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Nadou & Patrick Sobral ("Les Légendaires - Origines") : « Nous voulons tenir le lecteur en haleine, en réalisant des albums très denses »

Par Charles-Louis Detournay le 8 août 2014                      Lien  
En dix ans, la série des {Légendaires} a atteint les 3 millions d’exemplaires vendus, alors que le premier tome des {Légendaires Origines} dépasse déjà les 100.000 ventes. Chacun des récits de ce spin off propose un one shot consacré essentiellement à un des Légendaires de la série-mère. Consacrée Essentiel Jeunesse 2013 à Angoulême, profitons de la parution du tome 3 pour nous intéresser à un des phénomènes éditoriaux de la décennie.

Si les aventures des Légendaires plaisent au jeune public, ce sont avant tout les personnages qui focalisent l’attention, et apportent la renommée à la série...

Nadou & Patrick Sobral ("Les Légendaires - Origines") : « Nous voulons tenir le lecteur en haleine, en réalisant des albums très denses »
Le troisième tome des Légendaires - Origines consacré au célèbre Gryfenfer est enfin paru !

Patrick Sobral : Effectivement, et c’est justement ce que nous avons voulu privilégier dans le spin-off Légendaires Origines. La série-mère reprend des aventures en groupe, et c’est souvent très compliqué de mettre tous les personnages en avant afin que chacun puisse y trouver son compte. Nous avons donc voulu nous consacrer exclusivement à chaque personnage dans cette série parallèle.

Pour autant, plusieurs Légendaires peuvent se retrouver dans le même album des Origines. Une façon de bien contextualiser chacune de ces intrigues dérivées...

Patrick Sobral : L’objectif de ce spin-off est d’expliquer la formation des Légendaires. Dans le premier tome consacré à Danaël, nous voulions donc présenter la première rencontre des héros, afin de placer les fondations du groupe. Dans le tome 3 dédié à Gryfenfer, le personnage emblématique de la série, on assiste à de nouvelles rencontres, ce qui permet à cette équipe naissante de continuer à s’étoffer.

La jeunesse de Gryfenfer ressemble à celle de Conan...

Vous désirez donc rajouter un élément au groupe à chaque parution ?

Patrick Sobral : Exactement, chaque récit des Légendaires – Origines présente non seulement le passé d’un des personnages, mais explique également ce qui a contribué à l’intégrer aux Légendaires.

Par rapport à la série-mère, Les Légendaires Origines assument également un humour plus adolescent : des références à Golgo 13, des clins d’œil à des préoccupations de lycéens… Est-ce pour rattraper le public qui vieillit ou pour correspondre au dessin référencé aux animés ?

Nadou : Je prends beaucoup de plaisir à rajouter ces clins d’œil qui me correspondent ou qui sont directement suggérés par Patrick. Les plus jeunes de nos lecteurs ne les comprennent pas toujours, mais cela viendra sans doute.

Patrick Sobral : C’est devenu un petit jeu avec une partie des lecteurs : dénicher la totalité de ces private jokes, non essentielles au récit, mais qui lui apportent une touche humoristique intéressante. Par exemple, dans une des pages du T3, Gryfenfer affronte l’Alien de Ridley Scott, mais également un Pokémon ! Et j’ai laissé le soin à Nadou de choisir le Pokémon en question ! Tout cela nous apporte une touche de détente bienvenue, car parfois, nous sommes sous pression en cours de réalisation.

Qu’est-ce qui vous met la pression ?

Patrick Sobral : L’attente des lecteurs, et les délais à respecter. C’est d’autant plus compliqué pour Nadou, car elle est arrivée sur une série déjà bien établie en termes de notoriété, et qu’elle a du se mettre à niveau dès son premier album ! Pour ma part, j’ai eu l’occasion de me rôder avec les premiers tomes de Légendaires, mais elle devait directement être au top.

Normalement, je regrette lorsqu’on est interrompu dans sa lecture. Pourtant, le passage de vos personnages en mini-persos apportent un décalage bienvenu. Encore une volonté de désamorcer le récit ?

Nadou : Oui, je trouve drôle de placer ces SD (super deformed), ce qui équilibre le tragique et le comique. Cela peut redonner le sourire dans un passage plus triste.

Patrick Sobral : Les Légendaires – Origines sont globalement plus sombres que la série-mère, car on doit expliquer les traumatismes vécus afin d’arriver au statut que le lecteur connaît. Malgré tout, cela reste une bande dessinée jeunesse, il faut donc décompresser à certains moments. Pour ce tome 3 Gryfenfer, le récit est encore plus sombre, et cela a été compliqué de trouver ces interstices où glisser ces notes comiques. Cette partie tragique demeure nécessaire, car ce tome 3 le présente sous une facette inconnue des lecteurs : poltron, chouineur, etc. Le public va donc comprendre le chemin subi et ce qui l’a façonné.

Vous placez volontairement vos héros dans des situations à l’opposé de ce qu’on connaît : Le Danaël emporté et peu enclin aux activités militaires, Jadina qui dédaigne son bâton-aigle, etc. Chaque récit est-il axé sur la transformation ?

