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Nicolas Presl : « La frontière semblait mince entre le monde mythologique et la réalité »

Par François Peneaud le 15 juillet 2006                      Lien  
Nicolas Presl vient de publier un premier album remarquable, à la frontière entre mythologie et questionnement contemporain. Entretien avec un auteur à suivre.

Dans l’album, il est dit que vous avec été tailleur de pierre. Comment passe-t-on de la taille de pierre à la bande dessinée ? Vous intéressez-vous à la BD depuis longtemps ?

C’est en fait la BD qui a précédé la taille de pierre, je fais des bandes depuis l’enfance ; cette première passion m’a mené à l’université, en arts plastiques... Quand on sort de là on sait plein de trucs, mais on à toujours pas de métier... J’ai donc choisi de passer un CAP en taille de pierre et j’ai un peu oublié la BD pour un moment, j’ai travaillé pendant deux ans sur des fermes et des monuments du XVIème, c’était passionnant.

Nicolas Presl : « La frontière semblait mince entre le monde mythologique et la réalité »

Vous reconnaissez-vous des influences dans la BD ? Et dans d’autres arts ?

Celui que j’ai vraiment adoré, décortiqué, c’est Franquin, puis un peu plus tard il y a eu Moebius , j’ai aussi beaucoup regardé les mangas au début des années 90... Mais maintenant je ne veux surtout pas me nourrir de BD pour faire de la BD, je pense que pour que le genre évolue il faut aller puiser son inspiration ailleurs, et c’est d’ailleurs ce qui se passe en ce moment pour de nombreux auteurs. Ce qui m’influence à présent ce sont les grands classique qui dessinent comme des dieux, j’adore contempler Bruegel, Pisanello , Dürer, Vinci... j’ai aussi un gros livre de dessins d’Ingres qui est une vraie Bible. Et puis il y a le révolutionnaire Picasso, c’est peut-être cliché, mais je le trouve vraiment très fort.

Priape est votre premier album. Qu’aviez-vous réalisé auparavant ?

J’ai fait un peu de fanzine dans les 90’ dont un petit album très différent de ce que je fait maintenant, puis il y a eu la taille de pierre et depuis j’ai fait des albums pour mes tiroirs sans oublier de poster des copies à quelques éditeurs, avant de les ranger...

Avez-vous rapidement développé votre style graphique, ou s’est-il mis en place quand vous avez travaillé sur Priape ?

Mon style s’est mis en place en faisant mes albums qui sont dans le tiroir... Il y a quatre ans, je me suis remis à la BD en bousculant toutes les mauvaises habitudes que j’avais, je voulais faire autre chose, au début ça partait un peu dans tous les sens, 280 planches plus tard, je me suis mis à dessiner Priape.

Quelle a été la genèse de Priape ? Avez-vous envoyé un projet à Atrabile seulement, ou aviez-vous contacté d’autres éditeurs ?

Priape est parti d’une réflexion que je me suis faite un jour, et le scénario s’est imposé comme une évidence ! Ensuite je dessine les planches dans l’ordre, au fur et à mesure... Ca faisait alors une ou deux années qu’Atrabile suivait mon travail, c’est chez eux que j’avais eu les meilleurs retours, donc ça m’est apparu normal de leur soumettre le projet avant d’aller voir ailleurs...

Comment avez-vous travaillé sur Priape : avez-vous d’abord écrit un script complet, avec découpage, dialogues, etc., ou avez-vous plutôt travaillé visuellement ?

Non, il n’y a pas de script réalisé au préalable ; En fait j’ai dans la tête une idée assez précise de toutes les scènes-clé et de leur enchaînement ; je réalise donc les planches en faisant souvent un petit brouillon de mise en page juste avant... Sinon, au fur et à mesure que le travail avance et que l’action se développe, des idées me viennent pour étoffer certaines scènes.

Avez-vous fait beaucoup de recherches visuelles ou thématiques pour cet album ?

