Interviews

Olivier TaDuc : "Mon vécu me permettait d’enrichir l’univers de Mon Pépé est un fantôme"

Par Nicolas Anspach le 18 septembre 2008                      Lien  
Fidèle complice de {{Serge Le Tendre}}, {{Olivier TaDuc}} délaisse un moment « {Chinaman} » pour se consacrer à une série humoristique écrite par {{Nicolas Barral}}.

« Mon Pépé est un fantôme » met en scène Napoléon, un gamin de dix ans, né d’une mère corse et d’un père vietnamien, qui vient de perdre son grand-père. Le défunt apparaît aux yeux de l’enfant sous la forme d’un fantôme. Ses aïeuls l’ont renvoyé sur terre pour veiller sur son petit-fils jusqu’à ce que ses parents se remettent définitivement ensemble…

Olivier TaDuc : "Mon vécu me permettait d'enrichir l'univers de Mon Pépé est un fantôme"Comment est née votre nouvelle série ?

Nicolas Barral est un ami et nous nous voyons souvent avec nos familles respectives. Lors du repas, on en vient régulièrement à parler de notre travail. Nous partageons nos états d’âme professionnels. Un soir, je lui ai fait part de mon envie de dessiner différemment. Cette phrase n’est pas tombée dans l’oreille d’un sourd. Quelques heures plus tard, je recevais un scénario qu’il avait développé pour un autre dessinateur. Le projet avait capoté pour différentes raisons. L’idée de base était la même : Karim, un enfant maghrébin, venait de perdre son grand-père et ce dernier lui apparaissait en tant que fantôme. Ces gags humoristiques en une page me plaisaient beaucoup ! J’ai franchement été épaté par la qualité de l’écriture de Nicolas. Je lui ai demandé de retravailler l’univers pour qu’il colle au mien !

Dans quel sens ?

Je voulais y incorporer mon vécu, ce qui permettait d’enrichir l’univers de la série. Mes enfants sont eurasiens. Ma femme est Corse. Pourquoi ne pas inclure ces éléments à la série ?
Le prénom de notre personnage est né d’une anecdote : En Corse, les nouveau-nés portent généralement le prénom d’une personne récemment décédée dans leur famille. J’avais entendu l’histoire d’un vieillard qui avait fait promettre à ses proches de ne pas transmettre son prénom à son futur petit-fils. Il avait tellement souffert de s’être fait appeler Napoléon ! J’ai retourné cette anecdote. Ce nom est tellement emblématique de la Corse qu’il nous était impossible de passer outre.

Votre travail est essentiellement tourné vers cette thématique : la vie d’un asiatique en Occident, que cela soit dans Les Voyages de Takuan [1], Chinaman [2] et aujourd’hui Mon Pépé est un fantôme

Oui. Et j’ai d’autres projets qui sont liés à l’Asie. Ce sujet sera présent tout au long de ma carrière. Cela fait partie de ma personnalité et de mon envie de m’exprimer comme auteur sur les différentes facettes de l’Asie. C’est une nécessité. Je pense que Jung et Vink ressentent également ce même besoin. Ceci dit, je ne ferai probablement pas que cela.

Extrait de "Mon Pépé est un Fantôme"
(c) TaDuc, Barral & Dupuis

La famille de Napoléon est très européanisée. Même les grands-parents le sont !

Elle l’est, même s’il y a çà et là quelques touches asiatiques. En fait, elle est le reflet de ce que j’ai connu. J’ai toujours mangé de la cuisine française avec mes parents, même si lors des repas de fête nous mangions vietnamien.

Passer d’un dessin réaliste à un dessin humoristique, est-ce facile ?

Ce n’était pas évident, malgré mon envie de dessiner différemment. J’avais beaucoup de mal à visualiser mon nouveau style. Le dessin humoristique s’est imposé. En effet, Mon Pépé est un fantôme est une série tendre, remplie d’humour. J’ai consacré quelques séances de travail à adapter mon dessin à cet univers. Je dessine actuellement le second album, et je commence à ressentir une certaine stabilisation dans mon trait. Heureusement, je savais que Nicolas serait là pour m’aider si je me montrais défaillant dans la représentation d’une scène ou d’une attitude. Je le considère comme une sorte de rempart, de protecteur. On a une vraie relation de confiance

Cette série porte un regard tendre et savoureux sur le monde de l’enfance. Était-il déjà présent dans la première version du projet ?

