On a mis deux jours à découvrir son corps. Stephen J. Ditko est mort seul, chez lui, à New York d’un arrêt cardiaque à l’âge de 90 ans. Celui qui avait inventé avec Stan Lee le personnage de Spider-Man était un créateur cérébral qui a impulsé à l’industrie du comic book un esprit et un sens de la composition qui ont puissamment influencé les créateurs qui lui succédèrent.
Né le 2 novembre 1927 à Johnstown en Pennsylvanie d’une famille d’immigrants slovaques, il fit des études d’art avant de s’inscrire en 1950 dans la classe de Jerry Robinson (dessinateur de Batman, créateur du Joker) à la Cartoonists and Illustrators School (rebaptisée plus tard School of Visual Arts) de New York City.
Au bout de quelques premières publications, il entre en 1953 dans l’atelier de Jack Kirby et Joe Simon, les créateurs de Captain America, travaillant à l’encrage et aux décors du « king of comics ». Cet épisode est l’occasion d’un compagnonnage fructueux avec un autre de leurs assistants : Mort Meskin, un formidable dessinateur un peu méconnu dont il est l’héritier cependant en droite ligne.
Peu de temps après, il commence à travailler pour Charlton Comics, un éditeur auquel il resta fidèle des décennies durant, en dépit du fait qu’il doive rapidement interrompre son début de collaboration en raison d’une tuberculose qui l’amène à devoir revenir se soigner chez ses parents pendant quelques mois.
Naissance de Spider-Man
De retour à New-York en 1955, il entre aux services de Marvel (qui s’appelait encore Atlas en ce temps-là) où il devient le maître d’œuvre des récits courts de SF et d’horreur de la maison (Strange Tales, Amazing Adventures, Strange Worlds, Tales of Suspense et Tales to Astonish…) qui remportant un grand succès et pour lesquels Stan Lee et lui mettent au point une méthode de collaboration qui deviendra usuelle chez Marvel : Stan lui donne un sujet et un pitch, Ditko le développe et Stan Lee revient dessus en réécrivant et en peaufinant les dialogues. Une façon de faire qui permet au chief editor de la maison de s’approprier bien des trouvailles de ses collaborateurs…
Pour créer Spider-Man (1962), son nouveau super-héros, dont Stan Lee tient, quand il est sans son costume, à ce qu’il soit un jeune homme absolument ordinaire, le scénariste de la Maison des idées pense évidemment à son dessinateur-star Jack Kirby. Mais les essais que lui remet l’inventeur graphique des Fantastic Four montrent un personnage trop musclé. Ditko de son côté propose un personnage de lycéen plus chétif, qui lui ressemble d’ailleurs beaucoup. Dans le cadre de cette association, Ditko crée les personnages de Doctor Octopus, Sandman, the Lizard ou Green Goblin…
Dans la foulée, Ditko crée le personnage du Docteur Strange (1963), un sorcier- magicien « maître des arts mystiques » aux puissants pouvoirs occultes. Comme Kirby, avec moins de brio mais avec un sens impeccable de la composition, ses dessins s’hasardent quelquefois dans l’abstraction, mais Ditko est davantage cérébral et son travail graphique d’inspiration surréaliste voire psychédélique s’adapte parfaitement au caractère fantastique de ses récits.
Après quatre ans cependant, Ditko prend ses distances avec la Marvel en raison de nombreuses divergences sur les choix créatifs, mais surtout d’une tendance de Stan Lee d’un peu trop tirer la couverture à lui. Il en résulte de la part de Ditko une intransigeance qui fera de lui un dessinateur farouchement indépendant qui ne sera plus attaché à aucune grande série.
Un touche-à-tout de génie
En dépit de ses idées proprement réactionnaires (il se réclame de l’objectivisme d’Ayn Rand qui prône « l’égoïsme rationnel » comme la base de la société capitaliste), il crée successivement Blue Beetle (1967–1968) puis The Question (1967–1968), et Captain Atom (1965–1967) tout en réalisant sporadiquement de courts récits d’horreur pour la Warren pour les magazines Creepie et Eerie, ou le personnage de Mr A pour la revue indépendante Witzend publiée par Wallace Wood, où il peut développer ses théories objectivistes dans un procédé de narration dont se souviendra Alan Moore. Il envisage ainsi le héros comme une projection positive qui permet à l’individu de se construire sa propre morale.
À partir des années 1970 jusqu’à ses dernières années professionnelles il y a deux ans encore, il avait multiplié les boulots divers, l’éditeur Robin Snyder rassemblant ces travaux épars dans des anthologies. Sa dernière grande création fut Squirrel Girl (1992), une jeune femme aux superpouvoirs d’écureuil scénarisée par Will Murray pour Marvel
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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