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Milo Manara (Borgia, Le Déclic) : "La femme possède un caractère sacré qu’il ne faut pas galvauder"

Par Nicolas Anspach Charles-Louis Detournay le 5 mars 2009               Borgia, Le Déclic) : "La femme possède un caractère sacré qu’il ne faut pas galvauder"" data-toggle="tooltip" data-placement="top" title="Linkedin">       Lien  
Collaborant avec Jodorowsky pour donner un aperçu de la mythique famille des Borgia, Manara renoue avec l'esprit des grands récits d'Hugo Pratt. L'occasion de nous parler de celui qu'il considérait comme 'son grand frère'.

En une tétralogie aussi passionnée qu’orgiaque, vous nous dépeignez une cité du Vatican bien éloignée des problèmes spirituels.

Alexandro Jodorowsky m’a proposé cette histoire qu’il maîtrise bien, car il en a déjà tiré une pièce de théâtre. Ce sujet m’a directement passionné pour plusieurs raisons. Tout d’abord, j’apprécie profondément la période de la renaissance, et en particulier, certains aspects picturaux des peintres de l’époque, dont Botticelli entre autres, qui a eu l’occasion de réaliser de nombreux portraits des Borgia. Et puis le décorum avec ses fresques, ses peintures et ses sculptures sont d’une grande richesse, avec un repérage plutôt aisé. Enfin, l’Italie est fortement liée à la peinture, plutôt qu’au dessin en lui-même, et c’est ce qui m’a donné l’envie de me lancer dans la couleur directe pour ce récit : je renoue avec mes racines.

D’ailleurs, on sent que vous avez voulu plus peindre que dessiner, sans doute porté par l’inspiration du lieu ...

Pour moi, c’était intéressant de donner une idée de l’époque. Les voyages dans le passé, sont un peu comme les voyages dans le futur : c’est important de recréer une certaine atmosphère. Mais il faut également éviter certains pièges : par exemple, la Chapelle Sixtine était différente à l’époque, car Michel-Ange n’y avait pas encore réalisé ses fresques. Même la basilique de Saint Pierre n’est pas identique à celle que l’on peut visiter actuellement. Il faut donc rassembler des anciennes images de ces lieux, qui sont très rares. Heureusement, on retrouve des descriptions sur lesquelles on peut se baser. Et si on représente cela avec de l’amour, de la passion et de la patience, cela devient plus facile …

Milo Manara (<i>Borgia</i>, <i>Le Déclic</i>) : "La femme possède un caractère sacré qu'il ne faut pas galvauder"

Avez-vous modifié votre façon de travailler pour aborder cette mise en couleurs directe ?

Pas vraiment, j’ai acheté un papier d’aquarelle très léger, que je découpe pour travailler en strip. Comme d’habitude, je fais imprimer les cadres de mes cases, et puis, je les traite comme de petits tableaux. Avec l’aquarelle, qui est à la fois très liquide tout en étant très évocatrice, c’est un plaisir de faire de la peinture. Mais cela me prend plus du double de temps par rapport à l’encrage. Bien sûr, beaucoup de coloristes font un excellent travail, mais pour cette histoire, les couleurs ont autant d’importance que le dessin, j’ai donc voulu tout réaliser moi-même. Comme c’est également un voyage dans la peinture de la Renaissance, j’ai essayé de garder certains tons de l’époque. Heureusement, la Renaissance était une période plus claire, plus transparente dans les tons que le baroque. Pour moi, c’était donc un réel plaisir.

Vous êtes-vous fait transporter par l’histoire d’Alexandro Jodorowsky comme quand Hugo Pratt ou Fellini écrivaient pour vous ?

C’est sans doute le récit où j’ai parfois le plus de mal, car il y a des scènes de cruauté et de violence que je n’ai pas l’habitude de dessiner. Mais cela faisait partie de l’époque : en traversant seul une ville, on avait peu de chance de ne pas être blessé, volé ou même tué. De plus, Borgia utilisait l’érotisme ou la force. On retrouve également Machiavel, qui a inventé la politique moderne, pleine de cynisme. Le mélange a donné un cocktail explosif : Borgia ! Et c’est pourquoi la violence et l’érotisme sont des éléments déterminants de l’histoire.

Vous offrez aux lecteurs un aspect de la religion qui pourrait aujourd’hui choquer les Catholiques aujourd’hui !

