Ce second tome concerne les années 1937 et 1938, où Milton Caniff poursuit sa série en prenant pour prétexte une chasse au trésor pour faire vivre au lecteur des aventures dépaysantes. Dans le même temps, il se met à radicaliser son utilisation du pinceau et le contraste entre les parties noires et blanches de la case.
Mais il n’affûte pas simplement son obtention d’effets dans le domaine du clair-obscur. Dans son art de raconter, il démontre, encore plus, que ceux qui ne verraient aujourd’hui dans Terry et les Pirates qu’un « vieux machin poussiéreux » se fourvoient lourdement.
Un auteur résolument moderne dans sa narration…
Ainsi, ses progrès sont flagrants dans le domaine de la fiction et de son aptitude particulière à faire vivre les personnages. Voyez le capitaine Judas, avec son tank sous-marin, l’un de ces pirates qui justifient le titre de la série, donné par un autre capitaine, Joseph M. Patterson, le commanditaire de son syndicate-éditeur, afin de faire plus « exotique ».
Le plus stupéfiant, c’est le général Klang, cette sorte de Josef von Sternberg asiatique, la cruauté d’un intransigeant seigneur de la guerre en prime, doté d’une écœurante suffisance, parlant de lui-même à la troisième personne. Et on aime le détester…
La palme revient sans doute dans ce tome aux dialogues acérés entre « cheveux d’or » Burma et Dragon Lady. Miles Hyman nous la fait paraître plus terrible encore dans un des quatre hommages graphiques rajoutés à l’édition originale, en fin de volume.
Exemple très significatif de cette modernité ébouriffante : dans les années 1930, dans son pays puritain, voire pudibond, Milton Caniff n’hésite pas à insérer une intrigue amoureuse complexe façon ménage à trois entre Normandie Drake, sa crapule de mari et l’un des protagonistes de la série, Pat Ryan !
Ce dernier est présent pour donner plus de maturité à son récit, à côté du jeune Terry Lee. D’adolescent assez falot, Caniff le fait évoluer vers plus de complexité psychologique. Au fil de la série, en grandissant, il va semblablement connaître des amours moins mièvres, en réaction à ce qui s’imposait ailleurs comme la norme.
…Mais d’un conservatisme politique et d’un patriotisme des plus étroits
Néanmoins, cette capacité d’innovation dans l’art de raconter contraste avec le fort conservatisme politique de l’auteur qui se présente comme le chantre de l’impérialisme américain.
Déjà, avant que le Deuxième Conflit mondial ne se profile, freiné par les opinions pro-isolationnistes de son éditeur, Milton Caniff s’affiche, au contraire, en va-t-en-guerre interventionniste. Il aurait même combattu si son état de santé le lui avait permis.
Davantage qu’un Hergé qui se préoccupe de réalisme documentaire seulement à partir du Lotus bleu, Caniff redouble d’efforts pour dépeindre le rôle hostile des « envahisseurs » de la Chine (les Japonais), bien avant Pearl Harbor, avec un degré d’exigence supérieur dans le sens de la reconstitution et du détail.
Après son soutien très actif à l’action militaire de son pays, loin de s’essouffler, sa position s’exacerbe alors même que les combats s’achèvent. La Guerre Froide et la prise de contrôle du Tibet (1950) par la Chine communiste entraînent dans sa série suivante, Steve Canyon, le renforcement de son engagement.
De nombreuses planches et dessins originaux issus des deux séries majeures (1934-1946) et (1947-1988) de l’illustre rejeton de l’Ohio étaient visibles dernièrement à la galerie parisienne 9e ART (19 mai-15 juin 2011). Ce qui permettait d’observer de plus près le talent du dessinateur.
En effet, un artiste de son acabit pouvait, outre des repentirs, avoir de petites déficiences : une main lourde, au sens littéral, pour Steve Canyon, sur telle planche ou des roues d’une Jeep en mouvement pas très convaincantes, sur une autre. Toutefois, cela relève de l’exigence de l’œil très averti, car pour le reste, c’est un pur bonheur !
(par Florian Rubis)
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En médaillon : détail de la couverture de Terry et les Pirates T2 © 2011 Bdartist(e) pour l’édition française
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Terry et les Pirates T2 - Par Milton Caniff – Bdartist(e) – 360 pages, 49 euros
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