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Nyctalope : "Un morceau d’exposition à ranger dans sa bibliothèque"

Par Beatriz Capio le 23 mars 2011                      Lien  
Depuis Bientôt deux ans, les étudiants de l'ESAD à Strasbourg font paraître une revue qui dépasse par ses ambitions le cadre du projet étudiant. Avec fraîcheur et insouciance, Nyctalope explore et expérimente la narration graphique hors des contraintes habituelles. Belles promesses.

Vous êtes donc issus d’une école d’art [1], dont sont sortis de nombreux auteurs de bande dessinée avant vous [2]. Comment cela affecte selon vous la perception qu’on a de votre travail ?

Cela nous donne peut être une certaine crédibilité auprès des lecteurs. Dans le monde de la micro-édition, avant nous, il y a eu l’institut Pacôme, Ecarquillette ou encore Belles Illustrations. Notre revue s’inscrit donc dans une lignée. Chaque magazine préserve bien sûr ses spécificités et sa ligne éditoriale mais le sentier a déjà été plus ou moins balisé par d’anciens étudiants de l’ESAD. Nous ne sommes pas inconnus et les lecteurs sont souvent très curieux de pouvoir découvrir une nouvelle proposition de revue strasbourgeoise.

On ne peut s’empêcher de remarquer une cohérence graphique et conceptuelle dans Nyctalope qui n’est pas aussi évidente dans d’autres publications étudiantes. Est-ce l’école qui forge ce style, cet état d’esprit ?

L’école propose simplement de faire de l’illustration ou de la bande dessinée dans une école d’art. C’est cette mixité, ce dosage entre arts appliqués et beaux arts qui rend l’option singulière et attractive. Bien sûr, il s’en dégage une volonté commune d’appréhender l’illustration différemment, de jouer et de s’approprier les codes. Puis, nous sommes un groupe, nous travaillons en parallèle. Naturellement, nos projets se nourrissent les uns des autres.

Nyctalope : "Un morceau d'exposition à ranger dans sa bibliothèque"
La Nappe
© Marion Fayolle

Vous considérez-vous comme des artistes ? De quelle manière l’école vous apprend/aide dans votre démarche de créateur ?

Artistes, illustrateurs, la frontière ne nous semble pas évidente. Nous sommes avant tout des personnes qui veulent utiliser le dessin et le support du livre pour s’exprimer, raconter des histoires, faire des expériences aussi bien graphiques que narratives. Cela fait-il de nous des artistes ? Nous n’en savons rien et qu’importe.

Nous venons d’horizons divers. Il y a ceux qui rêvent depuis toujours de faire de la bande dessinée, ceux qui sont arrivés là un peu par hasard et qui ne savent pas réellement ce qu’est l’illustration. Certains se sont spécialisés très tôt, d’autres ont suivi des formations plus généralistes, ou sont à l’ESAD depuis la première année.

Nos projets dialoguent. Ceux qui ont appris la bande dessinée de façon plus classique oublient un peu de leur acquis au contact d’étudiants qui arrivent d’un cursus artistique. Ceux qui ignorent les codes et découvrent l’illustration se nourrissent inversement des projets plus spécialisés.

Nous passons trois années ensemble. L’enseignement est très libre. Nous poussons, les uns à côtés de autres, chacun à notre rythme. Le climat nous semble idéal et la terre fertile.

Pourquoi Nyctalope est-il diffusé par “colportage” à Strasbourg, Paris et Leipzig ? Et à si peu d’exemplaires, malgré un succès évident ?

Si peu d’exemplaires parce que nous n’avons pas suffisamment de fonds pour en faire davantage. Le succès des deux derniers numéros nous a un peu dépassés ! Jusqu’à présent, ce projet se voulait très modeste. On envisage désormais de demander des bourses, d’augmenter le tirage, et peut-être même de passer en offset.

Nyctalope N°2
© Jérémy Fischer

Quelle est votre perception de la bande dessinée, du contexte éditoriale ?

Au travers de Nyctalope, nous affirmons une envie de "livre", en soignant l’objet et son contenu, sans réellement se soucier d’appartenir à un univers codifié. La microédition permet un contact direct avec le lecteur, de présenter les personnes qui sont derrière le magazine, ce que nous privilégions largement en nous déplaçant au maximum.

Quant à une vision générale sur la bande dessinée, nous sommes de jeunes auteurs, nous commençons juste à nous confronter aux éditeurs, à recevoir des commandes… Sans être candides, nous n’en sommes qu’à nos premiers pas.

Nyctalope, c’est plutôt une carte de visite collective, ou un projet en soi ? Avez-vous la volonté de trouver, ou de créer votre place dans le paysage ?

Nyctalope est bien évidemment une vitrine pour les illustrateurs qui y participent ! Mais nos objectifs sont de plus en plus grands. Initialement, il s’agissait d’un projet de classe, puis petit à petit, nous avons tous les trois [3] pris les rênes. Penser l’objet dans son intégrité, suivre toute la chaîne de productions du livre nous intéresse énormément et s’avère très formateur. 