Je comprends que certains puissent s’en offusquer, mais c’est important de montrer que l’Église n’a pas toujours été comme cela. Si je devais raconter l’histoire de Cortès et des conquérants de l’Amérique du Sud, il faudrait évoquer les massacres et les pillages. Il faut pouvoir représenter la vérité historique. Je ne souhaite choquer personne, mais je crois que chaque grande religion monothéiste a quelque chose à se faire pardonner dans l’Histoire.

En règle générale, vous accordez une grande place à l’érotisme. Est-ce une voie qui qui vous inspire ou une attente du public que vous voulez combler ?

J’ai une vraie passion pour l’érotisme. Même pour les albums des autres quand leurs dessinateurs le met bien en valeur. La quantité que l’érotisme occupe dans l’espace mental des gens est d’au moins 50%, alors que dans la bande dessinée, il n’y a pas 50% d’érotisme !

Vous êtes plus attiré par le corps de la femme que par la représentation des débats charnels avec l’homme. Le Déclic montre une femme qui a des envies irrépressibles, tandis que Le Parfum de l’Invisible vous permet de dévoiler le corps féminin sous toutes ses facettes. C’est le côté voluptueux de la femme que vous mettez en avant, plus que le symbole érotique ?

Les deux premiers tomes ont bénéficié de nouvelles couvertures pour la création de Drugstore.

Oui, c’est presque une religion pour moi (Rires), car l’érotisme revêt une dimension sacrale. Mais, je n’apprécie pas du tout l’utilisation commerciale des attraits féminins dans la publicité. En bande dessinée, cela me convient si c’est traité d’une façon très respectueuse, avec un certain amour. Par contre, utiliser l’érotisme pour vendre quelque chose, lier un objet ou quelqu’un à la séduction d’une femme juste pour le vendre, cela se rapproche de la prostitution !

Une bonne part de vos revenus provient tout de même de l’érotisme ?

Plus qu’avec mes affiches ou figurines, je gagne ma vie grâce à mes droits d’auteurs. Bien sûr, on peut me reprocher de gagner aussi de l’argent sur l’érotisme, mais ce n’est pas mon fonds de commerce. Je reste respectueux.

Vous avez écrit des scénarios en mettant la femme en avant. Travailler avec de grands scénaristes comme Pratt, Fellini, Jodorowsky, n’est-ce pas une manière de vous ressourcer pour mieux vous relancer ?

Quand j’écris pour moi, je suis incapable d’avoir une veine dramatique ou sombre. C’est sans doute pour cela que les récits des autres sont plus tragiques. Mais, après la mort d’Hugo Pratt qui m’a profondément bouleversé, je n’étais pas visité par des idées amusantes. C’est pour cela qu’on retrouve un ton plus dur dans Révolution.

Quels rapports aviez-vous avec Hugo Pratt ?

C’était comme mon grand frère ! Sauf qu’entre frères, il peut arriver de se fâcher, mais cela n’a jamais été notre cas ! Nous étions des compagnons, qui voyagions partout. Comme il n’avait ni permis de conduire ni voiture, c’est moi qui jouait le chauffeur. Nous avons vécu des aventures incroyables ensembles, mais c’est un trop personnel pour pouvoir s’étendre...

Comment expliquez-vous que vous étiez si proches, alors que vous n’avez pas énormément travaillé ensemble ?

Nous avons bien entendu réalisé les livres que l’on connait : l’Eté Indien et El Gaucho. Nous avions d’autres projets dont nous parlions régulièrement, comme celui d’un gladiateur celtique dans la Rome antique, mais la mort nous a séparés …. Hugo Pratt a toujours aimé raconter des rencontres entre deux civilisations. C’est le grand thème de ses bandes dessinées, et en particulier, celles qu’il a écrites pour moi.

Concernant vos autres projets, après le quatrième Borgia qui sortira prochainement chez Drugstore, nous avons entendu que Julius II, le récit d’un autre pape, pourrait trouver sa place chez Delcourt.

Je laisse Alexandro [Jodorowsky] s’occuper de cela. Pour l’instant, je me concentre sur le dernier Borgia, puis sur un récit de X-Men pour Marvel, dans lequel Chris Claremont leur fait perdre leurs pouvoirs

C’est une envie d’aborder le monde des comics ?

