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Mort de Marcel Gotlib, géant de l’humour

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 5 décembre 2016                      Lien  
On apprend avec peine le décès de Marcel Gotlib à l’âge de 82 ans. Fondateur des magazines L’Écho des Savanes et de Fluide Glacial, compagnon de route de Vaillant-Pif et de Pilote, il a été une des grandes figures de la bande dessinée d’humour de notre époque.

Marcel Gotlib (né Gottlieb) a vu le jour le 14 juillet 1934 à Paris dans une famille d’origine juive hongroise. Son père, Ervin, est mort en déportation à Buchenwald et le petit Marcel est obligé de se cacher dans une famille de fermiers pour échapper aux rafles.

À la Libération, il fait des premiers travaux graphiques pour Paul Winkler le fondateur d’Opera Mundi et du Journal de Mickey, mais c’est le journal Vaillant, l’ancêtre de Pif Gadget édité par le Parti Communiste Français qui lui donne sa chance. Il y crée la série Nanar, Jujube et Piette dans laquelle naît le personnage de Gai-Luron en 1964.

Mort de Marcel Gotlib, géant de l'humour
© Fluide Glacial
Gotlib se dessine face à Goscinny dans "La Rubrique à Brac"
© Dargaud

Mais la révolution Pilote (1959) lancée par René Goscinny, Jean-Michel Charlier et Albert Uderzo, qui amène en France une nouvelle génération d’auteurs influencée par la bande dessinée américaine et notamment Mad Magazine d’Harvey Kurtzman, l’attire.

Le moment Pilote

René Goscinny le prend sous son aile et lui offre de faire Les Dingodossiers en 1965, une bande dessinée sans héros qui fait la parodie d’un enseignement dispensé jusque là ex-cathedra. Sans héros, ou presque, car des personnages reviennent qui deviendront célèbres : Isaac Newton et le professeur Burp, par exemple. Au bout de deux ans, Goscinny lui passe le relais. Le principe encyclopédique est préservé avec La Rubrique-à-Brac (1968) où reviennent régulièrement Bougret et Charolles dont les physiques ressemblent étrangement aux icônes qui figurent en tête des BD paraissant dans le journal. On reconnaît Gotlib, Gébé, Fred et le traître récurrent René Goscinny. Gotlib se fait quelquefois scénariste pour les Cinémastock (1970) qu’il crée avec Alexis, et surtout Superdupont qu’il crée conjointement avec Lob.

René Goscinny, Gotlib et Mandryka dans les années 1960.
Photo : DR

Le bruit tonitruant de l’Écho des savanes

La jonction avec Nikita Mandryka, un collègue de Pif, dans Clopinettes, va provoquer une volonté d’indépendance. Après un détour par Rock & Folk où Gotlib crée un scout peu catholique, Hamster Jovial (1971), c’est la création de L’Echo des Savanes (1972) où ses personnages crient « Rhââ Lovely  ». Ce titre accomplit en France le mot d’ordre lancé quelques années auparavant par Crumb  : « To put an X in the comics » (mettre du sexe dans les bandes dessinées). On y voit des personnages pisser dans le lavabo et le petit Chaperon rouge faire des cochonneries que la morale réprouve, tandis que La Coulpe recourt à la psychanalyse la plus littérale.

Mandryka dessine les fondateurs de L’Echo des Savanes
© Dargaud
© Fluide Glacial

En 1975, Gotlib quitte L’Écho pour fonder Fluide Glacial avec son copain d’enfance Jacques Diament. On passe du scato et du porno à l’Umour, la dérision et la Bandessinée, bref l’humour potache : Pervers Pépère (1975) est bien moins transgressif que son copain boy-scout. Gotlib y attire Franquin, le temps des Idées noires, et met dans la lumière quelques-uns des meilleurs humoristes de la période : Binet, Edika, Goossens et des dizaines d’autres.

L’aventure se termine lorsque fourbu, traumatisé par la mort de sa mère, sa santé commençant à montrer des signes de faiblesse, Gotlib et son ami Diament revendent la taule à Flammarion en 1995.

© Fluide Glacial

Ces dernières années, une grande exposition au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme revenait sur les origines juives, bien ténues cependant, du créateur de Gai Luron donnant à décrypter ses récits d’enfance La Coulpe (1973) où il découvre le sens de l’expression "humour grinçant" arborant sur la poitrine une étoile de David, Au Square (1970), où les pelouses vertes lui sont interdites, La Chanson aigre-douce (1969) une page de la Rubrique-à-Brac créée à la naissance de sa fille et qui évoque son enfance cachée pendant l’Occupation chez un couple qui le battait, ou encore Manuscrit pour les générations futures (1968), une page de la Rubrique-à-Brac encore qui préfigure métaphoriquement Maus où des rats, en butte à l’hygiénisme des autorités, se trouvent débusqués au gaz, avant d’être déportés de Baltard à Rungis et définitivement exterminés : "Je la transcris d’après la tradition orale, afin de perpétuer le souvenir du Paradis perdu" écrit-il alors.

Il avait décroché le Grand Prix du Festival d’Angoulême en 1991 et ActuaBD l’avait nommé « homme de l’année » en 2014 suite à son expo au MAHJ. L’Express venait récemment de lui consacrer un hors-série.

Maîtres de l’humour : Morris, Will Eisner, Gotlib et Kurtzman à Angoulême.
Photo : DR

Les générations futures se souviendront longtemps de Gotlib dont le graphisme et l’humour n’ont pas pris une ride. Il rejoint Molière, Alphonse Allais, Pierre Dac, René Goscinny et Pierre Desproges parmi nos classiques de l’humour.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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En médaillon : Marcel Gotilib. © Dargaud / Rita Scaglia

 
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5 Messages :
  • Mort de Marcel Gotlib, géant de l’humour
    5 décembre 2016 09:09, par Liaan

    Bonjour
    Navré de vous décevoir : dans les enquêtes de Bougret, c’est plutôt Fred ( Aristidès, Othon,Frédéric Wilfrid) que Gébé qui est représenté parmi les suspects.

    Répondre à ce message

    • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 5 décembre 2016 à  09:15 :

      Gébé, c’est Bougret. Mais vous avez raison, il ne faut pas oublier Fred. C’est rajouté.

      Répondre à ce message

  • Mort de Marcel Gotlib, géant de l’humour
    5 décembre 2016 09:44, par ERIC COUNE

    A noter, comme repris dans votre article ci-dessous, que Marcel est venu en 2007 à Bruxelles au Comicsfestival pour recevoir le Grand Prix Saint-Michel de la BD. A cette occasion j’ai eu beaucoup de plaisir à le revoir (je ne l’avais plus vu depuis 1995) et par après je l’ai eu de temps en temps au téléphone avec toujours autant d’ humour et de dérision, même vis à vis de sa maladie, quand il répondait au téléphone c’était : "Ici Gotlieb Vador pfff pfff"
    http://www.actuabd.com/Gotlib-laureat-du-Grand-prix-Saint-Michel-2007
    Eric Coune

    Répondre à ce message

    • Répondu par Pirlouit le 5 décembre 2016 à  21:21 :

      J’aime bien votre dernière photo : quatre Maîtres de la BD, désormais tous décédés. Ils doivent jouer au bridge ou plaisanter entre eux, du moins je l’espère...

      Répondre à ce message

      • Répondu le 6 décembre 2016 à  06:31 :

        Ou alors, plus rationnel, ils sont morts pour de vrai mais nous ont laissé des œuvres. Leur paradis, c’est ça et rien d’autre.

        Répondre à ce message

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