L’an prochain, nous ne serons plus étudiant. Les choix individuels risquent de nous disséminer un peu partout, et nous espérons que le projet résistera.

Sollicités pour des projets de commandes, pressés par des réalités économiques, nous aimerions continuer le magazine et l’envisager cette fois, non plus comme une vitrine, mais davantage comme un laboratoire, comme un champ de liberté où les illustrateurs proposent des projets qui leur tiennent à cœur, sans contrainte, et répondant à leur exigence propre.

Imaginez-vous un jour publier des livres de cette manière “artisanale” ?

Pour l’instant, nous ne pensons pas réellement éditer des livres autres que Nyctalope. Nous nous contentons d’en rêver. La fin de l’école représente une grande étape et nous attendons de voir si notre trio est suffisamment solide, et si les illustrateurs, une fois sortis de l’école, nourriront encore l’envie de contribuer à la revue.

Premier passage sérigraphique de la couverture
© Yann Kebbi

Pensez-vous privilégier la forme sur le fond ?

La forme est très importante. Il nous semble intéressant de proposer des images au graphisme un peu expérimental ou décalé, de diffuser de la bande dessinée aux codes revisités. Mais nous essayons également d’être, au fil des numéros, de plus en plus exigeants sur le fond. Il n’est pas toujours facile d’amener une histoire, de poser un univers dans un ouvrage collectif qui consacre peu de pages à chacun. Nous souhaitons pourtant vivement que les projets présentés soient narratifs ou revendiquent une idée. Il serait dommage qu’une revue ne soit qu’un catalogue d’images, qu’un carnaval de styles. Il est primordial pour nous, de défendre des propositions d’auteurs-illustrateurs. Dans l’enchaînement même des projets, nous cherchons à créer des liens inattendus, des clins d’œil, des connexions surprenantes. Les images ne sont pas simplement juxtaposées les unes aux autres, arbitrairement. Il s’agit avant tout de faire un livre, qui se regarde mais aussi qui se lit.

Parlez-nous un peu de votre exposition à Strasbourg. Nyctalope n’est-il pas en lui-même une manière optimale d’exposer vos travaux ? Comment envisagez-vous l’exposition de travaux narratifs ?

C’est parce que Nyctalope est déjà en lui-même une forme d’exposition, que nous ne souhaitions pas faire de l’évènement-périscope, un simple accrochage des pages présentées dans le magazine. Il s’agit encore une fois de montrer les productions des auteurs de la revue, mais cette fois-ci, dans un autre cadre. Les projets ne se lisent plus sur des pages, dans un autre ordre précis, mais cohabitent dans un lieu.

Affiche de l’exposition Periscope
© Simon Roussin

Une petite salle. Sur les murs pas de projets à lire, des images qui présentent un intérêt plastique. Des originaux qui fonctionnent dans une contrainte de reproductivité mais qui ont une autre dimension, et une autre puissance à être vus en vrai. Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que nos auteurs travaillent principalement à la main, et possèdent donc des images qui ont un vrai sens à être également exposées.

On pouvait aussi consulter avec précaution des livres-objets n’existant qu’en deux ou trois exemplaires. Toutes ces choses qui ne peuvent figurer dans un magazine, toutes ces recherches qui envisagent le livre non pas comme un simple support mais davantage comme un moyen de prolonger la narration, d’utiliser les pages, le papier, les découpes pour raconter.

Le projet Nyctalope est présenté et vendu. Il est alors un morceau d’exposition à emporter chez soi, à ranger dans sa bibliothèque.

Propos recueillis par Beatriz Capio

(par Beatriz Capio)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

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[2Blutch, Boulet, Christophe Chabouté, Pierre Duba, Lucie Durbiano, Lisa Mandel, Mathieu Sapin, Marjane Satrapi et bien d’autres

 
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12 Messages :
  • Ces écoles sont des usines à clones.
    Elles prêchent pour l’ouverture mais respirent et exhalent un air(de déjà vu ?)en circuit fermé.Et que dire de ce discourt culturocratique et médiatiquement correct-c’est la même chose-, au vocabulaire choisi que l’ENA ne renierait pas....Tout les clichés du culturellement correct sont là.

    Curieusement ,les années 90 ont vues le phénomène contraire,avec des étudiants au travail repérable au premier coup d’œil(la plupart venaient d’Angoulême)qui usinaient du fantastique et de l’héroic fantasy en-veux- tu-en-voilà. ces écoles -en tout cas celles d’ici- sont un formatage néfaste.Elles standardisent trop le genre.

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    • Répondu le 23 mars 2011 à  17:02 :

      entre Boulet, Blutch, Serge Bloch, Catel, Christophe Chabouté, Gobi, Frank Victoria, Lisa Mandel, Pierre Wachs, Simon Hureau, Laurent Hirn, Elodie Durand, Anouk Ricard et bien d’autres...
      je vois pas trop de quel "style", de quel "formatage" ou de quel "standard" on pourrait parler...

