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Natacha Bustos : "Plus que le phénomène de l’énergie nucléaire, ce qui me fait peur ce sont les intentions et les décisions de ceux qui nous gouvernent."

Par François Boudet le 27 juin 2011                      Lien  
Natacha Bustos et Francisco Sánchez, deux jeunes auteurs espagnols, voient leur première BD publiée avec {« Tchernobyl - La Zone »}. Si ce sont les éditions Glénat-Espagne qui les ont publiés en Espagne, ce sont les éditions Des ronds dans l’O qui publient cet ouvrage en français.

Natacha Bustos : "Plus que le phénomène de l'énergie nucléaire, ce qui me fait peur ce sont les intentions et les décisions de ceux qui nous gouvernent."Natacha, « Tchernobyl - La Zone » est votre premier roman-graphique. Quelles ont été vos éventuelles influences graphiques ?

N.B. - Mes premières influences sont les mangas, même si j’ai progressivement occidentalisé mon style pour obtenir un graphisme plus personnel qui puisse me définir en tant qu’auteure. À l’heure actuelle, je dirais que mon style se caractérise par un encrage à l’expressivité forte combiné à un dessin plus ou moins réaliste, dans la lignée des Paul Pope, Nathan Fox ou David Lapham.

Francisco, pourquoi vous-êtes vous intéressé à ce sujet (Tchernobyl) ?

F.S. - Tout a commencé avec l’exposition Once upon a time . . . Tchernobyl qui s’est tenue à Barcelone en 2006 en commémoration du 20e anniversaire de l’accident. J’étais, comme tout un chacun, au courant de ce qui s’était passé, mais cette expo a été le déclencheur qui m’a donné envie d’approfondir les circonstances et les conséquences de cette effroyable catastrophe.

Comment avez-vous travaillé pour mener votre enquête ? Avez-vous rencontré des chercheurs, des scientifiques, des familles de Pripiat ?

F.S. - J’ai puisé à trois types de sources documentaires. D’une part tous les livres que j’ai pu trouver sur la question, sachant qu’à l’époque (2006-2007) leur nombre était limité, alors qu’entre-temps, il a littéralement explosé. J’ai également consulté les nombreux documentaires et enregistrements postés sur le Net. Et enfin, je me suis rendu sur place pour visiter la Zone en avril 2009 avec l’idée de recréer le voyage que Youri et Tatiana entreprennent dans la troisième partie du livre.

N.B. - Pour la partie graphique, en plus de toute la documentation collectée par Francisco, j’ai fait des recherches sur Internet. On y trouve pléthore de photos récentes de Tchernobyl, de la ville de Pripiat et des villages alentours. Le plus difficile pour moi a été de reconstituer le Pripiat de 1986, étant donné qu’il y a peu de documentation graphique existante. Mais étant donné que l’Ukraine faisait partie de l’Union Soviétique, l’influence russe, aussi bien sur la mode vestimentaire que le mobilier et autres, devait forcément se sentir.

Extrait de "Tchernobyl - La Zone"
(c) Natacha Bustos / Francisco Sánchez / Des ronds dans l’O

Francisco, la mise en scène est plutôt « cinématographique ». Vous-même, venez du milieu cinématographique. Pouvez-vous nous parler de cette influence du cinéma sur « Tchernobyl - La Zone » s’il y a ?

F.S. - Je ne peux pas nier qu’étant de formation cinématographique plus que de BD, j’ai dû faire un effort pour m’adapter au langage graphique, mais ce fut une expérience enrichissante et je suis fier du résultat. Les gens nous disent souvent que la première partie leur rappelle le film d’animation Quand le vent souffle et, curieusement, nous ne le connaissions pas avant la parution de la BD, et je dois dire que c’est une œuvre magistrale et d’une beauté à couper le souffle. Tout au long du processus d’écriture, je me suis refusé à prendre toute référence cinématographique, mais cette première partie m’évoque malgré tout par certains aspects le cinéma de Tarkosky.

Natacha, Francisco, vous avez travaillé en étroite collaboration, comme vous l’expliquez en postface dans le livre. Pouvez-vous en dire un mot à nos lecteurs ?

F.S. - Avant toute chose, je tiens à dire que j’ai eu beaucoup de chance d’avoir pu travailler en tandem avec une artiste comme Natacha. Elle est très pro et tout est allé comme sur des roulettes dès le début. Nous avons travaillé séparément sur chaque chapitre. Après quoi, on discutait pendant des heures sur les illustrations de Natacha pour arriver au meilleur résultat possible. Les crayonnés se sont progressivement enrichis de détails, qui au final ont contribué à enrichir l’œuvre. C’était un travail de fourmi, à la minutie exténuante, mais terriblement excitant et surtout très enrichissant.

