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Nathalie Ferlut ("Eve sur la balançoire") : "Evelyn Nesbit n’est qu’une image".

Par Christian MISSIA DIO le 5 décembre 2013                      Lien  
À la manière des contes, "Eve sur la balançoire" (Casterman) narre l'histoire vraie d'Evelyn Nesbit, une jeune starlette du début du XXe siècle, devenue tristement célèbre suite à l'assassinat de son richissime amant. Par Nathalie Ferlut, auteure de "Lettres d’Agathe et Élisa".
Nathalie Ferlut ("Eve sur la balançoire") : "Evelyn Nesbit n'est qu'une image".
Eve sur la balançoire
Nathalie Ferlut (c) Casterman

Pourriez-vous nous raconter la naissance de cette BD ?

Nathalie Ferlut : Tout à commencé un peu par hasard lorsque j’ai trouvé des photos d’Evelyn Nesbit en cherchant des photos d’un autre personnage. J’avais tapé dans un moteur de recherches : "1900-1901" et je suis tombé sur un tas de photos de cette jeune femme. Étant donné que je ne connaissais pas cette personnalité, cela m’a intrigué et j’ai commencé à m’y intéresser. Bien que son histoire soit très peu connue en France, aux États-Unis en revanche, elle a laissé une trace profonde dans la mémoire collective, marquée par le meurtre de son amant milliardaire par son mari architecte. Le pouvoir, le sexe et l’argent en somme !

Cette histoire est très actuelle, car des jeunes femmes prêtes à tout accepter pour devenir riche et célèbre, on voit cela assez régulièrement...

Effectivement, cette histoire a un côté intemporel car elle aurait très bien pu se passer aujourd’hui lorsque l’on voit la télé réalité, par exemple. C’est aussi cet aspect là qui m’a intéressé, car le début du vingtième siècle n’est qu’un décor finalement. La mentalité de l’époque m’a aussi attiré car, en ce temps là, une jeune femme se devait d’avoir un certain comportement. Elle devait se marier tôt et la famille avait énormément de pouvoir sur elle.

Quelques planches d’Eve sur la balançoire
Nathalie Ferlut (c) Casterman

Saviez-vous que le surnom "la Grosse Pomme" que l’on affuble à la ville de New York ferait aussi référence aux maisons closes que l’on trouvait dans cette ville ? [1]

Non. Cela devait être un peu caché car, à la même époque, la France avait une sacrée réputation à cause de Paris, du quartier Pigalle, du Moulin Rouge, etc. La vie mondaine française était pleine de jeunes femmes de ce genre là et c’était quelque chose de connu. Les Américains par contre n’avaient pas (et n’ont toujours pas) le même rapport au sexe que nous et du coup, ce genre de choses étaient beaucoup plus caché.

Pourriez-vous nous parler de votre travail graphique sur cette BD ?

Vous devez savoir qu’il y a une énorme documentation photographique autour d’Eve Nesbit. Il existe aussi quelques tableaux de cette jeune personne, mais en nombre beaucoup plus limité. Dans mon imaginaire par contre, l’image que je me fais du XXe siècle est beaucoup plus européenne qu’américaine. Je suis fortement inspiré par les tableaux de Degas, de Toulouse-Lautrec, de Félix Vallotton, etc. J’avais une idée très picturale de cette époque et cela m’avait semblé une bonne idée de le traiter de cette manière-là. Après, j’ai changé de manière de travailler dans le sens ou j’ai fait pour la première fois mes couleurs moi-même car je tenais absolument à donner un rendu pictural à mes cases. Je travaille habituellement au pinceau et au lavis mais j’ai aussi beaucoup utilisé l’ordinateur et la palette graphique pour retravailler mes planches. L’avantage de travailler ainsi, c’est que j’ai pu mélanger plusieurs effets techniques, impressionniste par exemple. Un luxe que je n’aurais pas pu m’accorder si j’avais tout fait à la main.

Côté scénario, vous vous êtes concentré sur la période allant de 1901 à 1907. Pourquoi ?

C’est toujours un peu difficile de faire un biopic. Je n’avais pas très envie de commencer ce livre par la naissance d’Eve et d’évoquer ensuite ses premières années et de poursuivre son histoire jusqu’en 1967, année de sa mort. J’avais plutôt envie de fonctionner comme dans une pièce de théâtre, en me concentrant sur la partie la plus intéressante, selon moi, de sa vie que j’ai découpée en quatre actes.

