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Mitterrand Requiem - Par J. Callède - Le Lombard

Par Tristan MARTINE le 19 avril 2016                      Lien  
Une biographie ésotérique d’un Mitterrand mystique, faisant le bilan de sa vie à l’article de la mort.

A l’occasion des vingt ans de la mort de François Mitterrand, commémorés au mois de janvier, le neuvième art, comme l’ensemble des arts, et des médias en général, s’est engouffré dans ce filon. Faire les louanges des grands hommes est un exercice actuellement à la mode, et pourtant assez compliqué, surtout quand il s’agit d’un personnage aussi complexe que l’était le premier président socialiste de la Ve République. Est ainsi paru il y a quelques mois une bande dessinée très intéressante, Mitterrand, un jeune homme de droite, à l’approche clairement historico-politique.
Mitterrand Requiem - Par J. Callède - Le Lombard
Joël Callède apporte à son tour sa pierre à l’édifice. Plus connu pour son travail de scénariste de thrillers (Comptine d’Halloween, Dans la nuit) et polars, comme Asthénie, que l’on a retrouvé en 2014 aux manettes d’un album de XIII Mystery (Betty Barnowsky), avec Sylvain Vallée aux pinceaux. Pour ce projet qui lui tenait à cœur, l’auteur décida de se remettre au dessin, alors qu’au début de sa carrière, les éditeurs avaient retenu ses projets comme scénariste, mais avaient préféré lui adjoindre d’autres dessinateurs.

L’auteur a le mérite d’adopter un angle d’attaque, de ne pas vouloir dresser un portait évènementiel, didactique ou pédagogique de l’ancien président, s’éloignant de la biographie classique, du biopic, genre à la mode, ou du BD-reportage. Il livre « son » Mitterrand, c’est-à-dire le « mystique », celui qui déclara lors de ses derniers vœux présidentiels : « Je crois aux forces de l’esprit, et je ne vous quitterai pas ». Joël Callède le précise dans son avant-propos : « [Mitterand] croyait aux forces de l’esprit. Il existait en lui une curiosité insatiable pour les choses de « l’au-delà ». […] L’âge venant, il avait pris ses distances avec l’Église catholique de son enfance. Mais il conservait des questionnements métaphysiques qui l’ont taraudé jusqu’à son dernier souffle. Le grand mystère du sens de la vie et de la mort avait fini par prendre toute la place. Cette dimension-là me touche profondément. Car ces questionnements sont aussi les miens. Refuser de réduire l’homme à une simple vision matérialiste, déceler le sacré dans le cours ordinaire de l’existence, s’ouvrir à la transcendance et à l’invisible, voilà ce qui fonde aujourd’hui mon regard sur le monde. Je me sens forcément proche du Mitterrand qui s’était donné pour but ultime de comprendre l’inconcevable. »

C’est ce questionnement spirituel qui constitue le fil rouge de la narration, et si cette approche trouvera probablement des lecteurs sensibles au regard de Mitterrand sur le monde, à « une certaine façon d’habiter le grand Mystère qui nous relie tous. Une forme d’espérance », d’autres, plus hermétiques à l’ésotérisme (et ils seront nombreux), risquent de ne pas s’y retrouver tout à fait.

Le dessin est élégant, la mise en page et les couleurs sont efficaces. Il est assez dépouillé et se met au service des dialogues, au centre du récit. C’est d’ailleurs le propos qui pose question. L’album repose sur un dialogue d’Anubis avec le président mourant, à Noël 1995, qu’il passa en Égypte, quelques jours avant sa mort. Cela le conduit à revivre différentes scènes de sa vie, comme par exemple le jour de son investiture, quand il rentra au Panthéon. Mais Anubis lui fait revisiter cette scène qui le fit entrer au Panthéon de son vivant en le faisant dialoguer dans le crypte du temple républicain avec Jaurès, qui incarne un socialisme pur, non frotté à l’exercice de la réalité du pouvoir et de ses compromis, ainsi qu’avec Jean Moulin, qui lui reproche son attitude durant la Seconde Guerre mondiale. Les deux illustres panthéonisés s’adressent à lui en ces termes : « Mais toi, qui te réclames tant de notre héritage, dis-nous donc quelle mort glorieuse t’a réservée la grande faucheuse ? ». Et Mitterrand, le regard baissé, de répondre : « Cancer de la prostate ». Moulin et Jaurès le condamnent alors : « Tout est dit. On a la mort qu’on mérite… Adieu camarade. Ta place ne sera jamais ici. ». Ce dialogue a quelque chose de surréaliste et nous laisse un peu abasourdis…

L’album revient ensuite sur Mazarine, dans une scène au goût douteux, puis s’attarde sur la question de la peine de mort, en opposant le président abolitionniste et l’ancien garde des sceaux du président Coty, qui fit guillotiner à tour de bras dans l’Algérie en insurrection, épisode peu connu et que cet album rappelle avec pertinence (même si l’image des zombies tenant leur tête à la main et disant à Mitterrand : « Nous sommes tes morts ! Tes guillotinés ! » est pour le moins étonnante…). Plusieurs pages sont également consacrées à Danielle Mitterrand et à François de Grossouvre, qui s’adresse au président, une arme à la main, lui expliquant qu’il est responsable de son désespoir et donc de son suicide. L’ensemble dresse un portrait sans complaisance, parfois même à charge, de l’homme politique, de ses louvoiements, reniements, renoncements, trahisons. Mitterrand répond à chaque attaque, avec quelques mots pour se défende, mais ce que l’on garde en tête, ce sont les images de Mazarine pleurant, de Grossouvre sanguinolent, etc.

« Bonhomme qui va austère /Au milieu des landes, des bruyères / Silhouette insolites/ Bloc de granit/ Tonton foule la terre/ Lentement/ Comme le temps/ Le temps qui, pourtant, emporte/ Les idées, les hommes et les amours mortes/ […] Il a le regard des sages/ Il est la force tranquille, sereine/ Il est comme un grand chêne »
Tout comme J. Callède, le chanteur Renaud, dont le nouvel album est sorti deux semaines après celui de J. Callède, fut également sous le charme de « Tonton », et il se laissa aller lui aussi à quelques vers grandiloquents sur le rapport au temps et à la mort de Mitterrand, s’embarquant dans la démesure du personnage.
« Le vent qui, pourtant, emporte/ Son joli chapeau que le chien rapporte/ Il est plein de bave/ Ce n’est pas bien grave/ Un chapeau ça se lave/ Mais ça fait sale/ Et tonton râle »
Mais il sut également apporter une touche d’humour qui manque un peu à cet album grave, parti à la recherche de la dimension transcendante de l’être humain.

(par Tristan MARTINE)

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