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Ovidie ("Histoires inavouables") : "Je ne suis pas forcément douée pour créer une excitation."

Par Thierry Lemaire le 24 février 2014                      Lien  
Touche à tout après son passage dans le cinéma X, Ovidie signe avec {Histoires inavouables} dix scénarios courts de bande dessinée. Mis en image par le trait élégant de Jérôme d'Aviau, le recueil de nouvelles traite de sexualité sur un mode joyeux et plutôt doux. Amateur(trice)s d'histoires trash, passez votre chemin.

Vous n’êtes pas une novice en bande dessinée. Vous avez œuvré dans le collectif Duos en 2009 chez Fluide Glacial. Comment êtes-vous revenue à la BD ?

Cette envie de BD, ça fait un moment que je l’ai. Et j’ai redoublé de malchance. Les planches qu’on avait faites avec Julia Dasic pour Duos devaient paraître dans Fluide G. On avait bien avancé le travail et on devait publier un album. Et puis il y a eu un cafouillage avec l’éditrice de l’époque, qui fait que le projet a été avorté. On a présenté le projet à la Musardine, qui était mon éditeur, mais ils ont refusé en disant que ce n’était pas assez masturbatoire. Ensuite, il y a eu un projet avec Zidrou qui s’est mal terminé. On a écrit un scénario à quatre mains et Zidrou est parti avec. Puis Glénat m’avait démarché mais n’avait pas trouvé de dessinatrice. J’avais vraiment en travers de la gorge cette expérience chez Fluide, du coup, j’ai un peu abandonné l’idée de faire de la BD. Et puis Sophie Chedru, la femme de Guy Delcourt, était mon attachée de presse sur Sexe et philo. C’est comme ça qu’on a discuté, que je lui ai refait part de mon désir de faire de la BD. Elle a proposé que je lui envoie des synopsis pour voir si ça collait. C’est ensuite que Jérôme d’Aviau s’est greffé sur le projet. Comme il y avait dix histoires différentes, on se demandait s’il fallait faire un recueil collectif. En discutant avec Jérôme, on a rapidement décidé de faire tout l’album ensemble.
Ovidie ("Histoires inavouables") : "Je ne suis pas forcément douée pour créer une excitation."
C’est un peu la boucle qui est bouclée, puisque votre pseudo vient d’une bande dessinée.

J’ai pris ce pseudo parce que je suis une grande admiratrice de Ptiluc. J’aime énormément ses BD. Pas que Les Rats. On est devenus potes par la suite. J’avais décidé d’utiliser ce nom là, parce qu’Ovidie, dans Destin farceur, est un personnage très intéressant. C’est une rate qui vit en marge de la société, symboliquement un peu mon cas à cette époque là. Elle refusait son statut de rate reproductrice, elle vivait avec un hamster sans queue et un rat homosexuel, donc rejetés par la société des rats. Elle décidait de devenir gourou de secte, donc quelque part porte-parole d’un certain message, pour pouvoir se venger de cette mise à l’écart. Je trouvais ça intéressant, et ça n’a rien à voir avec le poète Ovide, ce que j’ai lu dans pas mal de journaux.

Et Ptiluc, comment a-t-il trouvé ce nom ?

C’est très drôle. C’était le nom d’une vieille mémé dans son village. Ça n’avait rien de subversif ni de sensuel.

Vous lisez beaucoup de BD ?

Je ne prétends pas être une grande fan de BD, parce que ce serait très prétentieux par rapport aux vrais collectionneurs. Mais j’en ai toujours lu, et ça m’intéresse. En revanche, je n’ai jamais été grande lectrice de BD érotiques. J’avais beaucoup aimé la nouvelle vague féminine qui avait eu lieu vers 2008. Fraise et chocolat, d’Aurélia Aurita, qui est pour moi un des meilleurs albums que j’ai lu en BD érotique. J’avais aussi beaucoup aimé Premières fois. C’était dans ce sens là que je voulais aller. Je ne voulais pas faire un truc à la Crépax. Des nanas avec des nichons énormes attachées dans un château, non. Je ne suis pas contre, mais ce n’est pas mon truc.

Et d’où vient l’envie de faire de la bande dessinée ? Parce que vous avez touché au cinéma, à l’écriture.

L’idée n’est pas arrivée de manière soudaine, un beau matin. Ça s’est fait naturellement. J’en lis quand même pas mal. Je ne vais pas chez Album pour chercher mes comics de la semaine, quand même pas, mais j’ai toujours lu de la BD. C’était un moyen d’expression qui m’intéressait, parce qu’on peut exprimer des choses en BD qu’on ne peut pas exprimer au cinéma ou en littérature. Et puis il y a ce lien avec la création d’Ovidie. J’ai vraiment pris la décision de faire de la BD en 2008, justement avec l’arrivée de toutes les BD dont j’ai parlées avant.

Et vous n’avez pas eu envie de partir dans autre chose que l’érotisme ?

Moi je dis « pourquoi pas ? ». Si vraiment on me laissait demain la liberté de faire ce que je veux, je ferais des documentaires animaliers et des BD avec des ours qui parlent. Je suis sérieuse pour les ours qui parlent. Mais est-ce qu’on me laissera la possibilité de le faire ? C’est moins sûr.

Cet album est divisé en dix histoires courtes. C’est vous qui avez choisi le format ?

Je voulais faire des histoires courtes. Le chiffre de dix est venu assez rapidement parce qu’on avait pris le modèle de Premières fois. Je ne voulais pas faire un roman graphique. Au cinéma, j’aime bien les court-métrages, mais ce qu’on me demande, c’est plutôt des films de 1h30-1h45. La BD me permettait de faire du court. C’était vraiment une envie. D’ailleurs, quand j’achète une BD, j’aime bien les histoires courtes.

