La chasse est lancée. Sur le Pequod, l’hystérie hypnotique d’Achab a cédé place au découragement de l’équipage face à la solitude et aux maladies. Le capitaine vitupère ses hommes. Mais le grand cachalot blanc reste introuvable, les vociférations et la folie sanglante d’Achab n’y peuvent rien. Le combat fatal retardé, les hommes préparent leurs linceuls de bois et d’eau. Ils savent déjà qu’il ne pourra y avoir qu’un seul survivant.
Le noir et blanc de Chabouté est profond comme une blessure, celle de l’âme tourmentée du capitaine. On plonge dans l’antre de sa folie, dans la profondeur abyssale de son destin, rencontrant sa fin dans ce duel avec le dieu des mers.
Dans cette joute infernale, la violence titanesque est sublimée par l’auteur grâce à un encrage magnifique qui donne toute sa profondeur à ce combat sans issue. Achab ne peut sortir vainqueur de cette bataille, Moby Dick étant devenu son reflet lumineux. La confrontation entre le noir et le blanc marque les deux principaux protagonistes comme deux faces d’une même tragédie. Les intertitres mettent en place un récit à l’écriture presque physique, un ressenti où point la virtuosité littéraire de Melville et d’où saillit l’obsession d’un simple humain qui conduit aussi sûrement son navire à sa perte que son âme à la damnation.
Les marins du Pequod essaieront bien de ramener leur capitaine à la raison mais ce dernier a déjà forcé le destin, et hors de l’idée de rejoindre la terre des vivants, sa haine le conduit à côtoyer le rivage des morts.
Chabouté donne, grâce à la précision de son trait tiré et effilé, une force impressionnante à son adaptation. On ressent avec précision toute la tension emmagasinée par son héros. La délivrance ne viendra que de la dissolution de ces vies dans l’immensité océane. Entre acharnement et folie, Achab mène une mission sacrée. Il ne renoncera en aucun cas, que ce soit devant l’effroi de l’équipage ou les eaux rougies du sang de ses hommes. Cette vision terrifiante et dangereuse est portée par des dialogues limpides et des images expressives qui mettent en branle des sentiments qui vont au-delà d’une simple chasse à la baleine.
Ce mauvais voyage sera le dernier de la série. Le diptyque sombre dans une étincelante noirceur que Chabouté arrive à rendre avec des silences et des images brutes et directes. Les mots sont transformés en geste et forgent un récit dense de visions et de sensations qui font de la difficile tentative d’adapter un chef-d’œuvre tel que celui-ci, une totale réussite.
(par Vincent GAUTHIER)
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