N.B. - J’ai eu beaucoup de chance avec Francisco, car je ne le connaissais pas avant. Nous avons appris à nous connaître en travaillant ensemble. Tchernobyl-la Zone est ma première œuvre publiée, et ç’aurait pu être un simple travail de commande, mais nous nous sommes impliqués tous les deux pour en faire quelque chose de spécial. Francisco m’a laissé toute latitude pour apporter les modifications qui me semblaient nécessaires. Nous discutions de chaque détail susceptible d’enrichir l’œuvre, et bien sûr, il y avait notre passion commune pour le cinéma qui a facilité nos échanges en les rendant plus chaleureux.

Est-ce votre premier livre traduit en français ?

F.S. - C’est notre opera prima, alors vous imaginez notre enthousiasme à l’idée d’être publiés en France.

N.B - Oui, on espère pouvoir continuer à publier en France.

Vous verra-t-on en séances de dédicaces en France ?

F.S. - Bien sûr !!! [1] Si l’on nous invite, ce sera un plaisir de revenir faire un tour dans votre merveilleux pays.

N.B. - Pour l’instant rien est encore sûr, mais je suis curieuse de savoir comment le public français va accueillir la BD.

Natacha Bustos et Francisco Sánchez au Salon International de la BD à Barcelone (c) D.R

"Tchernobyl - La Zone" parle de la tragédie humaine, au travers les conséquences sur trois générations d’une même famille, plus que du côté spectaculaire de l’accident (explosion, évacuation, etc.). L’aspect humain est-il celui qui est le plus négligé quand il s’agit de nucléaire ?

F.S - Dès le départ nous nous sommes centrés sur le drame humain plus que sur l’incident lui-même. Quand un drame comme celui-là survient, l’opinion publique se mobilise, mais ensuite, les années passant, plus personne ne se souvient de ces gens qui continuent de souffrir des conséquences de la catastrophe.

N.B - L’essentiel de l’information relative à l’énergie nucléaire nous est transmise par les médias qui se centrent avant tout sur les faits et les données chiffrées en laissant un peu de côté l’aspect humanitaire. Je pense que c’est le rôle des auteurs de documentaires et des artistes d’aborder cet aspect humanitaire.

Le débat est relancé depuis le récent accident à Fukushima. Que pensez-vous de l’énergie nucléaire, pensez-vous qu’il faille en sortir ?

F.S - En tant qu’auteur, je me suis attaché à relater des faits sans les retoucher ni prendre parti de quelque façon que ce soit, afin de laisser au lecteur la possibilité de se faire sa propre opinion. Maintenant, en tant que citoyen, ma conviction personnelle est que nous devrions prendre exemple sur l’Allemagne, sachant que la sortie du nucléaire ne pourra pas se faire du jour au lendemain, mais en persistant malgré tout dans cette voie moins polluante et plus sûre.

N.B - Le débat autour de l’énergie nucléaire n’est pas près de se tarir. Mais plus que le phénomène de l’énergie nucléaire, ce qui me fait peur ce sont les intentions et les décisions de ceux qui nous gouvernent.

Comme souvent avec ce genre de récit, il est difficile de retranscrire l’indicible… Et, de fait, il y a peu d’albums sur le drame de Tchernobyl, sur le génocide au Rwanda, sur la Shoah, etc… Pensez-vous que la Bande Dessinée soit un bon outil pédagogique de réflexion et de mémoire (Youri utilise la photo pour témoigner, à l’instar de Paul Fusco par exemple) ? Avez-vous d’autres projets en ce sens ?

F.S - Sans aucun doute, je suis convaincu que ce genre de narration graphique, et plus encore avec les nouveaux formats numériques, est devenu incontournable. Youri utilise la photo comme un exutoire. Mon prochain scénario s’inscrit lui aussi dans la veine sociale, car je ne vois pas comment il pourrait en être autrement, mais dans un contexte plus local : il traite de la spéculation immobilière dans un quartier déshérité et des mutations que subissent nos villes. J’aimerais beaucoup pouvoir le publier en France, alors si vous connaissez un illustrateur débutant et un éditeur que ça pourrait intéresser, je suis preneur… hé, hé. [La rédaction transmettra]

N.B - La BD a cessé d’être une littérature pour enfants, c’est une évidence. Les thèmes abordés sont nombreux et variés et touchent à tous les aspects de la vie humaine et sociale. Le thème des catastrophes n’est qu’un parmi d’autres et la puissance narrative de la BD permet d’aborder toute sorte de sujets.
Personnellement, j’aimerais pouvoir continuer à travailler sur des projets de ce type, mais aussi, en tant que débutante dans le petit monde de la narration graphique, aborder d’autres genres plus juvéniles et urbains, mais sans perdre de vue l’aspect social.

Propos recueillis par François Boudet - Cette interview a été réalisée grâce à l’aimable participation de Martine Desoille pour la traduction.

(par François Boudet)

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