Comment avez-vous réussi à vous faire éditer par la Boîte à Bulles ?
Quand je ne dessine pas, je suis juriste en propriété intellectuelle spécialisée dans l’audiovisuel et en droit d’auteurs. Après plusieurs expériences dans la production de films d’animation et séries animées, je travaille depuis plusieurs années dans le cinéma. Pendant mes études, mon goût pour le dessin s’est principalement exprimé sur mes cours, tables et cahiers. Très vite, j’ai pris l’habitude de caricaturer mes amis et professeurs dans des mini BD que je faisais circuler plus ou moins discrètement en cours. Le personnage de Mimi Stinguette est né comme cela. C’est bien plus tard, bravant la timidité et la flemme, que j’ai ouvert le blog autour du personnage. Sans que je m’y attende, le nombre de connections quotidiennes s’est mis à sérieusement augmenter et le profil Facebook a rapidement atteint la limite des 5.000 amis autorisés. Quatre mois après l’ouverture, une galerie parisienne m’a proposé une exposition de mes illustrations. Six expositions plus tard, je fais aujourd’hui partie de la collection permanente de La Gallery Paris, spécialisée dans la BD et l’illustration.
Il y a quelques mois, dans un élan d’optimisme immodéré faisant suite à la proposition de La Gallery, j’ai décidé de monter un dossier et de l’envoyer à une dizaine de maisons d’édition dont j’apprécie les publications. La Boîte à bulles faisait partie de cette liste et je les ai contactés via le formulaire en ligne de leur site Internet. Quelques jours plus tard, j’ai reçu une réponse de leur part dans laquelle ils me disaient que malgré certaines craintes quant au dessin et à l’univers girly pour lequel ils n’avaient pas spécialement de sympathie, ils venaient de beaucoup rire en lisant le dossier envoyé et ils souhaitaient que l’on puisse discuter du projet et du personnage. Je suis restée quelques minutes à lire et relire cet email, sans y croire, à fixer mon écran d’ordinateur comme si je venais d’en tomber amoureuse.
Vous êtes ce qu’on appelle une "bloggeuse". Comment vous est venue cette occupation ?
À force de rencontres lors d’expositions, séances de dédicaces ou évènements, je me suis effectivement créé ma "bande" de bloggeuses, que je croise toujours avec plaisir. Cependant, je ne me sens que peu appartenir à la blogosphère et je continue à privilégier les rendez-vous "dans la vraie vie" quand le courant passe. La première fois que je me suis réellement sentie bloggeuse, c’était à l’occasion de ma nomination aux Golden Blog Awards 2010 organisés par la Mairie de Paris dans les Palais de l’Hôtel de Ville. Grâce aux votes du public sur Internet, mon blog est arrivé en deuxième position parmi tous les blogs BD, donc j’y ai été invitée. C’était vraiment drôle et décalé ce rassemblement de bloggeurs de tous horizons, avec nos pseudos sur nos badges sous les dorures de l’Hôtel de Ville de Paris.
Vous êtes juriste. Est-ce que cette activité est compatible, en terme de temps mais aussi d’image par rapport à vos collègues, vos clients ?
J’ai la chance d’exercer mon métier dans un secteur artistique et créatif au sein duquel cette activité est très bien perçue et appréciée. Tout le monde ne connait pas son existence, car je n’en parle pas spontanément ,mais je ne la cache pas non plus. Les gens avec qui je travaille savent bien quelles sont mes priorités et constatent que jamais l’activité de mon blog ne s’est faite au détriment de mon métier, qui me passionne. Cela dit, mon activité étant très prenante et le rythme soutenu, je dois bien avouer que depuis Mimi Stinguette, je dors peu.
La polémique autour de cet ouvrage vous a-t-elle surprise ?
Je suis parfaitement consciente des débats de fond relatifs à la difficulté de vivre de sa qualité d’auteur, et je suis la première à déplorer que tout bon groupe de musique n’ait pas la chance d’enregistrer un album, que tous les jeunes réalisateurs talentueux ne puissent pas voir leur film projeté en salle ou que tous les illustrateurs dont j’admire le travail et le talent n’aient pas la chance de pouvoir sortir une BD ou un livre. Cependant, l’impression à travers les réactions que soudain, tout ce dysfonctionnement regrettable du système était dû à la sortie de mon livre d’illustration m’a réellement surprise. Je comprends les arguments de chacun mais je regrette que la forme desserve le fond dans les discours que j’ai pu lire. Je pense que s’acharner avec aussi peu de proportion et de retenue sur cette sortie en librairie discrédite le propos. Tous les points de vue qui m’ont été soumis, je suis à-même de les entendre, mais il ne me semble pas que cela justifie une telle virulence et un tel manque de respect.
Mais ce qui m’a surprise avant tout, c’est que toute cette polémique soit intervenue avant la sortie du livre, alors que personne ne l’avait encore vu, lu, ni même juste eu entre les mains. C’est un concept original, la critique de livre non basée sur le livre en lui-même.
Quelle image vous donne le "monde de la BD", suite à cela ?
J’ai travaillé deux ans dans le monde de la BD et de la production audiovisuelle de films et séries d’animation – en tant que juriste, s’il était besoin de le préciser – et mon image de ce secteur ne va pas changer à cause de quelques messages désagréables. Enfin si, un détail : maintenant, je me dis que finalement, on est quand même cool au juridique (rires).
