Né en 1939 à Peekskill dans l’État de New York où il a grandi, Herb Trimpe se découvre, jeune, une passion pour le dessin et surtout pour les comics, principalement le personnage original de Captain Marvel et celui de Plastic Man. Jeune adulte, il devient vite assistant pour l’encrage et les décors de comics, tout en continuant ses études d’art à la New York City’s School for Visual Arts, sous la houlette de Tom Gill.
C’est pour ce dernier qu’il fait l’assistant d’ailleurs, pour le seconder dans son travail pour les comics. Dans cette école, où il apprend les rudiments du comic book, considérés comme une création "bas de gamme" en comparaison des beaux-arts, la classe est reléguée au sous-sol dans un local humide lugubre. Ce souvenir faisait sourire Herb Trimpe qui constatait qu’actuellement la BD est appréciée et sert d’influences à de nombreux peintres et plasticiens qui s’en revendiquent.
Sorti diplômé de son école d’art, il propose ses services à l’éditeur Dell Comics qui le fait travailler sur diverses productions comme l’adaptation du film Voyage au centre de la Terre et, un certain nombre de westerns et de comics de guerre. Pendant la guerre du Vietnam, Trimpe s’engage dans l’US Air Force. Il y travaille au service météorologie, de 1962 à 1966. À son retour sur la terre de l’Oncle Sam, il reprend son crayon pour gagner sa vie.
Il se présente chez DC Comics, l’éditeur de Superman, qui trouve son encrage intéressant mais son dessin peu conforme au style maison. Tant pis. Un ami qui travaille au département de production de l’éditeur Marvel Comics lui conseille de montrer son carton à dessin là-bas. L’éditeur de la Maison des idées l’embauche pour encrer quelques westerns. Finalement, il reçoit un appel de Marvel, par l’intermédiaire de Sol Brodsky, artiste et bras droit de Stan Lee dans l’entreprise, mais également responsable du département de production, qui lui propose un emploi dans ce même département pour s’occuper de la machine de reprographie photostat, nouvellement acquise, avec la possibilité de faire un peu de dessin en pigiste à côté. Trimpe accepte volontiers cette aubaine qui se présente à point nommé.
Là, après une première période consacrée surtout à ce travail " technique", il fait valoir ses qualités de dessinateur et d’encreur indépendant, sur une flopée de titres, et reste fidèle à Marvel, dont il devient un pilier, de longues années durant.
Jusqu’en 1996 pour tout dire. Il dira alors en souvenir de ce temps-là : " Les dix premières années chez Marvel ont été comme mourir et aller au ciel. Les dix suivantes n’étaient pas confortables, parce que les temps changeaient et la compétition entre créateurs devenait exacerbée. Les dix dernières années ont été absolument misérables..."
Il faut dire qu’en cette année 1996, Marvel est au bord de la faillite pour avoir trop joué la carte de la spéculation sous la coupe de son big boss, l’investisseur Ron Perelman, qui avait racheté le groupe en 1989, et l’ambiance était délétère, avec une politique de starisation des artistes plus que des personnages, finalement contre-productive.
Après avoir quitté Marvel, à son grand soulagement, il reprend des cours à l’université et finit par se diriger lui-même vers l’enseignement de l’art. Mais, dans un article du New York Times daté du 7 janvier 2000 intitulé : "Les vieux super-héros ne meurent jamais, ils rejoignent le monde réel" qui reprend des extraits de son journal personnel, le son de cloche qu’offre Trimpe est plus contrasté et particulièrement révélateur d’une situation et d’une époque, pas si éloignée de celle que nous vivons aujourd’hui dans le domaine de la BD franco-belge, pour des raisons peut être semblables...
On l’écoute, alors qu’il a le moral en berne, et que les différences dans les propos tenus alors et ceux tenus récemment peuvent s’expliquer par le temps qui fait son œuvre, floute et apaise les mémoires : "En 1996, après 29 années comme artiste pour Marvel Comics, je me suis fait virer : à 56 ans, avec deux enfants encore à l’université, je me retrouve sans emploi.