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      • Répondu le 23 mars 2011 à  22:02 :

        Justement, eux c’est les années 90 qui ont vues le phénomène contraire.

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      • Répondu par ishimou le 24 mars 2011 à  11:19 :

        Ne banalisez pas un artiste essentiel comme Blutch, en alignant son nom parmi cette rangée d’oignons, ( je garde juste Chabouté aussi ). Apprenez à séparer le bon grain de l’ivraie, les oeuvres, des livres qui comptent et compteront, du tout publiable infecte, de ce fast food graphique qui hélas je le crains, va irradier des générations de benêts.

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    • Répondu par XD le 23 mars 2011 à  17:37 :

      C’est quand même mieux que les écoles formant des clones pour les séries HF "nibards et épée " des années 90 !

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  • La Nappe me semble un gag amusant, bien dessiné et original. En revanche, l’affiche de Roussin avoue trop l’influence de Blexbolex à mon humble avis

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    • Répondu par ishimou le 23 mars 2011 à  16:42 :

      Je découvre votre article et je m’empresse réjoui de vous dire que la couverture de ce nyctalope.4 me semble tout à fait épatante. Certes, elle me rappelle avec nostalgie les plus belles heures de RAW, mais si à cette source d’inspiration de jeunes étudiants en graphisme trouvent de nouvelles pistes, je les encourage à persévérer, à l’heure actuelle, rien n’est plus subversif et original que de se cultiver.
      Cher oncle, je vous ai trouvé un peu dur avec l’affiche de Roussin, dur, mais vous avez raison, en effet il y a du Blebolex là-dedans. Moi, j’y ai vu du Savignac et puis on a tellement de dessins mal fichus à voir, que je vous prierai d’être moins catégorique avec un jeune qui fait un tel effort, un aussi bel effort.
      Si cette couverture m’a fait une grande impression il n’en va pas de même des six cases de mademoiselle Fayolle. Un rapide survol de son blog (encore un blog) confirme l’ennui banal dans lequel cette adulescente souhaiterait nous entraîner. Désolé, Mademoiselle Fayolle, je ne vous admirerai pas.
      Cela dit merci quand même, comme ces six cases me font craindre le pire et que je ne peux pas feuilleter cet ouvrage avant achat, je ne le commanderai pas, je déteste acheter un chat dans un sac.
      À l’attention de la rédactrice, nous aurions aimé connaître le lien de parenté entre Matthias Malingrey co-auteur dans ce projet et le très bon illustrateur Rémy Malingrey, car enfin, produire ici un article pour une micro édition introuvable, qui plus est scolaire, me semble à tout le moins ressembler à un superbe copinage en règle. Je peux me tromper.

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      • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 23 mars 2011 à  16:52 :

        On a les copains que l’on mérite, cher monsieur. J’imagine assez bien les vôtres.

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        • Répondu par ishimou le 23 mars 2011 à  18:12 :

          Je vous pose une question, voilà tout, en plus je précise honnêtement que je peux me tromper puisque j’insinue qu’il y a peut-être un lien de parenté et que cet avantage pourrait (conditionnel) permettre la promotion d’un ouvrage scolaire au tirage confidentiel.
          Si je me trompe, dites le tout simplement.
          Et n’imaginez rien de mes copains, mon meilleur ami c’est moi-même.

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      • Répondu par Oncle Francois le 23 mars 2011 à  22:07 :

        Tout est question de goût et de préférences personnelles. Je ne prétends pas que l’illustratrice de "la nappe" est supérieure en talent au dessinateur qui a fait l’affiche : simplement, j’ai trouvé son gag amusant, original et bien dessiné. En gros et d’après les images présentées (je n’ai pas pu feuilletter Nyctalope dans les librairies proches de mon domicile), il me semble que c’est largement du niveau de ce que l’on a pu voir récemment chez Cornelius, l’Asso, les Requins-Marteaux, l’Employé du Moi, Fremok sans oublier Manolosanctis. Je pense que Beatriz Capio a eu un coup de coeur pour ce produit à petit tirage qui est aussi un gage de modestie. Pourquoi le lui reprocher ?

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        • Répondu par charmoz le 24 mars 2011 à  09:50 :

          Cela fait du bien de voir un site comme ActuaBd s’ouvrir aux nouvelles générations, et de faire partager à un plus large public, le travail de ces étudiants au talent indiscutable.
          Un grand bravo à Marion Fayolle dont le travail est d’une élégance rare.

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      • Répondu par michel O. le 26 mars 2011 à  20:52 :

        "mademoiselle fayolle, je ne vous admirerai pas"

        qui êtes vous pour que votre admiration puisse avoir une telle importance que cette auteure s’attriste de ne pas la mériter ?

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