Ces deux séries nées en 2005 chez des éditeurs alors concurrents (Delcourt et Soleil) présentent bien des similitudes à première vue : deux univers japonais médiévaux teintés de fantastique, deux rônins encadrés notamment chacun par un moine et une force de la nature, deux bretteurs experts dans l’art du sabre, et dont le passé guide les pas. Et pourtant, la constructions et le style de ces deux séries s’avèrent finalement bien différents !
Samurai : la force du sabre
Débutant par un premier long cycle de quatre tomes, Di Gorgio & Genêt ont finalement adopté des formats plus courts sous forme de diptyque pour scander les aventures de leur samurai déchu de son titre. Après bien des circonvolutions (la recherche de son frère qui détenait les clés de son passé, ce dernier finalement retrouvé mais amnésique, son retour à la vie et son refus d’en dire plus, etc.), le tome 9 dévoilait enfin les origines de notre héros : pourquoi il avait été abandonné dans un monastère où il a appris à se battre, et pourquoi son frère l’avait laissé de côté sans jamais revenir le chercher.
Le précédent récit, le tome 9, avait noué les fils de l’intrigue et restitué un peu d’honneur à Takeo et à son frère. Cette longue quête terminée, le tome 10 voit notre bretteur reprendre la route, un peu hagard. Au cours de ces pérégrinations, Takeao rencontre la jeune Ririko. Hantée par l’exécution de ses parents, elle désire participer à des tournois afin de parfaire son art du sabre. Le samouraï décide de lui apporter son aide et, ensemble, ils tentent d’éclaircir le meurtre d’un riche marchand de bois et d’élucider la disparition d’une statuette de haute valeur... Mais, dans l’ombre, le « prodige », le mystérieux poète-assassin attend son heure...
Une grande part du succès de Samurai tient à la force de l’encrage de Frédéric Genêt. Ne finalisant pas trop ses crayonnés, il parvient à maintenir du dynamisme et du mouvement dans son traitement au pinceau, lequel rend bien toute la fougue de son héros. En dépit d’un jeu des regards réussi et du climat mis en place, certaines cases présentent des contrastes parfois trop humoristiques ou semi-réalistes par rapport au reste de l’album. Mais ces petits écarts ne parviennent pas à ôter la beauté générale du récit.
Quant au scénario de Jean-Pierre Di Gorgio, après des batailles épiques et un suspense fantastique, il revient à une ambiance plus paysanne et des combats de tournoi au sabre comme on avait pu les suivre dans le second cycle de L’Île sans nom.
Usant (parfois abusivement) du planting (lâcher des éléments sans savoir si on va les utiliser dans les prochains tomes), Di Gorgio ne retrouve pas le souffle qui animait les précédents récits. Son héros Takeo erre sans but, ne parvenant même pas à dégainer son sabre face à des brigands. Certes, un nouveau et mystérieux combattant apparaît, mais cette aventure manque un peu de saveur par rapport à ce qu’on avait précédemment pu lire. Les amateurs de beaux affrontements seront néanmoins heureux de profiter d’un tome qui ne demande pas de relire les précédents. Ceux qui voudraient disposer d’une intrigue plus consistante se reporteront avec profit sur une série "concurrente" : Okko.
Okko : la mélodie des cycles
Nous étions revenus, dans un précédent article, sur le cheminement de cet autre rônin, et la première partie de son dernier cycle, plus introspectif. En effet, à la différence de Takeo, Okko est beaucoup moins monolithique. Ce personnage se dévoile au fur et à mesure des tomes, restant ambigu jusqu’à la moitié de ses aventures. Son profil se précise enfin dans ce dernier cycle qui explique ses origines.
La force du récit repose surtout de la construction méthodique de Hub. Même si l’auteur affirme ne travailler pratiquement qu’à l’instinct et par plaisir, il faut avouer que le premier cycle est sûr et le second communicatif ! Bien plus sombre que les précédents, cet épisode revient donc en détail sur la jeunesse d’Okko. Grâce à cela, on comprend comment les événements qu’il a vécus l’ont constitué, avant qu’il ne refoule tout cela sous un masque de guerrier impitoyable.
Pour profiter au mieux de ce dernier tome qui conclut la série, nous conseillons aux amateurs de relire les précédents volumes afin d’en tirer un maximum de plaisir. Quant aux néophytes, n’entamez surtout ce cycle du vide avec l’idée de lire la jeunesse du héros avant de suivre ses aventures, ce serait aller à l’encontre de la construction stylisée par Hub.
Si le dynamisme de son encrage ne parvient pas toujours à égaler celui de Genêt, son découpage et la finesse de ses détails, en revanche, allient la capacité de restituter la densité du scénario à une impressionnante lisibilité. Okko reste certainement la série de référence dans le domaine du fantastique médiéval japonais, tant la force de ses personnages va de pair avec la cohérence de son univers, et la méticulosité de son approche.
Si l’on choisit de lire les deux séries en parallèle, un singulier phénomène d’écho se produit : le moine qui suit Takeo dans les quatre premiers tomes cède la place à un autre moine ivrogne qui n’est pas sans rappeler celui d’Okko, et la perte du bras de l’un des personnages de Samurai renforce encore ce sentiment. Influences communes ? Sans doute. Le Japon rêvé par les Occidentaux emprunte souvent des chemins semblables.
(par Charles-Louis Detournay)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Lire notre interview de Hub : « Okko est un oiseau de mauvaise augure »
Commander :
Samurai T10 par Di Gorgio & Genêt (Soleil) chez Amazon ou à la FNAC
Okko T10 par Hub (Delcourt) chez Amazon ou à la FNAC
l’art-book d’Okko par Hub (Delcourt) chez Amazon ou à la FNAC
Lire les précédentes chroniques de Samurai : tomes 2, 3, 4, 5, 7 et l’introduction au tome 8.
Lire notre autres chroniques d’Okko : les tomes 2, 8, notre présentation du dernier cycle Un nouveau cycle intimiste pour Okko, ainsi qu’une interview de Hub : "Le découpage, c’est la colonne vertébrale d’un récit. Si on le rate, on perd le lecteur."