Le phénomène est connu depuis la saga d’Indiana Jones qui en avait déjà livré les secrets de la recette : proposez comme cadre la Seconde Guerre mondiale, période encore très présente dans les mémoires, chargée d’émotion et propice aux grandes sagas historiques. Ajoutez-y une bonne dose d’action et de rebondissements. Intégrez une ambiance mystique sans oublier quelques héroïnes bodybuildées, énergiques et trépidantes. Distillez le tout dans un cycle court (deux, trois albums au plus), histoire de voir si le succès est au rendez-vous...
Vous obtenez par exemple trois séries conformes « aux lois du genre » à l’image de ce que propose Grand Angle, la collection réaliste des éditions Bamboo.
Avec ce tome 3 de L’Héritage du diable, on retrouve le sympathique trio imaginé par Jérôme Félix et Paul Gastine. Constant , Diane et Maurice n’en ont pas fini avec leur incroyable course folle, poursuivis qu’ils sont par une bande de nazis déjantés menée par une cantatrice mégalo et une mystérieuse confrérie se faisant appelée « Rose-Croix ». À l’origine de ces mésaventures "speedées" qui entrainent les trois jeunes gens de la riante cité de Rennes le Château aux cîmes du Mont Saint Michel, la quête d’un pouvoir maléfique absolu, celui du diable. D’où le titre de la série !
De quoi exciter bien des convoitises en cette période d’avant-guerre où la recherche du pouvoir suprême conduit aux pires excès (nous sommes en 1938). Le brave Constant était bien loin de s’imaginer que son aventure d’un soir avec la belle Juliette l’entraînerait dans une série de courses-poursuites.
La jeune femme a été enlevée sous ses yeux. Plus tard, il croit la reconnaître dans un tableau du XVIIe siècle « Les Bergers d’Arcadie », dont il va faire l’acquisition et qui sera à l’origine de tous ses ennuis.
Persuadée que la conquête de ce Graal diabolique est contenu dans le tableau, Emma Calvé, cantatrice avide de pouvoir, entend bien mettre la main dessus par tous les moyens. Elle lance ses sbires à sa recherche. Enlèvements, poursuites et cascades en tout genre s’enchaînent au rythme des tribulations de Constant et de ses amis à la recherche de… Juliette !
Ajoutons à cela un arrière-plan qui associe références historiques précises (montée du nazisme, essor des dirigeables…) et ésotérisme (énigme de Rennes le château, confréries religieuses suspectes, mysticisme... ) et on obtient un cocktail explosif, dynamique qui ne laisse guère de répit au lecteur de cette saga magnifiquement dessinée par le jeune Paul Gastine.
Comme dans L’Héritage, c’est l’avant-guerre qui sert de décor aux aventures de Diane Hunter, une journaliste canadienne investie d’une étrange mission : retrouver en Europe les descendants d’un chef indien dotés de pouvoirs surnaturels. La jeune femme retrouve d’abord Peter Braun, un décorateur juif qui travaille sur la construction du Zeppelin Hindenburg, monstre volant amené à devenir un outil de promotion du nazisme.
L’arrière-petit-fils d’Ahota, le vieux chef indien fait partie d’un groupe doté de pouvoirs fantastiques que notre héroïne devra réunir pour permettre au monde de lutter contre une puissance maléfique. Dans cette décennie des années 1930, cette puissance a un visage : celui du dictateur allemand moustachu.
Sur le plan surnaturel, les nazis ne sont pas en reste puisqu’ils entretiennent une unité spéciale dotée de pouvoirs qui ne sont pas sans rappeler les Chevaliers spirites. Le recours à ces surhommes devrait donner la possibilité aux nazis de conquérir la planète à moins que la Canadienne ne parvienne à réunir les descendants du vieil indien...
Dans ce second tome, on retrouve notre héroïne tout juste échappée du camp de concentration de Dachau plongée au cœur de l’Espagne en proie à la guerre civile et écrasée par les bombes nazies. Dans cette série, le fantastique et le surnaturel : monstres surgissant des eaux, télékinésie, hypnose…, sont au premier plan d’une histoire qui s’inscrit néanmoins dans un contexte historique précis et détaillé, sans toutefois évacuer la violence politique implacable, Hitler cherchant comme ultime arme de destruction les pouvoirs occultes ou surnaturels pour asseoir sa domination sur le monde. Une manière d’illustrer par la fiction la folie meurtrière du dictateur.
S’il n’est ni nouveau, ni original (on pense notamment à des séries comme Je suis Légion de Nury et Cassaday aux Humanoïdes Associés), ce mélange bien dosé entre fantastique et grande histoire fonctionne plutôt bien. Le duo de scénaristes, Patrick Cothias et Patrice Ordas, parvient à entraîner le lecteur dans une intrigue passionnante, nourrie de nombreux rebondissements aidé en cela par la lisibilité et la précision du dessin de Tieko. En s’attardant sur le périple de la jolie Canadienne au cœur d’une Europe en proie à la montée du fascisme, la narration de ce deuxième tome nous éloigne de l’épopée du fameux dirigeable (qui a pourtant donné son nom à la série !) . Néanmoins, on attend la suite avec impatience.
L’Œil des Dobermans est sans doute moins convaincant de ces développements. Le récit s’appuie sur la volonté d’Hitler de prouver qu’il descendait des Dieux en envoyant un archéologue, Arno Ixks, aux confins de l’Himalaya pour prouver la supériorité de la race aryenne. Pendant la Première Guerre, Ixks a sauvé celui qui allait devenir chancelier. Rebelle, l’archéologue ne cache cependant pas son hostilité au régime hitlérien.
Après une préparation particulièrement "solide et virile" le scientifique part pour cette expédition accompagnée de l’envoûtante Palden, une tueuse sans état d’âme au charme redoutable, autant chargée de le protéger que de le surveiller. Au cours d’un périple qui les mène de Berlin à Katmandou, en passant par Bagdad, le fantastique laisse la place au mysticisme et au chamanisme à travers des rencontres pour le moins improbables comme celles avec Gandhi ou le Yéti !
Si certaines vignettes de Beb Zanat insistent sur les formes avantageuses de la jeune femme, on a bien du mal à se passionner pour un récit plutôt ennuyeux mêlant non seulement histoire et fiction, mais aussi invraisemblances et confusion des genres. En dépit d’un point de départ supposé intéressant : la recherche des origines de la race aryenne au Tibet, la narration s’enlise dans des situations peu crédibles et des intermèdes trop bavards qui finissent par perdre le lecteur. L’aspect fantastique et ésotérique se dilue au profit d’un fourre-tout qui manque assez vite d’intérêt.
Nazisme et occultisme sont des thèmes déjà largement exploités en BD et sous des formes diverses dans différents registres : le comics (The Invaders, Superman ou Hellboy...), dans les séries traditionnelles européennes (Le Prince de la nuit de Swolfs, Glénat) ou dans le style semi-réaliste (Tif et Tondu T31, Swastika de Desberg et Will, Dupuis). Si Bamboo ne renouvelle pas totalement le genre avec ces nouvelles séries, cette tentative perpétue une tradition narrative encore bien vivace.
(par Patrice Gentilhomme)
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