Patrick Sobral : L’une des forces de la série des Légendaires tient à leur évolution. Chaque événement les marque, mentalement ou physiquement, et cela doit se ressentir dans leur psychologie. C’est bien entendu plus présent dans les Origines où tout est condensé en un seul album.

Thierry Joor : Je souscris à l’analyse de Patrick : Les Légendaires ont affronté de grandes questions existentielles, et cela touche le public.

La disparition de Danaël a été un choc. Qu’est-ce qui vous a poussé à prendre cette décision ?

Patrick Sobral : J’en avais besoin. J’avais l’impression de tourner en rond, scénaristiquement parlant, et je voulais donner un coup de pied dans la fourmilière. Je m’étais effectivement bloqué par les frontières de la BD jeunesse, et ce que je m’étais moi-même imposé. Face à cette disparition, les premiers retours des lecteurs ont été extrêmes : de la colère, voire de la haine ! Je savais que j’allais choquer, mais j’ignorais que j’allais les décevoir à ce point ! Thierry m’a heureusement rassuré, et les retours suivants m’ont conforté dans ce tournant important que j’avais entrepris. Mais j’ai ressenti mon petit moment de frayeur.

Les lecteurs ressentent effectivement deux émotions contradictoires : celle de conserver ce qu’ils apprécient, tout en appréciant une intrigue qui les fasse réellement frissonner !

Patrick Sobral : J’ai été conseillé par un autre best-seller de Delcourt en jeunesse, Thierry Coppée : on ne peut pas plaire à tout le monde ! Il faut donc faire sa bande dessinée en égoïste, la réaliser pour soi, puis croiser les doigts pour que cela plaise aux autres ! Si on préfère entrer dans un schéma établi ou attendu, on ne se fera sans doute pas plaisir, sans parvenir à contenter tout le monde non plus. Alors, quitte à choisir, autant se faire du bien !

Thierry Joor (l’éditeur des Légendaires chez Delcourt) : C’est une recette transmédia : si on recherche à appliquer une formule, on passe souvent à côté de la plaque ou alors cela ne fonctionnera pas sur le long terme, tout le contraire des Légendaires ! Mais ce constat est presque angoissant pour un éditeur qui cherche des succès pour promouvoir des autres séries. Sans des succès précédents, nous n’aurions pu soutenir Les Légendaires lors des premiers albums, et grâce aux Légendaires, nous prolongeons cette spirale croissante pour soutenir d’autres nouveautés.

Une équipe de choc !
(de g. à d.) : Nadou, Patrick Sobral et Thierry Joor, leur éditeur.
Photo : (c) CL Detournay

Votre public vieillit. Les élèves se passent-ils alors les albums dans la cour de récréation, des plus anciens aux plus jeunes ?

Patrick Sobral : En dix ans, je pense en être à ma troisième génération de lecteurs. Des jeunes adultes suivent la série depuis le début, alors que d’autres viennent de la découvrir, grâce notamment à leurs grands frères et grandes sœurs. Et j’ai l’impression que chaque nouvelle « génération » d’enfants est plus mûre que la précédente.

Comment fonctionnez-vous au quotidien ? Est-ce que vous écrivez vos scénarios ou vous les crayonnez directement ?

Patrick Sobral : J’envoie à Nadou des scénarios story-boardés, car je ne sais pas les écrire autrement ! On évoque les ambiances, les éclairages, les tendances des monstres, etc. Je lui donne donc la base de l’architecture de la planche, puis je l’incite à réaliser ce qu’elle préfère dans cette direction, en laissant parler sa créativité. Enfin, je reçois ses propositions que nous validons ensemble, et le ping-pong continue.

S’ils sont référencés, vos deux univers graphiques sont assez différents. Est-ce que vous vouliez adresser Les Origines vers un public adulescent ?

Nadou : J’essaie de rester le plus proche possible du style de Patrick, mais c’est vrai que mon dessin est un peu plus réaliste.

Thierry Joor : En réalité, Patrick a eu un coup de cœur pour le book de Nadou lorsque celle-ci est venue le lui présenter. Nous cherchions un dessinateur pour cette série, sans nous dire qu’il devait coller parfaitement au style de Patrick, ou plutôt dans une tendance ou l’autre. J’ai également été immédiatement séduit par le graphisme de Nadou. La force des Origines réside dans la personnalité de Nadou, et notamment dans ces clins d’œil dont on parlait précédemment.

On repère néanmoins trois types de gags-références : un aspect tarte à la crème, des préoccupations d’adolescents, et des réflexions typées à la Dr House par exemple...

Patrick Sobral : C’est tout-à-fait inconscient. Effectivement, le niveau des Origines les adresse à un public peut-être un peu plus âgé que les premiers tomes des Légendaires, mais au même niveau que le cycle actuel (qui a débuté au tome 12) : parfois sombre, avec des récits un peu plus complexes. On y aborde les mêmes thèmes : trahison, vengeance, justice, combats épiques... D’ailleurs, en dédicace, nous avons exactement le même public pour les deux séries.

