Marcel Gotlib (né Gottlieb) a vu le jour le 14 juillet 1934 à Paris dans une famille d’origine juive hongroise. Son père, Ervin, est mort en déportation à Buchenwald et le petit Marcel est obligé de se cacher dans une famille de fermiers pour échapper aux rafles.
À la Libération, il fait des premiers travaux graphiques pour Paul Winkler le fondateur d’Opera Mundi et du Journal de Mickey, mais c’est le journal Vaillant, l’ancêtre de Pif Gadget édité par le Parti Communiste Français qui lui donne sa chance. Il y crée la série Nanar, Jujube et Piette dans laquelle naît le personnage de Gai-Luron en 1964.
Mais la révolution Pilote (1959) lancée par René Goscinny, Jean-Michel Charlier et Albert Uderzo, qui amène en France une nouvelle génération d’auteurs influencée par la bande dessinée américaine et notamment Mad Magazine d’Harvey Kurtzman, l’attire.
Le moment Pilote
René Goscinny le prend sous son aile et lui offre de faire Les Dingodossiers en 1965, une bande dessinée sans héros qui fait la parodie d’un enseignement dispensé jusque là ex-cathedra. Sans héros, ou presque, car des personnages reviennent qui deviendront célèbres : Isaac Newton et le professeur Burp, par exemple. Au bout de deux ans, Goscinny lui passe le relais. Le principe encyclopédique est préservé avec La Rubrique-à-Brac (1968) où reviennent régulièrement Bougret et Charolles dont les physiques ressemblent étrangement aux icônes qui figurent en tête des BD paraissant dans le journal. On reconnaît Gotlib, Gébé, Fred et le traître récurrent René Goscinny. Gotlib se fait quelquefois scénariste pour les Cinémastock (1970) qu’il crée avec Alexis, et surtout Superdupont qu’il crée conjointement avec Lob.
Le bruit tonitruant de l’Écho des savanes
La jonction avec Nikita Mandryka, un collègue de Pif, dans Clopinettes, va provoquer une volonté d’indépendance. Après un détour par Rock & Folk où Gotlib crée un scout peu catholique, Hamster Jovial (1971), c’est la création de L’Echo des Savanes (1972) où ses personnages crient « Rhââ Lovely ». Ce titre accomplit en France le mot d’ordre lancé quelques années auparavant par Crumb : « To put an X in the comics » (mettre du sexe dans les bandes dessinées). On y voit des personnages pisser dans le lavabo et le petit Chaperon rouge faire des cochonneries que la morale réprouve, tandis que La Coulpe recourt à la psychanalyse la plus littérale.
En 1975, Gotlib quitte L’Écho pour fonder Fluide Glacial avec son copain d’enfance Jacques Diament. On passe du scato et du porno à l’Umour, la dérision et la Bandessinée, bref l’humour potache : Pervers Pépère (1975) est bien moins transgressif que son copain boy-scout. Gotlib y attire Franquin, le temps des Idées noires, et met dans la lumière quelques-uns des meilleurs humoristes de la période : Binet, Edika, Goossens et des dizaines d’autres.
L’aventure se termine lorsque fourbu, traumatisé par la mort de sa mère, sa santé commençant à montrer des signes de faiblesse, Gotlib et son ami Diament revendent la taule à Flammarion en 1995.
Ces dernières années, une grande exposition au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme revenait sur les origines juives, bien ténues cependant, du créateur de Gai Luron donnant à décrypter ses récits d’enfance La Coulpe (1973) où il découvre le sens de l’expression "humour grinçant" arborant sur la poitrine une étoile de David, Au Square (1970), où les pelouses vertes lui sont interdites, La Chanson aigre-douce (1969) une page de la Rubrique-à-Brac créée à la naissance de sa fille et qui évoque son enfance cachée pendant l’Occupation chez un couple qui le battait, ou encore Manuscrit pour les générations futures (1968), une page de la Rubrique-à-Brac encore qui préfigure métaphoriquement Maus où des rats, en butte à l’hygiénisme des autorités, se trouvent débusqués au gaz, avant d’être déportés de Baltard à Rungis et définitivement exterminés : "Je la transcris d’après la tradition orale, afin de perpétuer le souvenir du Paradis perdu" écrit-il alors.
Il avait décroché le Grand Prix du Festival d’Angoulême en 1991 et ActuaBD l’avait nommé « homme de l’année » en 2014 suite à son expo au MAHJ. L’Express venait récemment de lui consacrer un hors-série.
Les générations futures se souviendront longtemps de Gotlib dont le graphisme et l’humour n’ont pas pris une ride. Il rejoint Molière, Alphonse Allais, Pierre Dac, René Goscinny et Pierre Desproges parmi nos classiques de l’humour.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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En médaillon : Marcel Gotilib. © Dargaud / Rita Scaglia
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