J’avais ce scénario depuis deux ou trois ans dans mes tiroirs. Ils revenaient sans cesse à la charge pour me demander si j’allais m’y mettre ou pas. Je pense que pour être un vrai dessinateur de BD, il faut dessiner des super-héros américains. Mais cela m’est très difficile, car je dois pénétrer dans un univers inconnu. C’est un réel défi pour moi, et les vingt pages que j’ai déjà dessinées ont été réalisée dans une grande souffrance. Je suis habitué à travailler à ma guise, mais dans ce cas-ci, je dois m’adapter au format spécifique de la planche fournie par Marvel. Il faut aussi avouer que cet univers et sa mentalité sont très éloignés de Borgia !

Concernant le Déclic et le Parfum de l’Invisible, qui sont vos deux grands succès en tant qu’auteur complet, les considérez-vous comme terminées, ou avez-vous une idée pour une suite ?

La version couleur du Déclic sortira en avril (couverture provisoire)

Le danger, c’est surtout de refaire des choses que l’on a déjà faites. Je préfère me consacrer à d’autres récits, sauf si je trouve une idée formidable pour approfondir les sujets, et qui mériterait alors d’être développée. Mais je n’ai rien dans l’immédiat. Bien sûr, je pense à d’autres scénarios avec Albin Michel, devenu Drugstore, et Casterman, même si ces derniers ont actuellement plus mes préférences pour le type d’histoire que je souhaite raconter.

Dans un registre historique comme El Gaucho ou l’Été indien ?

J’ai déjà pensé à faire une suite à El Gaucho, car Hugo Pratt en avait évoqué la possibilité et m’avait confié ses idées, mais il faudrait alors que je parvienne à un accord avec Casterman et l’éditeur italien. Mon futur projet se porterait vers un récit plus moderne.

(par Nicolas Anspach)

(par Charles-Louis Detournay)

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Une interview de Vincenzo Cerami : "La vraie histoire passe entre les cases" (avril 2007)

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Illustrations : © Jodorowsky/Manara/Drugstore.
Photographie : © Nicolas Anspach.

 
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8 Messages :
  • Milo Manara a vraiment la classe pour dessiner de somptueuses jeunes femmes sans la moindre once de vulgarité !Un peu normal que Milo ait connu plein de Venus ! Même si Ma Nana est pas mal aussi ! Ahh, Humour quand tu nous tiens !°)

    Comme tout le monde, Milo a vieilli, hélas !! je ne l’avais pas vu en vrai ou en photo depuis des années ! Je suppose que nous avons à peu prés le même age, mais j’ai du mal à reconnaitre celui qui s’était mis en scène dans le formidable Giuseppe Bergman, cycle ambitieux où l’auteur s’exposait face aux affres de la création.

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    • Répondu par Sébastien Célimon le 5 mars 2009 à  17:41 :

      Je me souviens de nombreuses séquences, même dans le Déclic ou le Parfum, où la violence psychologique prenait le pas sur toute chose, ce qui rendait ses histoires encore plus fortes. J’ai beaucoup de respect pour cet auteur dont j’adore le trait, parfait et si reconnaissable. Certes ses femmes se ressemblent beaucoup entre elles, un peu comme les femmes chez Bilal, mais bien sûr cela n’ôte rien au talent... Merci pour ce témoignage !

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      • Répondu le 22 avril 2009 à  21:02 :

        Violence psychologique ? Faudrait pas non-plus prendre ces histoires trop au sérieux.

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    • Répondu le 6 mars 2009 à  15:37 :

      Une image de la femme pour des hommes. Stéréotypée et machiste. En cela, c’est vulgaire. On est aux antipodes de l’image érotique de la femme chez Gustav Klimt...

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      • Répondu le 8 mars 2009 à  15:15 :

        C’est vrai qu’avec Manara on est dans le porno chic. Vulgaire, mais chic.

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        • Répondu le 22 avril 2009 à  20:53 :

          porno ? Manara ? pas du tout ! les actes sexuels explicites sont rares, il se situe plus dans la retranscription de fantasmes et la dévotion au corps féminin. De même il n’est pas machiste puisque les personnages féminins ont en général des caractères forts et maîtrisent leur sexualité...On peut même dire qu’elles se jouent du désir masculin !

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      • Répondu le 22 avril 2009 à  21:00 :

        Que viens faire Klimt là-dedans ? Comparons ce qui est comparable !

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    • Répondu par Géraud le 3 février 2011 à  21:24 :

      celui qui s’était mis en scène dans le formidable Giuseppe Bergman

      Il avait mis en scène Alain Delon dans le "rôle" de Giuseppe Bergman, pas lui-même.

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