Vos récits sont extraordinairement denses pour les 46 pages que vous présentez à chaque fois !

Patrick Sobral : J’aime raconter plein de choses dans mes histoires et que mes lecteurs en aient pour leur argent ! Les albums des Légendaires sont déjà très denses, mais c’est parfois plus prononcé pour les Origines, car il faut tout condenser en un seul album ! Tout placer avant la fin de l’album devient alors de l’orfèvrerie !

Thierry Joor : Ce n’était pas la volonté de l’éditeur de réaliser des one-shots. Patrick avait cette idée en tête depuis des années, et s’y est tenu comme il le désirait.

Patrick Sobral : Je ne me voyais pas raconter l’histoire de chaque personnage sur deux tomes.

Est-ce que les one-shots proposent aussi une certaine liberté pour se détacher de l’annualité ?

Patrick Sobral : Oui… c’est exact, mais sans placer de cliffhanger à la conclusion de chaque one-shot, nous terminons par une petite scène destinée à faire naître des questions auprès du lecteur. Les fins des tomes 1 et 2 renvoient par exemple à d’autres personnages, qui vont aussi apparaître dans la série principale.

On sent le parallèle avec la dernière page de chaque album des Légendaires, qui dévoile des éléments intrigants du prochain tome. Faut-il tenir ainsi les lecteurs en haleine ?

Patrick Sobral : Tout-à-fait ! Et j’ajoute que je suis passé maître dans ce genre ! (rires) Je tiens énormément à ces cliffhangers : je les crée et je sais que cela fonctionne ! Mais le lecteur est maintenant habitué à notre rythme de parution, et peut donc nous faire confiance pour recevoir son album à temps, soit un album par an pour chaque série.

Vous aviez été plus rapide pour la mise en place de la série, pour mieux consolider votre entrée en librairie ?

Patrick Sobral : J’étais plus rapide à l’époque en réalisant deux albums par an, car pendant les six premières années, je n’ai pas pris une semaine de vacances. Il fallait que je puisse vivre de ce métier. Tout en restant bien loin de la perfection de Nadou, j’ai ensuite voulu améliorer mon graphisme. Puis le succès de la série m’a permis d’initier la séries des Origines, mais aussi de me lancer dans l’écriture avec les romans qui sont parus chez Hachette. Si on rajoute le dessin animé pour lequel je valide les synopsis et les créations artistiques, ainsi que les autres projets à venir, il n’était plus possible de tenir ce rythme, ce qui explique la parution maintenant d’un album par an.

Ce qui n’est déjà pas si mal ! Justement, à quel stade de développement se situe le dessin animé des Légendaires ?

Patrick Sobral : Cela avance bien. Les récits des albums étaient trop longs et parfois un peu sombres, neuf scénarios originaux ont donc été écrits pour ce format télévisuel, dans la tendance du début de la saga en album. On retrouvera donc les personnages principaux et secondaires, mais dans d’autres situations. La diffusion est actuellement prévue pour la rentrée scolaire 2015.

D’autres projets ?

Patrick Sobral : Oui, j’ai revu Nicolas Jarry, scénariste BD mais qui écrit déjà pour les romans des Légendaires : nous aimerions décliner des Livres dont vous êtes le héros, et d’autres choses. Mais ce ne sont que des projets !

Le tome 17 des Légendaires paraît à la rentrée !

Et puis Danaël revient dans le tome 17 !

Patrick Sobral : Oui, c’est son grand retour, qui annonce également la fin de ce deuxième cycle sur le tome 18. Quant à la troisième et dernière partie de cette saga, elle commencera logiquement au tome 19, et se constituera d’une seule et longue histoire en guise de conclusion finale. Mais j’ignore en combien de tomes…

Thierry Joor : Une cinquantaine, selon moi… (rires)

Vous ne semblez pourtant pas du tout lassé par vos personnages, alors pourquoi arrêter ?

Patrick Sobral : Je suis très attaché à ma série, mais je ne veux pas faire l’album de trop. Il y a encore plein de choses à raconter dans la série Origines, mais la majorité de ce que je voulais apporter dans la série-mère a été ou va être développé. Ce troisième cycle, le plus court (entre deux et cinq tomes), permettra de conclure en beauté ! Je prépare un sacré retournement de situation, aux côtés duquel la disparition de Danaël fera pâle figure !...

(par Charles-Louis Detournay)

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A propos des Légendaires, lire :
- Patrick Sobral et le phénomène des Légendaires
- Angoulême 2013 : "Les Légendaires Origines" de Sobral et Nadou, Essentiel Jeunesse
- Angoulême 2014 : Les Légendaires, une expo dédiée au jeune public du festival
- Les Légendaires de Patrick Sobral (Delcourt) passent à l’écran
- les chroniques des tomes 11 et 13

Photos : (c) CL Detournay

 
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