Les choses avaient commencé à se fragiliser deux ans auparavant : l’industrie des comics américains subissait le résultat de l’évolution des goûts d’un marché dont l’offre s’adresse aux jeunes. Les garçons avaient, à l’adolescence, beaucoup d’autres nouvelles options pour se divertir, principalement électroniques, et Marvel n’arrivait plus à attirer le grand public, alors que les bandes dessinées au Japon se vendaient par millions pour un public de tous les âges
Marvel n’a pas non plus été aidé l’acquisition de sa société par Ronald Perelman et sa frénésie à rallonger la sauce. Avec lui, Marvel a inondé le marché de séries dérivées et de retours des séries au numéro 1, ce qui a fait perdre toute valeur aux collections des fans fidèles."
Il revient sur les circonstances qui ont mené l’industrie à cette impasse :
" En 1995, une nouvelle vague d’artistes et scénaristes avait supplanté les pros plus âgés, et mon employeur me donnait de moins en moins de travail. J’avais rejoint Marvel en 1966, après quelques années au Viêt nam et trois ans comme étudiant à l’École des arts visuels à Manhattan. Stan Lee, l’éditeur en chef, m’a embauché comme assistant de production [1]. J’allais y dessiner des comics, y compris l’Incroyable Hulk et les Quatre Fantastiques, au cours des trois décennies suivantes, les deux dernières de mon home studio à Kerhonkson, à 120 miles de Manhattan, où je vivais avec ma femme, Linda Fite, une écrivaine ("Claws of the Cat") que j’ai rencontrée chez Marvel [2]. J’ai continué la rédaction de mon journal plus pour des raisons thérapeutiques que pour toute autre chose. Ces extraits racontent mon périple, de Hulk à professeur d’art de septième année."
Soudain, les choses se précipitent :
"15 mars 1995 : Fantastic Four a été raccourci. Fantastic Four Unlimited est le seul comics régulier que je dessine. Avec des pages en moins, mon travail est réduit d’autant. J’ai appelé Nel [un editor, qui sera viré lui aussi, comme 275 autres employés de la boîte. NDLA.], qui s’est excusé. Il avait essayé de m’obtenir plus de travail pour répondre à mon quota de quatre pages hebdomadaires, mais les choses ne vont pas bon train. Ça commence à canarder à vue.
1er avril : je commence à détester le dessin de comics. Il devient de plus en plus difficile de rivaliser avec les nouveaux créateurs-"stars". L’expérience ne semble plus avoir d’importance ..."
Sans tarder, le dessinateur s’engage dans une reconversion :
"27 mai : J’ai envoyé ma demande aujourd’hui à l’Université d’État de l’Empire State College de New York.Le Centre d’enseignement à distance offre des possibilités d’études indépendantes pour les gens comme moi, qui ne peuvent pas assister aux cours réguliers.
20 novembre : Fantastic Four Unlimited a été annulé cette semaine. Aucun avertissement. je suis allé à New York hier. Tous les éditeurs sont soit à des réunions, soit à un déjeuner. J’ai parlé à quelqu’un aux ressources humaines chez Marvel aujourd’hui. La dame semblait gênée. Elle a dit que peut-être je devrais envisager de prendre ma retraite. Je lui ai dit que je n’allais pas tenir le pistolet sur ma propre tête, qu’ ils auraient à tirer eux-mêmes, qu’avec une famille, j’avais besoin de revenus et d’une couverture santé.
15 décembre : Peu importe ce que je dis ou à qui je téléphone ou écris chez Marvel, je ne peux pas être affecté sur un autre titre. J’ai essayé de les convaincre sur le registre de la raison, de l’indignation, du scandale, de la culpabilité et la mendicité... Rien. Je n’ai pas pu grappiller assez de travail pour atteindre mon quota mensuel. L’endroit est un capharnaüm. Lorsque je les presse, ils admettent que les ventes sont en baisse, que des licenciements sont à venir."
