Y a-t-il un retour de la BD érotique ? Vaste question ! En tout cas, il y a un retour de l’érotisme chez Glénat, qui lance sa propre collection de BD érotique, malicieusement nommée Porn’Pop. Nous verrons dans le 2e volet de l’enquête que ce n’est pas la première fois que l’érotisme s’invite chez Glénat, ni même la première collection exclusivement consacrée au genre chez l’éditeur grenoblois : elle succède notamment à Selen (label Vents d’Ouest), arrêtée en 2000.
Cette nouvelle collection, en revanche, prend le parti de faire de la BD érotique sous l’étiquette de la pop culture, à venir pour le 12 septembre 2018. Ironiquement, en dépit d’un label beaucoup plus explicite que d’autres parfois pourtant beaucoup plus "trashs" (Sexy Bulles, Tabou éditions, Dynamite...), elle présentera de l’érotisme finalement assez soft, édulcoré par l’étiquette « pop ».
C’est peut-être une façon de dépasser les contraintes liées au genre que de le rendre plus « populaire », une façon de dire que la BD érotique dépasse depuis longtemps le seul registre de la consommation masturbatoire que l’on se passe sous le manteau pour une population essentiellement masculine bien sûr. De s’adapter aussi à l’hypocrisie de l’instant qui voit d’un mauvais œil la publication de ces bandes dessinées (qui, cela va de soi, ne s’adressent qu’aux enfants) tout en laissant proliférer la pornographie sur la toile...
Cette collection connaît son (second) rayon : sa directrice n’est autre que Céline Tran, ancienne star du porno sous le pseudonyme de Katsuni. La ligne éditoriale annoncée s’oriente ainsi sur des bandes dessinées qui « parlent du sexe dans toute sa diversité sous le masque du divertissement. » De quoi s’éloigner de l’image d’une littérature réservée aux hommes seuls et frustrés, condamnés à ne pouvoir se satisfaire qu’ainsi...
Et les autres ?
En 2010, nous présentions Glénat et Delcourt comme les duellistes de l’érotisme chic. Si Glénat donne un second souffle à ce mouvement aujourd’hui, la collection Erotix de l’éditeur au triangle semble plus en retrait. En 2015, sa réédition du premier album de Magenta par Pes & Guerra paru en italien sous le titre Invitation to Hell avait déçu, principalement au niveau du scénario et des dialogues. Par ailleurs, cette collection ne publie que quelques albums par an.
Par contre, du côté des Requins Marteaux, la collection BD Cul coule des jours paisibles. Ses objets éditoriaux sont toujours soignés et plaisent pour leurs jeux de mots graveleux en première page et leurs fausses publicités. Si l’on se penche sur ses deux dernières parutions, nous constatons que cette collection ne faiblit pas et marque toujours le coup dans le monde de la BD érotique.
Pour Les Escalopes par Sébastien Lumineau, c’est une franche réussite. Cet album met en scène un homme qui se masturbe dans des escalopes de dinde et les sert aux amies de sa femme, ce qui déclenche une formidable orgie dont elles n’ont aucun souvenir le lendemain. Il réessaye par la suite avec d’autres gens, sans succès, puis lors d’un dîner de famille, et ça marche... Sujet scabreux ? Rien de plus banal pour la collection BD Cul. Ce titre est fort d’un vrai scénario et arrache de nombreux rires au lecteur tout en étant ouvertement pornographique. La collection BD Cul ayant une véritable exigence au niveau du trait graphique, Les Escalopes ne déçoit pas du tout de ce côté-ci et offre de belles scènes orgiaques.
La Décharge mentale par Bastien Vivès est aussi une réussite, mais moins rutilante. Il pourrait être vraiment drôle mais est moins heureux que Les Melons de la colère, du même auteur aussi publié chez BD Cul ; et le trait n’atteint pas le niveau de celui de Polina notamment.
C’est l’histoire d’un homme qui rencontre un ancien ami accablé dans une station service et le raccompagne chez lui. Son arrivée dans la belle maison qu’il habite déclenche une sorte d’orgie sexuelle puisque sa plantureuse femme et ses belles filles sont entièrement vouées à son plaisir, notamment sexuel. L’album se compose d’une série de scènes pornographiques et parvient à faire rire, notamment quand le chien s’invite dans un moment sexuel vers la fin, mais n’est pas non plus irrésistiblement drôle. Là encore, Vivès aborde des sujets de la pédophilie et de l’inceste comme dans Les Melons de la colère, ce qui pourra en déranger certains.