Techniquement, ça vous a posé des problèmes particuliers d’écriture ? Parce que la technique n’est pas la même que pour une histoire longue.

Pour la première réunion de découpage avec Jérôme, on a travaillé sur deux histoires où on a vraiment réfléchi ensemble sur cette histoire de découpage. C’est ça qui a permis de donner le rythme aux autres histoires. Ces histoires types m’ont permis de voir comment se structure une histoire en dix pages. Après, c’est passé tout seul. Jérôme m’a aidé dans ce processus d’apprentissage.

Comment s’est passé la collaboration ?

Quand Jérôme est arrivé sur le projet, il y avait déjà une grosse dizaine de synopsis écrits. Là, il a décidé ou non de participer à la BD. Après, on s’est rencontrés. On a réfléchi à l’apparence des personnages. On a fait ce premier travail de découpage pour voir comment ça fonctionnait et se répartir les tâches. Après, on s’est vu de temps en temps. On faisait les découpages ensemble. En général, il m’envoyait un crayonné par mail et j’ajoutais les dialogues.

Sur la quatrième de couverture, il y a marqué que toutes les histoires sont des expériences réelles.

Oui. Il y a des choses qui sont changées, comme les noms ou les physiques, et parfois même les circonstances. Parfois, elles sont telles quelles. Elles sont toutes réelles. Quelques-unes me concernent. Les autres, on me les a racontées.

Dans les remerciements, vous placez votre chien, qui a été, je cite, « le plus fidèle d’entre tous, et le seul qui ne [vous] a jamais jugé ». C’est dur comme bilan.

Oui, mais c’est aussi comme ça que je le vois. Ça a été le plus fidèle compagnon mâle. Il a énormément compté pour moi. Il a été là peu de temps après la création de mon alter ego Ovidie. Durant toutes ces années, il a assisté à mes déboires amoureux, à plein de chose. Et si je dois faire le bilan de ma vie amoureuse, c’est le seul qui ne m’a jamais trahie et m’a vue telle que j’étais vraiment. Et les quelques hommes que j’ai eu dans ma vie, il n’a jamais pu les blairer. Donc, je persiste et je signe. Il y a d’ailleurs une histoire où il apparaît, que j’ai écrite avant sa mort.

Vous étiez connue dans le milieu du X pour vos prises de position qui différaient du discours général. Dans cet album aussi, on retrouve les thèmes qui vous touchent. La pornographie pour les femmes par exemple. C’est une BD plutôt pensée pour les femmes ?

Pas que. Mais depuis sa sortie, je vois que j’ai plein de retours de femmes sur les réseaux sociaux, en signature aussi. Des hommes aussi, bien sûr, mais quand même beaucoup des femmes. C’est aussi un reproche que certains pourront me faire, c’est que ce n’est pas une BD qui se lit nécessairement le sexe à la main. Certes elle parle de sexe, elle est explicite, mais c’est un peu le prolongement de ce que je pouvais faire dans mes films, ce n’est pas forcément masturbatoire. Ce n’est pas plus hard ou moins hard, ce n’est pas ça le problème. C’est juste qu’il y a de la relation entre chaque personne. Un contexte réaliste. Ce couple par exemple qui s’engueule pendant une soirée échangiste, c’est du vécu. Ça permet au lecteur de se transposer plus facilement dans l’histoire. Donc, oui, il y a une porte qui est grand ouverte au lectorat féminin.

Et par leur déroulement, ces histoires appellent aussi une réaction de la part du lecteur. Il n’y a pas seulement de l’action.

En dix livres, je n’ai jamais écrit de romans érotiques. Je ne suis pas forcément douée pour créer une excitation. En fait, dans mes créations, j’aborde le sexe comme je le vis, c’est-à-dire de manière un peu naïve et décomplexée. Sans tabous mais sans grandes perversités.

D’ailleurs, tous les personnages sont des gens normaux. Il ne leur arrive pas des choses extravagantes.

De toutes façons, personne ne m’a raconté d’histoires plus trash que ça. Je voulais raconter des histoires réelles.

Même si ce n’est pas le but de l’album, il y a aussi un petit côté pédagogue. Une variété de pratiques, toujours le préservatif, une douceur à des années lumière de ce qu’on peut trouver dans l’industrie du X, etc.

Il n’y a pas eu de volonté de faire la leçon. Le préservatif n’est pas forcément toujours présent, mais quand il est là c’est qu’il participe à l’histoire. Il n’arrive pas comme un cheveu sur la soupe. Mais pour l’histoire de l’échangisme, ça m’aurait gêné qu’il n’apparaisse pas. Pour le reste, c’est encore une histoire de réalisme.

Une grande majorité des histoires jouent sur une chute humoristique. Pas un gros éclat de rire, mais toujours un sourire. C’est pour être moins dans l’excitation, comme vous disiez tout à l’heure ?

Sexe et gag, ça ne colle pas, mais là, on n’est pas vraiment dans le gag. C’est de la bonne humeur. La tension retombe. Un peu comme dans la réalité encore. C’est un peu le prolongement de ma vision de la sexualité. Je suis plus dans la sexualité joyeuse que dans la sexualité hyper noire ou hyper perverse. Peut-être qu’un jour ça viendra. Pour le moment, je ne suis pas dans cet état d’esprit là.

Dans les mois qui viennent, vous avez d’autres projets de bande dessinée ?

Pas pour l’instant. On attend de voir comment marche le tome 1 pour se lancer éventuellement dans un tome 2. Ça dépendra aussi l’envie de Jérôme. Mais mon envie n’est pas d’en faire mon activité principale. En ce moment, je travaille sur un documentaire sur les jeunes femmes de la génération Y.

(Album réservé à un public adulte)

(par Thierry Lemaire)

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