Il tente parallèlement de développer une activité faite de travaux de commande :
"8 janvier : Je travaille sur mon propre comics, avec une équipe de ligue mineure de baseball. Je l’appelle "Chicken Scratch". Ça va très lentement. Je suppose que je ne suis pas très motivé. Que faire ? J’essaie d’être convaincu que le changement est bon, et que je serai guidé vers des fins positives. Le bouleversement est parfois trop grand, presque insupportable [...]"
Pendant sa période Marvel, Herb Trimpe, qui pouvait tout dessiner avec son style reconnaissable qui faisait la curieuse bascule entre les âges d’or, d’argent et de bronze des comics, aura travaillé sur Captain America, Spider-Man, Thor, Ka-Zar, Iron Man, Fantastic Four, The Defenders sur un grand nombre d’épisodes, les licences GI Joe, Indiana Jones, Godzilla, Transformers, le western du Silver Age The Rawhide Kid... Avec Chris Claremont, il co-crée pour la branche anglaise de Marvel (Marvel UK) Captain Britain et sa sœur Psylocke, futur personnage pilier des X-Men. Joli palmarès.
Mais ce qui aura surtout fait de lui un artiste marquant des comics, c’est sa longue course sur le titre mettant en scène l’Incroyable Hulk. Il a dessiné cette série de 1968 à 1975, sur près de 100 numéros, une série qu’il a souvent co-scénarisée. D’abord encreur sur les crayonnés de Marie Severin, quelques mois à peine après son premier travail au département de production, il est vite devenu le dessinateur attitré du personnage ; il en fait un des cinq titres les plus vendus de l’éditeur. Il regrettait d’ailleurs en souriant qu’à l’époque, un système de royalties n’ait pas été mis en place, ce qui lui aurait certainement permis de vivre tranquillement sur une île des Bahamas.
Ces exploits créatifs ont fait de lui dans l’esprit de beaucoup de fans l’artiste ultime de Hulk, celui qui l’a vraiment défini.
Axel Alonso, l’éditeur en chef de Marvel Comics a d’ailleurs déclaré : "Pour moi, aucun artiste est aussi synonyme du personnage de l’incroyable Hulk que Herb Trimpe. Il a donné au géant vert des sentiments et un pathos qui ont élevé à un niveau auquel tous les artistes qui l’ont suivi devaient se mesurer. Comme un punch de Hulk, l’art de Trimpe explose véritablement toute la page ! Les comics ont perdu un géant. "
Mais surtout, ce qui le fera entrer définitivement dans l ’histoire des comics et dans la légende, c’est le fameux numéro The Incredible Hulk # 180, celui qui a marqué les débuts du personnage star des comics Wolverine sur la scène super-héroïque !
En 2014, la (dernière) planche originale de ce comics, représentant la première brève apparition de Wolverine, s’est vendue aux enchères sur le site Heritage Auctions pour un record inégalé de US$ 657 250 ! Cette planche avait été offerte par le dessinateur à un fan venu chez lui faire signer quelques exemplaires de comics...
Cette vente est devenue le prix le plus élevé jamais payé publiquement pour une pièce originale de la bande dessinée américaine, elle égale la vente en 2012 de la couverture de Amazing Spider-Man # 328 par Todd McFarlane.
Trimpe est souvent considéré, abusivement, comme le cocréateur du mutant griffu, ce dont il s’est toujours défendu, affirmant à chaque fois qu’il avait juste utilisé le personnage déjà créé par Lein Wein et John Romita. Il n’empêche il est le premier à lui avoir donné vie...
