Ceux, nombreux, qui trouvaient la CIBDI isolée à la périphérie d’Angoulême, bien loin des bulles des éditeurs pendant le Festival, vont peut-être devoir réviser leur jugement. Projets après projets, le quartier construit son homogénéité et son dynamisme autour des métiers liés au dessin. Des salles d’expositions, une bibliothèque de prêt, deux salles de cinéma, une librairie et plusieurs écoles spécialisées dans le multimédia et l’animation sont déjà installées à cet endroit. Avec le musée de la bande dessinée, voila donc une brique supplémentaire, et quelle brique !, dans ce processus de développement.
Le bâtiment à la grande façade vitrée imaginé par Roland Castro dans les années 80 aura donc son pendant sur la rive droite de la Charente. Pour y accéder, a été construite une longue passerelle en bois où l’on croise la statue filiforme d’un Corto Maltese rêveur, réalisée par Luc et Livio Benedetti. A travers les grands arbres qui bordent la rivière, apparaît alors la claire silhouette d’anciens chais datant du milieu du XIXème siècle. Superbement réhabilitée, la façade de pierre blanche accueille le visiteur sur un large parvis, lieu de promenade lorsque le temps le permet.
Dès les premiers pas à l’intérieur du musée, on découvre le parti-pris de l’architecte Jean-François Bodin, un savant dosage de couleurs et de matériaux qui mêle le blanc de la pierre, le brun du bois et les différentes teintes de gris du mobilier et des murs. Le passage à la librairie, transportée du bâtiment Castro jusqu’ici, confirme l’impression : c’est bien le gris qui domine. Visuellement, le résultat peut paraître un peu triste, même s’il est difficile de se faire une opinion tant que les albums, très colorés, n’ont pas été installés. Placés dans des rayonnages inaccessibles, les quatre strips de François Ayroles sur le thème de la lecture achèvent de familiariser l’œil du visiteur avec le code couleur.
Laissant la librairie sur sa droite, le visiteur emprunte le couloir qui s’enfonce vers l’intérieur du bâtiment et tourne à gauche vers la salle d’exposition temporaire. Une pièce toute en longueur de 390 m² dotée en son centre d’un puits de lumière. La surface paraît faible pour des expositions d’envergure, mais Jean-Philippe Martin, directeur de l’action culturelle de la CIBDI, précise que de telles expositions seront réparties sur plusieurs sites à travers la ville, dont le bâtiment Castro. A commencer par l’exposition "Tarzan !", présentée à la fin de l’année à Angoulême après sa création au musée du Quai Branly.
Un peu plus loin que la salle d’exposition temporaire, la salle d’exposition permanente est le fleuron du musée. Sur 1330 m², une grande pièce et trois alcôves, elle présente par roulement de trois mois (afin de respecter les règles de conservation) une partie des 8 000 originaux de la collection, dont les plus anciens, des dessins de Rodolphe Töpffer, datent de 1833. L’éclairage tamisé à 50 Lux, règles de conservation obligent, est astucieusement assuré par des néons masqués derrière des toiles blanches. La lumière douce, le ton grisâtre des banquettes et des murs, les nombreux ordinateurs ainsi que le choix du style du mobilier donne à la salle a un petit côté 2001 l’odyssée de l’espace qui ne fait pas l’unanimité auprès des quelques premiers visiteurs. Chacun jugera suivant ses goûts, mais force est de constater que la grande salle du musée dispose d’une forte identité visuelle. Le déplacement du public dans ce grand espace est en tout cas très agréable. Malgré le caractère open space de la salle, les vitrines basses imposent imperceptiblement un sens de visite en serpentant entre les banquettes. Important de ne pas se disperser quand on sait que le parcours est en grande partie chronologique. Les œuvres n’étant pas encore exposées, nous nous arrêterons donc à ces premières impressions. Rendez-vous le mois prochain pour détailler le contenu muséographique.
Avec ce musée, la CIBDI se dote d’un magnifique outil pour promouvoir et conserver le patrimoine de la bande dessinée. Elle dispose également d’une longueur d’avance sur ses éventuels concurrents (le projet de Cité des arts graphiques à Paris est au point mort). Ne reste plus qu’à désenclaver la ville pour espérer attirer les visiteurs au delà des vacances scolaires et du fameux dernier week-end de janvier. Ce sera chose faite en 2013 avec la mise en service de la Ligne à Grande Vitesse qui mettra Angoulême à 1h30 de train de Paris. Une perspective réjouissante pour tous les amateurs de BD.
(par Thierry Lemaire)
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Photos : Thierry Lemaire
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