Oui, mais il était plus léger. Cette thématique était destinée à être traitée sous la forme de gags en une planche. Benoît Fripiat, notre éditeur, nous a fortement incités à raconter des histoires plus longues. C’était un avis judicieux : nous avons pu apporter une dimension émotionnelle supplémentaire qu’il n’y avait pas forcément dans la première version.

Et les thématiques adultes : jalousie, adultère, la mort d’un proche et son incinération … ?

Elles correspondent aux envies de Nicolas. Ses scénarios sont d’une très grande finesse et il s’adresse aux enfants et aux adultes de manière intelligente…

À un moment, le père de Napoléon tombe nez à nez sur l’amant de son ex-femme …

C’est du vaudeville ! On montre la mère de Napoléon dans un lit avec un amant de passage ! On ne voit pas ce type de scène toutes les semaines dans le journal de Spirou (Rires). On s’est demandé s’ils allaient passer cette histoire. Elle y a été publiée sans aucun problème. Nous n’avons pas représenté cette situation de manière gratuite ou glauque. Nous voulons parler du quotidien de cette famille. Beaucoup d’enfants sont confrontés au divorce de leurs parents et au fait que les parents séparés se remettent avec quelqu’un d’autre.

Extrait de "Mon Pépé est un Fantôme"
(c) TaDuc, Barral & Dupuis

On a presque l’impression que le petit-fils et son fantôme de grand-père se découvrent seulement maintenant…

Nous avons joué sur un climat de connivence avec le lecteur, ce qui entraîne peut-être cette impression. Ceci dit, avant de mourir, le grand-père était dans son rôle de chef de famille modèle. En tant que fantôme, il est plus perméable…

Avez-vous abandonné le dessin réaliste ?

Non. Mais nous allons lancer cette série de manière professionnelle en publiant au moins trois albums d’affilée ! Le public doit se familiariser avec cet univers. Après, nous pourrons envisager un roulement. Au départ, Mon Pépé est un Fantôme était une parenthèse dans mon travail. Mais l’enthousiasme de l’éditeur nous a fait reconsidérer la chose…

Quelles sont les principales difficultés du dessin humoristique par rapport au réaliste…

Je n’emploierais pas le terme de difficulté. Ces deux styles ont des systèmes narratifs différents. La BD réaliste permet d’utiliser des angles plus variés.
Le jeu des acteurs est beaucoup plus important dans l’humoristique. Ce type de dessin entraîne une exagération indispensable dans les mouvements et expressions des personnages…

Le cadre historique est l’une des colonnes vertébrales de Chinaman. La bande dessinée a rarement traité l’apport asiatique sur le nouveau continent. Comment est né cette idée ?

J’ai toujours été fasciné par le Western et plus particulièrement par les grands espaces et la conquête de l’Ouest. Enfant, je dévorais les bandes dessinées et les films qui traitaient de ce sujet. J’appréciais également les arts martiaux, magnifiés à l’époque par Bruce Lee et par bien d’autres ensuite. J’ai d’ailleurs dédié le premier tome de Chinaman à deux metteurs en scène chinois, Chang Cheh et Tsui Hark, qui sont très connus des initiés.
Alors que nous terminions les « Voyages du Takuan » aux éditions Delcourt, j’ai proposé cet univers à Serge Le Tendre. J’avais rassemblé beaucoup de documentation sur ce sujet, notamment lors d’un voyage aux USA, au début des années ’90. J’avais visité un musée à San Francisco qui était consacré aux immigrants chinois depuis les origines jusqu’à nos jours.
Dans Lucky Luke, la représentation des Chinois est une caricature : On peut difficilement imaginer que dans la réalité les chinois étaient tous des blanchisseurs ou que les mexicains passaient tous leurs temps à faire leur sieste sous le porche du saloon…

Chinaman
(c) TaDuc, Le Tendre & Dupuis

On sent votre désir d’approfondir la psychologie des personnages dans Chinaman.