Herb Trimpe est un excellent narrateur à la facture dynamique, ce qui compense parfois les quelques faiblesses graphiques de ses débuts. D’ailleurs, Stan Lee qui appréciait ses qualités de conteur lui répétait souvent en plaisantant :" - Quand apprendras-tu à dessiner, Trimpe ?"
Le dessinateur était resté très actif dans l’industrie des comics en dépit de son âge, notamment sur des projets spéciaux, comme sur le dessin d’une histoire pour BPRD, une série dérivée du Hellboy de Mike Mignola chez Dark Horse Comics (Delcourt en France). Mais aussi sur Dinosaurs Attack chez IDW Publishing ou sur une histoire courte dans le numéro 200 du Savage Dragon d’Erik Larsen.
On le voyait également régulièrement dans des conventions. Pour les fans, il faisait souvent des "commissions", ces commandes privées de dessins de personnages de comics, mais c’était surtout pour briser la monotonie de ses vieux jours. Sur la fin, Trimpe disait, toujours en riant, qu’il en avait assez de dessiner les histoires des autres : il voulait dessiner ses propres idées qui fourmillaient dans sa tête. Par contre, son plus grand regret était de n’avoir pas pu dessiner Superman...
Pour son travail comme diacre après les attentats du 11 Septembre, Herb Trimpe avait remporté en 2002 le prix humanitaire Bob Clampett. Toujours souriant pour les autres, il avait demandé, via sa famille, qu’au lieu de fleurs pour ses obsèques, il soit fait des dons à l’organisation caritative Hero Initiative qui vient en aide aux artistes des comics nécessiteux. Une organisation qu’il avait toujours beaucoup soutenue, lui qui regrettait que les créateurs des comics, surtout les fondateurs, soient davantage considérés comme des fonctionnaires que comme de vrais artistes, en aucun cas respectés comme tels. Une affirmation un peu contradictoire avec ses remarques sur la starisation excessive de certains dessinateurs dans les années 1990, qui ont raflé, souvent au détriment des autres, gloire et fortune.
Ce qui nous amène à revenir sur ses déclarations au site Comic Book Ressources quand il évoquait ses dernières années, douloureuses, chez Marvel. Herb Trimpe y faisait remarquer sans détour, pour qualifier les dérives d’alors qui ont conduit à une situation créative et économique catastrophique : "Quand j’ai commencé à y travailler [chez Marvel], nous faisions dix-sept ou dix-huit titres et plusieurs de ces titres étaient en noir et blanc. Quand je l’ai quitté au moment de leur faillite, ils en sortaient quatre-vingt, peut-être quatre-vingt dix. Beaucoup d’entre eux visaient les collectionneur, avec des couvertures variantes multiples et de tout le reste. Séries dérivées sur séries dérivées. Ron Perelman envoyait l’entreprise dans le mur. Vous ne vendez pas des comics comme du savon ou des céréales. Le savon reste toujours le même, et les céréales restent toujours les mêmes, c’est juste l’emballage qui change afin d’amener les gens à le regarder et à l’ acheter. Les comics sont différents. C’est un processus créatif. Chaque numéro est unique, d’un mois sur l’autre, comme chaque titre, lui aussi unique ; c’est un processus qui doit être vivant. Si cette vie est étouffée dans l’œuf, si ce processus n’est pas autorisé à se produire convenablement en raison de certaines philosophies modernes de marketing, alors vous allez produire de la merde et les gens ne vont pas l’acheter par centaines de milliers d’exemplaires en plus."
D’un parallèle à un raccourci, il y a un pas à ne pas franchir, mais quand même...
On peut considérer que ce sont les propos passablement aigris d’un homme évincé, rattrapé par le temps qui passe et le monde qui change trop vite à son goût. Mais, vingt ans après cette déclaration, on peut y voir quelques points communs avec ce qui se déroule actuellement dans le domaine de la BD franco-belge. Un genre de propos qu’il est toujours bon de méditer, puisqu’il est toujours souverain d’apprendre des erreurs des autres.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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