Il y a finalement peu de gens, même parmi les humoristes de métier, dont on peut dire qu’ils sont vraiment drôles. Beaucoup font rire, certes, mais, comme dirait l’autre, ce n’est pas parce qu’on rit que c’est drôle. La vulgarité peut faire rire, ou alors l’absurde. On rit parfois pour ne pas pleurer, ou pour éviter de mourir d’effroi, comme certaines personnes se bidonnent devant les films d’horreur les plus terrifiants. Les blagues racistes ou sexistes, l’humour bête et méchant, qui ne sont jamais drôles, déclenchent malgré tout souvent le rire, etc.
Mais Mahler, lui, est authentiquement drôle. Il a ce rare talent. Et tout est drôle chez Mahler, à commencer par son dessin, qui fait rire en lui-même, indépendamment de ce que l’histoire raconte, comme il suffit de voir Charlie Chaplin ou Woody Allen, peu importe ce qu’ils font, pour pouffer de rire. Cette manière extraordinaire de peintre des univers entiers en quelques traits, ces personnages sans yeux ni bouche, ces femmes rectangulaires aux coiffures fantastiques, ces paysages tout en bâtonnets : c’est bien simple, moi je me tirebouchonne.
Bien entendu je ne suis pas le seul. La preuve, Lone Racer, par exemple, pour s’en tenir à cet album, a été traduit en français et publié par l’Association en 1999. Il est aussi paru en anglais chez Top Shelf Productions en 2006. Mais je sais aussi qu’il y a des gens qui ne goûtent pas l’humour de Mahler, qui n’apprécient pas son dessin. De penser à ça, de savoir qu’un grand nombre de personnes ne comprend pas qu’on puisse s’enthousiasmer pour ses bonhommes-allumettes, ça me laisse songeur, et triste un peu. Je me demande comment ça se fait. Et j’éprouve de la compassion pour eux. J’aimerais bien pouvoir leur dire quelque chose pour leur venir en aide, leur expliquer...
Mais en y réfléchissant, je me dis que ce n’est peut-être pas nécessaire, après tout, puisque Lone Racer, d’une certaine manière, contient déjà en lui-même cette explication. En fait, c’est de ça dont parle le bouquin : il constitue tout entier, comme par anticipation, la réponse aux objections que lui opposeraient ses détracteurs.
Je vous raconte en vitesse : Un coureur automobile en fin de carrière, jadis champion incontesté, fait maintenant la risée des jeunes générations de casse-cous qui, à chaque course, pulvérisent de nouveaux records au péril de leur vie.
Sa femme souffrant d’une maladie qui la cloue sur un lit d’hôpital et la prive peu à peu de son jugement, sa vie de couple s’écroule également petit à petit. Du coup, c’est la loose complète, il abandonne la course et cherche à s’oublier dans l’alcool avec quelques vieux copains, des épaves comme lui...
Jusqu’à ce qu’un jour, il décide de se reprendre en mains : il se persuade qu’il peut de nouveau gagner. Il abandonne son mode de vie déréglé, s’entraîne jour et nuit, retrouve sa forme d’antan et reprend sa place dans la mêlée de départ.
En réalité, il n’a aucune chance, mais les autres coureurs conduisent tellement dangereusement qu’ils meurent tous dans de terribles accidents, lui cédant le podium au grand complet.
Il court alors à l’hôpital pour apprendre la formidable nouvelle à sa femme, mais elle n’y croit pas, elle croit que c’est une plaisanterie...
C’est clair, non ? Non ?
(par Manuel Roy)
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