Serge Le Tendre et moi-même avions envie de réaliser des histoires d’aventure avec des personnages crédibles, possédant beaucoup d’épaisseur. Chinaman, lui-même, évolue au fil des albums. Il n’est plus la brute épaisse des premiers albums. Il s’ouvre aux autres, même si le contact n’est pas toujours facile…

Quelles sont vos influences en matière de bande dessinée western ?

J’ai grandi avec la passion du western. Mes plus anciens souvenirs de dessin représentaient des cow-boys et des indiens ! Dessiner ces personnages était un moyen de prolonger le plaisir que j’avais eu en voyant tel ou tel film ! Le cinéma, et surtout le genre Western, m’a énormément influencé à mes débuts de dessinateur. Je tenais absolument à aborder ce genre, même s’il est largement passé de mode. Sauf exception, les films ou albums de bande dessinée de Western se font plutôt rares…
Ma premières lecture dans ce genre fut Ma Dalton (Lucky Luke). C’était d’ailleurs la première BD que j’ai acheté tout seul ! Par la suite, étant lecteur de Pif Gadget, j’ai découvert Teddy Ted (de G.Forton) et Loup Noir (de Kline). Bien plus tard, je suis tombé sur Blueberry (de Charlier et Giraud) et Comanche (de Greg et Hermann). Jean Giraud avait l’art dessiner les chevaux, ce qui était primordial pour un western. Hermann, quant à lui, parvenait à faire ressentir l’atmosphère du western : la boue, la nature, la sueur, etc. Giraud et Hermann ne « boxaient » pas dans la même catégorie. J’ai également beaucoup aimé Buddy Longway dans ma jeunesse pour son côté saga. Derib était également un formidable dessinateur de chevaux. On sentait qu’il les aimait

Quand sortira le prochain Chinaman ?

Cette série est actuellement entre parenthèses. Ma priorité va à Mon Pépé est un fantôme. Malheureusement. La collaboration avec Serge Le Tendre me manque beaucoup. Une vraie relation amicale est née au fil du temps. Je souhaite à tous les dessinateurs de travailler dans les mêmes conditions.

Vous parliez de Jung tout à l’heure. Avez-vous lu son autobiographie, « Couleur de peau : Miel » ?

Oui. Je le connaissais avant d’avoir lu ces deux livres. Il parle de son enfance de manière sérieuse, touchante et sans aucun misérabilisme. Il a réussi à conserver une certaine distance tout en parlant de son parcours. Il a beaucoup de talent !

(par Nicolas Anspach)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

🛒 Acheter


Code EAN :

Lire la chronique du T1 de "Mon Pépé est un fantôme"

Lien vers le blog d’Olivier TaDuc

Voir la bande-annonce de Mon pépé est un fantôme

Acheter l’album en ligne

Photo en médaillon : (c) Nicolas Anspach
Merci à CL Detournay pour son aide.

[1TaDuc reprend cette série au deuxième tome qui met en scène un moine bouddhiste qui parcourt l’Europe du XVème siècle. Cinq albums (dont trois illustrés par TaDuc), aux éditions Delcourt. Scénario de Serge Le Tendre.

[2Toujours avec Le Tendre, aux éditions Dupuis

 
Participez à la discussion
1 Message :
  • Après avoir longtemps été "ringardisé", j’ai l’impression que le WESTERN retrouve ses lettres de noblesse dans les médias, ces dernières années :

    - Série "Les 7 Mercenaires" à la TV
    - W.E.S.T.
    - Ethan Ringler, agent fédéral
    - Lune d’Argent sur Providence
    - Junk
    - Martha Jane Canary
    - etc...

    Ce n’est plus tout à fait le western mythique, rugueux et sauvage d’autrefois, les thèmes sont souvent plus "historiques" (tel Chinaman, d’ailleurs !), plus récents ou parfois plus à l’Est, mais le genre semble tout de même retrouver un nouvel intérêt.

    Répondre à ce message

CONTENUS SPONSORISÉS  
PAR Nicolas Anspach  
A LIRE AUSSI  
Interviews  
Derniers commentaires  
Abonnement ne pouvait pas être enregistré. Essayez à nouveau.
Abonnement newsletter confirmé.

Newsletter ActuaBD