Les recherches visuelles se sont concentrées sur la représentation de l’Antiquité mais je n’ai surtout pas voulu recréer une Antiquité historiquement cohérente, au contraire j’ai plutôt cherché à brouiller les pistes. Mais bon, décors et costumes sont tout de même souvent inspirés d’illustrations choisies. Sur le plan thématique, disons que j’aime bien lire les tragiques grecs, et au moment de Priape, je me suis mis à élargir mes lectures vers toutes sortes de textes antiques et d’ouvrages historiques, plus pour m’imprégner d’une ambiance que pour faire de l’emprunt systématique.

Pouvez-vous nous parler du thème de cet album, cette « recherche d’identité sexuelle » ?

Disons que le livre pose un peu la question du déterminisme dans cette recherche d’identité... Je me suis souvent demandé à quel moment cette orientation sexuelle se joue-t-elle : Est-ce inné ? Ou dans la petite enfance ? L’individu subit-il parfois son orientation, ou en est-il le maître ? Attention, il n’y a que des questions, mais pas de réponse dans le livre.

Pourquoi avoir choisi l’antiquité pour développer ce thème, justement anachronique ?

J’adore ce qui nous vient de l’antiquité, et puis les textes qui nous sont parvenus nous donnent l’image d’une étrange société, nourrie de poésie et de mythes.... La frontière semblait mince entre le monde mythologique et la réalité. Ce cadre convenait bien à mon histoire, où la réalité côtoie d’étranges manifestations. Et puis la tragédie antique est justement caractérisée par ces situations où le héros s’interroge sur lui-même, sur le fatalisme de sa destinée. Pour ce qui est des pratiques sexuelles de l’antiquité, si elles sont culturellement très éloignées de nos conceptions contemporaines, elles offrent des personnages et des situations propices à développer mon intrigue.

Vous avez parlé de Picasso, le fait que votre dessin fasse quelque peu penser au sien n’est donc pas un hasard. Avez-vous développé votre style actuel en voulant pousser cette influence, ou s’est-elle imposée d’elle-même ?

Je ne cherche pas à pousser cette influence, je dirais même que par rapport à des travaux précédents je m’en détache progressivement... J’ai gardé de mon goût pour son travail, une tendance à déstructurer un peu l’espace dans lequel évoluent les personnages, mais je fais de moins en moins de déformations sur ces derniers.

Les décors ou bâtiments sont plutôt réalistes, par contre, vous avez adopté une stylisation très forte pour les personnages, en particulier au niveau des visages. Aviez-vous une raison particulière à cela ?

La raison principale, c’est que je veux que mes personnages soient typés, qu’ils m’appartiennent et ne soient pas des stéréotypes. Et puis ce sont des personnages de tragédie, la tragédie se jouait derrière un masque...

Pourquoi avoir choisi de raconter cette histoire sans parole ?

Il n’y a rien de plus encombrant dans la bande dessinée que les bulles, ce foutu texte qui finit toujours par cacher une partie de l’image que vous aviez si bien réussie... Voilà une des raisons qui m’ont amené à faire de la BD muette, et plastiquement, je trouve que mes planches sont plus cohérentes sans texte... De manière générale, je trouve la BD souvent un peu bavarde. A mon avis, l’image doit soutenir l’essentiel du propos et le défi que je me suis fixé, c’est que l’image soutienne l’intégralité du propos. Bien sûr, cela occasionne quelques zone d’ombre, mais c’est aussi ce qui m’intéresse, que certaines dimensions de l’histoire soient soumises à l’interprétation du lecteur. De ce fait, il devient moins passif, il doit construire du sens, combler le vide laissé par cette absence de texte... Mais il faut trouver le juste milieu, pour que le lecteur ne soit pas complètement perdu.

Avez-vous des projets en cours ? Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

Je suis depuis déjà quelques mois sur une nouvelle histoire muette, je ne voudrais pas trop en dire pour le moment, il me reste des mois de travail, c’est donc un peu tôt.

(par François Peneaud)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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