graton retracent l’époque de ces gentlemen drivers.
Nous avons demandé à Philippe Graton, qui gère le Studio Graton, comment allait se dérouler ce changement d’écurie : « Nous allons continuer selon le même procédé que pour les intégrales qui sont parues aux éditions du Lombard. Le Studio Graton prépare la matière éditoriale qui est livrée clé en main à l’éditeur. À l’origine, Graton Editeur est une petite structure créée par mon père et moi dans les années 1980, avec pour but d’éditer les nouveaux albums de Michel Vaillant puisque mon père n’avait plus d’éditeur à ce moment-là ». Mais d’année en année, le catalogue s’étoffe et il règne une certaine confusion car il y a des albums au Lombard, chez Dargaud, chez Novedi, chez Dupuis, chez Graton Editeur... Dès lors, Philippe Graton s’emploie à remettre de l’ordre dans le patrimoine de la série : « J’ai passé les dix dernières années à racheter des droits, à récupérer et rassembler tous ces albums, de façon à ce que pour la première fois, la totalité des aventures de Michel Vaillant se trouvent dans une seule structure ».
Outre les 70 albums de Michel Vaillant, Graton édite Palmarès Inédits et les Dossiers Michel Vaillant. Avec près de cent titres au catalogue, la petite société n’a plus les épaules assez larges. « Absolument, la logistique pour que tous les albums soient disponibles en permanence est énorme. D’autant que, en trente ans, le nombre annuel de nouveautés BD a été multiplié par huit ! Nous avions besoin d’exister encore dans les rayons bande dessinée, cela passait par une maison qui pouvait peser sur la diffusion » nous confie Philippe Graton. Il s’agit donc de déléguer l’édition, la partie commerciale, la gestion de stock et la force de vente à Dupuis, en conservant la partie créative au sein du Studio Graton. Philippe Graton poursuit : « Notre première idée était de confier cela au Lombard, puisqu’ils avaient réalisé un excellent travail sur l’intégrale Michel Vaillant. Ça n’a pas abouti, car Le Lombard voyait plutôt Michel Vaillant comme une de ses séries nostalgiques. En revanche, j’ai eu un excellent contact avec le nouveau directeur général de Dupuis, Olivier Perrard. On s’est rendu compte que c’étaient eux les bons partenaires : ils croyaient vraiment en Michel Vaillant, avaient plein d’idées et une volonté enthousiaste de rééditer l’ensemble puis de nous accompagner sur nos nouveaux projets ».
Car si la réédition des premières aventures comporte sa part de nostalgie, il n’est pas question d’en rester là, Michel Vaillant reprendra bientôt le volant : « En tant que scénariste j’y travaille activement. Je ne peux pas encore vous en dire trop, mais nous souhaitons entamer une nouvelle période, après les cinquante ans du personnage, en inscrivant Michel Vaillant et ses valeurs dans son époque, à la pointe de la technologie comme ça a toujours été le cas. Le monde de la course a beaucoup changé ces dernières années, nous voulons nous y adapter tant graphiquement que scénaristiquement ». L’ambitieux chantier est en cours et donnera lieu à une nouveauté dans le courant de l’année 2012.
Grâce à un subtil mélange de récits sportifs et de scènes de vie d’une petite famille bourgeoise française typique, Jean Graton a créé un classique : la plus véloce des bandes dessinées dont on retrouve les premiers épisodes en librairie avec plaisir.
(par Morgan Di Salvia)
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Toutes les illustrations sont © Graton - Dupuis, sauf mention contraire.
Les treize premiers albums de la série sont réédités chez Dupuis.
Le douzième Dossier Michel Vaillant consacré à Alain Prost paraît dans la foulée.
Enfin, le site officiel de la série fait peau neuve.
[1] Citation extraite de la préface de Renaissance, le premier tome de Grand Prix, paru chez Dargaud
[2] Célèbre entreprise de carrosserie et design automobile, fondée en 1930, qui créa la ligne de modèles pour Lancia, Fiat, Ferrari, Peugeot, Dodge,...
[3] principale source d’inspiration du film produit par Luc Besson en 2003
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