C’est difficile de travailler sur un personnage réel car celui-ci a une vraie vie et elle ressemble rarement à un scénario. Il y a beaucoup de temps morts et d’autres choses n’ont pas beaucoup de cohérence entre elles. Donc, ma solution a été de ne garder que la période liée à son procès et de la découper en plusieurs actes et de leur donner à chacun la saveur du conte de fée.

D’ailleurs, chaque chapitre correspond à une saison, l’été, l’automne, l’hiver et le printemps. Par ailleurs, sa vie de star s’arrête à 22 ans. Le reste de son existence pourrait éventuellement être raconté, mais il faudrait concevoir un autre type de bouquin. Enfin, il y a plusieurs éléments qui renvoient à la mythologie du conte de fée, comme le costume du Petit Chaperon rouge pour Central Park au cœur de Manhattan ou encore le château très gothique de La Belle et la Bête.

En tant que femme, quelle vision avez-vous d’Eve ?

Selon moi, ce qui la caractérise surtout c’est qu’elle est très jeune et très naïve. Elle n’a pas eu de père donc, elle aura plus facilement tendance à s’attacher à un homme plus âgé qui lui renvoie cette image de petite fille. L’ironie de l’histoire, c’est que sa carrière n’a décollé et s’est maintenue que tant qu’elle renvoyait cette image de lolita. Finalement, il y a assez peu de choses à dire sur Evelyn. C’est avant tout une image. Elle est naïve, un peu rêveuse et elle s’attache très facilement. C’est un peu le moteur de toutes ses péripéties. Elle est très facilement manipulable, mais elle finit tout de même par en prendre conscience.

Nous n’avons pas encore parlé de sa mère. Celle-ci tient une place importante dans ce récit car c’est elle qui est à l’origine de sa carrière. Elle utilise sa fille afin d’entretenir leur vie de famille et pour cela, elle ne recule devant rien. Quitte à la livrer en pâture à des hommes riches et puissants...

Sa mère est une mère maquerelle et elle ressemble à ces parents qui vivent le succès de leur enfant par procuration. Je pense notamment à Mozart ou plus récemment à Michael Jackson. Ce sont des artistes qui ont révolutionné leur art, notamment à cause d’une rigueur de travail excessive que leur imposaient leurs parents durant leur enfance. Au final, cela donne des génies, je vous l’accorde, mais ce sont des génies maudits car ils ont malheureusement payé le prix fort et ont eu un destin tragique. Ce n’est pas toujours le cas, heureusement, mais de manière générale, je ne pense pas du bien de cette attitude qu’ont certains parents vis à vis de leur progéniture. Après, je pense aussi que tous les parents ont quelque chose du vampire car ils se projettent dans leur enfant et essayent de le façonner selon leur propre idéal.

Pensez-vous qu’Eve a été malheureuse de cette vie de star ? Si c’était à refaire, elle aurait préféré une autre vie ?

Bizarrement, je pense que si c’était à refaire, elle aurait fait exactement la même chose. Quand on a quinze ou seize ans, c’est super tentant de goûter à la fortune et à la célébrité. On a tous envie de devenir quelqu’un de reconnu et, lorsque l’on est très jeune, je pense que cette envie est encore plus forte.

C’est sans doute ce qui motive tous ces jeunes gens qui font de la télé réalité aujourd’hui. Certains feraient n’importe quoi pour vivre cela, que ça dure le plus longtemps possible, peu importe le prix. De notre côté, on peut les juger ou s’apitoyer sur leur sort mais je me dis aussi que nous n’avons pas forcément tous les éléments pour émettre un avis tranché.

Pour beaucoup d’entre eux, le succès est très court mais dans les cas de Jackson et Mozart, on s’aperçoit que leur célébrité a duré très longtemps, au-delà de leur mort. Ils demeurent des phénomènes et des références dans leur domaine. Eve ressemble à toutes ces starlettes dont le seul talent est d’être jolie. Elle ne chante pas super bien, c’est une piètre comédienne. Malheureusement pour elle, la beauté ne dure qu’un temps.

Quels sont vos autres projets ?

En ce moment, je travaille sur une histoire se déroulant dans les années 1940, sous l’Occupation en France. Je suis encore dans la phase d’écriture, c’est donc un peu tôt pour en parler en détail. Mais je peux quand même dire que, graphiquement, cette histoire aura un décor beaucoup plus campagnard que celui-ci. Les décors urbains et modernes ne me passionnent pas plus que cela, je préfère de loin dessiner la nature.

(par Christian MISSIA DIO)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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- Le Tumblr de Nathalie Ferlut

[1Lire à ce sujet le lien suivant : Pourquoi surnomme-t-on New York la Grosse Pomme ?

 
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