Justement, quelles parutions chez Porn’pop ?
Vivès est également présent au catalogue de la nouvelle collection de Glénat, Porn’Pop, dans un album qui reprend les personnages des Melons de la colère, intitulé Petit Paul. L’auteur explique qu’il est fasciné et même excité par les attributs physiques vus comme une malédiction par leurs porteurs. Ainsi, après avoir mis en scène Magalie et sa poitrine sur-dimensionnée, c’est au tour d’un jeune garçon au membre disproportionné de tenir le premier rôle de son album. Nous parlions de pédophilie chez Vivès... La question se pose ici aussi puisque le jeune Paul suscite le désir des paysannes. Les Melons de la colère a plutôt bien marché, dès lors celui que beaucoup considèrent comme le meilleur auteur de sa génération déclare qu’il se devait d’en faire une suite.
Finalement, à quoi correspond ce retour en grâce du genre érotique ? Est-ce que Glénat ne se contente pas juste de s’approprier ce qui marche ? Interrogé à ce sujet, l’historien de la censure Bernard Joubert répond sagement qu’ « une collection de BD porno ne fera jamais aujourd’hui la fortune d’un éditeur. Il peut juste espérer faire de bons livres. » Il ajoute : « je pense que si Glénat lance une collection de BD porno, c’est simplement parce qu’il n’y a pas de raison que le genre soit absent de son catalogue », tout comme la BD humoristique sur laquelle ils se penchent désormais avec la toute nouvelle collection GlénAAARG !. Pour cette nouvelle collection d’humour, ils avaient fait appel à Fabcaro ; quoi de plus naturel que de solliciter Vivès pour l’érotisme ?
D’ailleurs, tout comme pour GlénAAARG !, la maison d’édition a choisi des auteurs moins connus pour côtoyer les célébrités dans les œuvres inaugurales. Ainsi, le second album annoncé est signé par un duo plus confidentiel de ce côté-ci de l’Atlantique : il s’agit des Joies du sex-toy et autres pratiques sexuelles par Erika Moen et Matthew Nolan. C’est un album ludique voué à faire découvrir les différents modèles de jouets sexuels et la façon de s’en servir, entre interviews de professionnels et BD-témoignage. C’est la première publication papier de leur webcomic à succès Oh Joy ! Sex Toy ici édité en français ; Matthew Nolan est originaire d’Angleterre et a immigré aux États-Unis en 2008 pour épouser Erika Moen.
D’autres sorties de BD érotique remarquées...
Très rapidement, touchons un mot des quelques sorties érotiques remarquées de ces derniers moments, parues en-dehors des collections abordées ci-dessus. Notons le très réussi Vestigiales par Florent Maudoux (Ankama), qui parvient à renouveler le genre. Le début suggère un traitement trivial voire cliché de la sexualité et du corps pour mieux surprendre le lecteur en détournant les poncifs et en proposant une vision plus moderne. Ce n’est pas étonnant de trouver de l’érotisme, et qui plus est de l’érotisme renouvelé sous le Label 619 qui se veut accorder une véritable liberté d’action aux jeunes talents.
Mentionnons également Vies Parallèles par Olivier Schrauwen (Actes Sud), qui fait de l’érotisme sous forme de Science Fiction et explore les thèmes de l’identité, du voyage dans le temps et l’espace et du transhumanisme permis par les progrès de la science... Intelligent, original et terriblement séduisant. En vrac, ces derniers mois ont aussi vu passer SM le maudit par Yxes et Bier (Dynamite) et Quelques pincées de désir par Marie Avril, Megan Gedris, Niki Smith, Marine Tumelaire et Ariel Vittori (Tapages nocturne).
Un retour de la BD érotique ?
Il n’y a pas à proprement parler de retour de la BD érotique à travers la nouvelle collection de Glénat. Le genre restait représenté chez les petits éditeurs et chez les indépendants comme Requins Marteaux. Cependant, il est vrai que ça devrait redonner de l’élan au genre, étant donné la place de Glénat dans l’édition aujourd’hui ; un élan bienvenu quand on considère les difficultés liées à l’édition de ce genre d’ouvrages, entre censure et réticences du côté du marché.
Publier de la BD érotique, est-ce plus facile de nos jours ? La seconde partie de cette enquête se penchera sur l’évolution de la place de ce genre, de la censure et des autres difficultés éditoriales qui le touchent.
(par Céline Bertiaux)
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