On vous reproche principalement un graphisme simpliste, un lettrage fait sur photoshop... Vous êtes une autodidacte du dessin ?
Effectivement, mais je pense que plus handicapant encore qu’être une autodidacte du dessin, je suis surtout une sacrée nullité en technique (Scans, Photoshop,...) et je reste convaincue que cela joue énormément. Je n’ai aucune prétention en technique de dessin et j’accepte volontiers les critiques sur mes lacunes. Simplement, je me dis que si les lecteurs apprécient mon style depuis presque trois ans, que les illustrations se vendent en galerie et que les critiques BD ont été jusqu’à maintenant élogieuses (je fais notamment référence à l’article particulièrement flatteur écrit par le rédacteur en chef de dBD Mag dans le dernier numéro du magazine), c’est peut-être aussi parce que je n’ai pas tant à rougir que ça de mes illustrations.
L’autre reproche global que l’on peut lire, c’est que vous renvoyez une image de la femme "superficielle" "gourdasse", du genre de celles qui lisent Voici ou Closer, ne s’intéressant qu’au rouge à ongle et aux recettes de cuisine, que la BD "guirly" (que vous faites, semble-t-il) est un produit marqueté à mort sur lequel s’est jeté votre éditeur opportuniste et avide de fric. Qu’en pensez-vous ?
Bien au contraire, je fais passer les femmes pour des personnes disposant d’un recul et d’une autodérision suffisante pour en rire quand elles ont un petit côté sottes et superficielles. Une femme peut avoir fait polytechnique, elle a le droit de se laisser avoir par un panneau publicitaire et hésiter pendant deux heures entre deux couleurs de bottes. Y faire un clin d’œil n’est pas forcément diminuer toutes les qualités annexes qu’elle possède. En tous cas, pas de mon point de vue. Personnellement, je suis fan de philosophie et de littérature, j’ai poursuivi mes études aussi loin que possible et j’ai passé mon adolescence dans des musées et expositions plutôt qu’en boîte et pourtant, oui, je peux considérer un choix de couleurs de vernis à ongles comme une question existentielle dans ma journée. Je ne suis pas persuadée que le fait de l’assumer ne fait pas justement partie de la lutte contre les idées reçues sur les femmes. Devoir passer son temps à se justifier de ne strictement jamais être une sotte superficielle n’est pas à mes yeux une avancée vers l’égalité.
En ce qui concerne mes éditeurs, je souhaite avant toute chose souligner l’amusante contradiction dans les reproches qui leur sont faits : dans les mêmes commentaires, à quelques lignes d’écart, d’un côté, on accuse La Boîte à bulles d’être des opportunistes avides d’argent et de ventes faciles, et d’un autre, on qualifie mon livre (que personne n’a ni lu ni vu, je le rappelle) d’invendable et à peine regardable. Il y a donc quelque chose qui m’échappe dans leur stratégie marketing…
Plus sérieusement, cette parenthèse refermée, je trouve incroyable qu’une personne comme Vincent Henry, qui travaille par passion bénévolement depuis des années dans la société qu’il a crée en parallèle de son activité professionnelle, puisse être présenté comme un éditeur peu scrupuleux avide d’argent facile. Je pense que si tel était le cas, il opterait pour des activités bien plus sûres et plus lucratives que de se consacrer autant de temps, d’énergie et d’argent à éditer de jeunes auteurs de BD. Que certains auteurs ou internautes expriment leur opinion sur un choix qui leur parait hasardeux me semble normal, mais que ceux-ci se permettent d’attribuer ces décisions – présumées mauvaises – à des raisons aussi dévalorisantes me semble beaucoup plus dur à accepter. Pour avoir eu la chance de voir Vincent travailler et s’investir dans ce qu’il a créé de toute pièce, je trouve cela en décalage le plus total avec son personnage.
Tanxxx, sur son blog, écrit : "C’est quoi, cette putain de mode de publier n’importe quelle débile qui a appris à dessiner y’a deux jours entre deux macarons ? C’est quoi cette manie de vouloir à tout prix SA pétasse qui n’a rien à dire de plus que hihihi c’est tro chanmé j’ai des louboutins ? » Dans un forum sur ActuaBD, elle vous refuse le statut d’auteur. Cela vous inspire quoi ?
Chacun est absolument libre de penser ce qu’il veut de mes illustrations et je suis attentive à toute critique constructive, notamment les opinions exprimées ici. Cependant, ce qui m’interpelle encore une fois, c’est que ce sont là toujours des propos ayant été avancés avant même d’avoir eu le livre entre les mains.
Et en réponse à cette non-attribution du statut d’auteur par Tanxxx, je propose juste d’énoncer la définition que nous donne le Code de la Propriété Intellectuelle, base absolue de la protection des auteurs, de leurs œuvres et de leurs droits. Ce dernier qualifie d’auteur tout créateur d’une œuvre de l’esprit, quelque soit son genre, mérite, destination ou forme d’expression dès lors qu’elle est considérée comme originale, c’est-à-dire qu’y transparait la personnalité de son créateur. Et aussi irritante que ma personnalité puisse être aux yeux de Tanxxx, le fait justement que celle-ci apparaisse à travers chacun de mes dessins me confère légalement le statut d’auteur. Ce n’est pas un joli paradoxe, ça ? Quand je vous disais qu’on était cool, au juridique.
Propos recueillis par Didier Pasamonik
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Lire la chronique de David Taugis sur ActuaBD et tous ses commentaires.
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