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Oublier Tian’anmen - Par Davide Reviati - Cambourakis

Par Damien Boone le 27 mars 2013                      Lien  
Il est des noms dont la seule prononciation suffit à mobiliser dans notre imaginaire des images effrayantes : Tian'anmen est de ceux-là. Associée, depuis le 4 juin 1989, au massacre de milliers d'étudiants chinois qui réclamaient une libéralisation politique du pays, cette place de Pékin est visitée, 20 ans après ces événements, par un journaliste italien qui souhaite rencontrer des témoins de la tuerie.

Mais il est également en quête de Fu-Chi, son amour de jeunesse retournée au pays natal, dont il n’a aucune nouvelle. L’évocation entrecroisée de ces moments passés offre une très belle réflexion sur la mémoire.

Initialement publié en 2009, 20 ans après la répression, dans sa langue originale, Oublier Tian’anmen oscille entre récit intimiste et retour sur un événement à portée universelle.

Si Davide Reviati prend pour prétexte l’anniversaire des 20 ans des événements pour envoyer place Tien’anmen un journaliste en quête d’acteurs et de témoins de l’époque, l’histoire est aussi celle d’une irrésistible nostalgie : étudiant, il était amoureux de Fu-Chi, fille d’un réfugié politique chinois en Italie. Ils s’étaient fait la promesse de se retrouver vingt ans plus tard, sur cette fameuse place. Délaissant momentanément femme et enfants en Italie, il se retrouve à l’autre bout du monde, dans un décor à la culture millénaire sous l’œil des policiers armés, et ne cesse de s’interroger : que fait-il vraiment ici ? qu’est devenue Fu-Chi ? Que reste-t-il de leurs sentiments ? Que reste-t-il du massacre d’il y a 20 ans ?

Oublier Tian'anmen - Par Davide Reviati - Cambourakis
Oublier Tian’anmen - Par Davide Reviati - Cambourakis

Son séjour ne lui apporte aucune réponse satisfaisante : retrouver Fu-Chi sur une place de 440 000 mètres carrés est mission impossible. De même qu’enquêter sur des actes dont l’oubli est institutionnellement organisé.

Finalement, à mesure que le temps passe, il ne sait pas vraiment ce qu’il est venu chercher à Pékin : les souvenirs personnels et collectifs s’effacent ou se confondent, lui laissant l’impression d’une profonde confusion. Personne ne semble se rappeler « Tian’anmen », comme si l’événement était inconnu des Chinois : seuls restent, témoignant de l’horreur, quelques poèmes, sortis d’archives, et les faits historiques incertains et contradictoires selon leurs sources, disséminés au fil de l’ouvrage. La censure du pouvoir chinois a pris soin d’effacer les événements de la mémoire collective et de construire l’oubli.

Oublier Tian’anmen - Par Davide Reviati - Cambourakis

Ses propres souvenirs individuels quant à Fu-Chi sont parcellaires : cette histoire a-t-elle finalement jamais existé, elle aussi ?

L’oubli et les doutes sont ainsi au cœur de l’ouvrage : les visages des disparus, suggérés par ombres ; l’écriture hésitante, avec des pages sans dialogue, des phylactères vides, comme pour signifier l’impossibilité de se remémorer Tian’anmen ; l’alternance entre textes et dessins, encre et peinture, nuances de noirs et blancs, qui rythment la lecture en offrant au lecteur des moments de suspension qui permettent de contempler un style entre expressionnisme et réalisme, et de partager les questionnements du personnage.

L’ouvrage, fort bien documenté, détonne par la puissance de ses silences, reflets des défauts de mémoires, dus au temps qui passe inexorablement quand ils sont individuels, ou construits comme tels lorsqu’ils contreviennent à la vérité officielle d’un régime politique. Il invite surtout à faire en sorte que ce ne soit pas l’oubli qui emporte Tian’anmen.

Oublier Tian’anmen - Par Davide Reviati - Cambourakis

(par Damien Boone)

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